Nigeria: Entre risque sécuritaire et pénurie alimentaire

Par Anas ABDOUN*

Pour le premier producteur de pétrole du continent pour qui les revenus des hydrocarbures représentent 85 % des exportations et la moitié de ses recettes fiscales, la chute de plus de 30 % des prix de l’or noir est un coup dur qui arrive à un très mauvais moment. Avant les premiers signes du crash pétrolier, Abudja possédait des réserves de changes nettement insuffisantes au regard de l’étendue de sa population, à fortiori lorsque son économie repose sur la vente d’un produit hautement spéculatif.

Avec 36 milliards de réserves de changes et des importations à hauteur de 34 milliards de dollars, le Nigeria savait qu’il se retrouvait dans une situation financière critique en cas de baisse du prix du baril. Le Nigeria est aujourd’hui la croisée de trois menaces majeure, sanitaire, alimentaire et sécuritaire.

La sérieuse menace d’une crise alimentaire

Pour combattre l’apparition du Coronavirus, deux principales stratégies se sont distinguées. Dépister massivement la population et isoler les cas atteints ou la confiner en attendant l’immunité collective. Il est certain que la stratégie de dépistage massif n’est pas applicable dans les pays en voie de développement tant cela requiert comme préalable des moyens de tester la population et un système de santé efficace pour traiter les nombreux cas. Le Nigeria, comme la plupart des pays du continent, a opté pour le confinement. Or, pour les dizaines de millions d’habitants des bidonvilles de Lagos et du reste du pays le confinement est synonyme de faim, beaucoup ne peuvent manger que par le travail qu’ils ont effectué le jour même ou la veille. L’ONG Lagos food bank estime que 8,5 millions de personnes vivent d’ordinaire sous la menace de la faim. Il est certain que le confinement appliqué par le président Muhammadu Buhari dans 3 des 36 États du pays, dont la plus grande ville d’Afrique, Lagos, va considérablement faire exploser ce chiffre.

De plus, la politique décidée il y a quelque mois par le président pour limiter considérablement les importations de nourritures risque d’avoir un impact dramatique sur le Nigeria d’autant qu’il semble trop tard pour corriger le tir. En effet, en août 2019. le président Buhari a ordonné à la banque centrale de cesser de payer en devises étrangères les produits agricoles importés en vue de favoriser la production agricole locale. Si cela a eu effectivement pour effet de doper un peu plus la production nationale elle reste largement insuffisante pour un pays de 200 millions d’habitants. En revanche, l’autre conséquence de cette politique fut l’accroissement des prix du fait de de la diminution des produits importés, ce qui est fatal dans un pays qui compte 95 millions de personnes qui vivent avec moins de 2 dollars par jour.

Enfin, le manque de travailleurs dans l’industrie agricole en plus du ralentissement de la chaîne logistique du fait du confinement de la moitié de la planète ont poussé un certain nombre de pays comme l’Ukraine et la Russie à réduire considérablement ses exportations de blé. Le Kazakhstan a même déclaré qu’il n’exporterait pas son blé cette année tandis que le Vietnam et le Cambodge s’interrogent publiquement sur le stockage de leurs productions de riz. Cela a eu pour conséquences l’augmentation des prix des denrées alimentaires de base précisément au moment où les revenus du Nigeria ont fondu et ses réserves de changes fortement sollicités. La FAO, l’OMC et l’OMS ont annoncé que le monde se dirige vers un risque de pénurie alimentaire dont les pays africains seront les principales victimes. Ce que l’on a vu comme guerre économique pour acquérir des masques et des respirateurs est en train de se produire actuellement sur le marché de l’agroalimentaire et le Nigeria ne fait pas le poids face aux pays plus riches qui veulent sécurisé leurs approvisionnements. Rien qu’en Afrique, l’Égypte qui est le plus grand importateur de céréales au monde a augmenté ses réserves stratégiques pour les produits de base. Le Nigeria a donc moins importé en début d’année et risque de ne pas pouvoir rattraper son erreur ce qui peut causer une famine importante dans le pays. La baisse des revenus couplée à un risque alimentaire renforcera inéluctablement l’instabilité sécuritaire du pays.

 Vers une recrudescence du risque terroriste?

L’État est en guerre depuis 2014 contre Boko Haram qui a connu un certain nombre de défaites sur le plan militaire, mais qui néanmoins semble toujours parvenir à gagner en adepte et en combattants. La principale force de Boko Haram en terme politique réside d’abord de la faiblesse institutionnelle de l’État et de la corruption systémique de ses élites politiques dont elle se nourrit. La baisse des prix du pétrole qui risque de durer accentuera la fracture économique qui est déjà criante ce qui représentera un terrain fertile pour toutes les mouvances terroristes du pays. De plus, un certain nombre de rapports comme ceux de NigeriaWatch ont démontré que les forces de sécurité de l’État et les milices associés ont commis davantage d’exactions que les forces terroristes elles-mêmes. Selon l’ONG, les forces de sécurité de l’État et les milices associées sont à l’origine de la mort de plus de 55 % des victimes du conflit recensées entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2019.

Au Nigeria les forces de polices et militaires ont une permissivité importante, tacite du pouvoir ce qui de facto fait baisser la confiance de la population dans sa police. En 2016, un sondage mené par la fondation AfroBarometer a montré que seulement 21 % des Nigériens ont confiance en leur police, soit le plus faible taux d’Afrique.

Enfin, la guerre contre Boko Haram et ISWAP a également une incidence diplomatique. Le Nigeria qui est la première puissance économique du continent voit son influence diminuée en Afrique de l’Ouest du fait de la nécessité de pays voisins d’entrée en guerre à ses côtés.

En somme, la crise pétrolière accentuera un peu plus l’affaiblissement des institutions, ce qui peut entraîner son lot de violences et d’exactions décrédibilisant encore plus l’État auprès de sa population et réduisant son influence sur sa région.

L’histoire des relations internationales nous montre que c’est précisément dans ces périodes de crise que les alliances et les influences changent le plus. Dans ce contexte, il y a donc une fenêtre d’opportunité pour la diplomatie marocaine qui peut apporter son savoir-faire en terme sécuritaire et de soft Power pour la stabilisation régionale .Une aide d’autant plus précieuse qu’Abuja détient une grande influence sur la CEDEAO dont le Maroc a officiellement demandé l’adhésion.

* Analyste en risque géopolitique dans l’industrie pétrolière, en charge de l’Afrique et du Moyen-Orient.

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