Pacte mondial sur la migration : Quel avenir?

Fadlallah Fellat :  » Le PMM divise les pays européens et les disperse »

Entretien réalisé par Souad Mekkaoui

Dans le cadre de nos Dossiers du mois, nous nous penchons sur la Conférence intergouvernementale sur la Migration et l’adoption officielle du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières dont le Maroc est l’hôte, les 10 et 11 décembre 2018. Pour cela, MAROC DIPLOMATIQUE ouvre ses colonnes à des experts qui nous aideront à mieux comprendre les objectifs du Pacte mondial et son impact sur l’avenir des migrations et des politiques migratoires. Nous vous invitons donc à lire l’entretien que Fadlallah Fellat, Ancien diplomate – Ministre Plénipotentiaire, Docteur en Sociologie du travail de l’emploi et de la Protection sociale, Expert en Politique Publiques Migratoires et Conférencier intervenant à l’Université de Bordeaux a bien voulu nous accorder.

MAROC DIPLOMATIQUE : Le Pacte mondial pour les migrations sera le premier accord négocié entre gouvernements, sous les auspices des Nations Unies, et destiné à couvrir toutes les dimensions des migrations internationales à travers une approche globale et exhaustive. Quelle en est votre lecture?

L’idée principale du Pacte Mondial pour les Migrations (PMM) qui sera entériné à Marrakech, est parfaitement explicitée dans le titre «  … pour des migrations sûres, ordonnées et régulières ». Ce qui nous introduit directement dans le corps du texte. Il donne, dès le départ, le ton avec quelques mots clés appartenant au glossaire des organisations internationales qui promeuvent les migrations. L’on sait déjà de quoi le texte du PMM va parler avant d’en avoir lu le contenu. L’idée principale qui est celle de promouvoir les migrations reste cependant, à mon avis, une vision commune à long terme, un objectif global à atteindre par la communauté internationale qui reconnaît que les migrations internationales sont avantageuses, respectivement, pour les Etats et pour les migrants. Il s’agit là d’un idéal à atteindre au même titre que la liberté de circuler, de sortir et d’entrer, au même titre que le droit à la mobilité et le droit de migrer (qui reste à conquérir). En fait, le pacte est un texte anodin, classique qui ne fait que rappeler aux Etats qui ont déjà « signé », ratifié des conventions internationales sur les migrations qu’il ne faut pas laisser « sur le banc » des migrants qui contribuent au développement des pays d’accueil et des pays d’origine et qu’il constitue, tout simplement, un cadre de coopération internationale pour promouvoir les migrations, facteurs de développement durable.

Les opérations annuelles de recrutement de femmes saisonnières marocaines dans les exploitations agricoles espagnoles tel que définies dans le cadre des programmes de partenariat entre le Maroc et l’Espagne, sont des pratiques exemplaires de migrations sûres, ordonnées et régulières. Mais bien qu’elles datent de 2005, elles nécessitent des améliorations au niveau des besoins spécifiques des femmes migrantes. L’intégration de la problématique femmes-hommes par le PMM de façon à ce que les femmes cessent d’être considérées, avant tout, comme des victimes, se doit d’être prise en compte avec une grande attention dans le cadre des programmes de partenariat sur la migration régulière.

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Le préambule du PMM annonce, dès son introduction, que le pacte ne concerne que les migrations régulières, et que chaque Etat souverain est libre de faire la distinction entre migrant régulier et migrant irrégulier. Le terme de  migration régulière reste cependant à définir d’un commun accord par la communauté internationale. Aujourd’hui, Chaque Etat a son propre domaine de définition. En soulignant la distinction importante entre le groupe de migrants et celui  des réfugiés qui relèvent de conventions et de normes internationales distinctes, le texte précise, clairement, que ne sont concernés que  les migrants et tous les aspects des migrations. Le texte me semble on ne peut plus clair sur l’objet, sur les limites du champ d’action, sur le « de qui parle-ton » ?

Le PMM repose sur dix principes directeurs transversaux et interdépendants, largement connus par la communauté des diplomates qui siège à New York. Ces principes forment la substance du pacte. Elles définissent, en quelque sorte, une éthique mondiale de l’engagement collectif à améliorer la coopération en matière de migration internationale. Pour traiter les migrations comme des faits sociaux totaux, le PMM propose d’adopter des règles sociologiques parmi lesquelles celle d’écarter systématiquement les prénotions, les idées reçues et les discours trompeurs sur les migrants et de lutter contre les représentations « des esprits vulgaires » comme les désignait l’un des fondateurs de la sociologie moderne, Emile Durkheim. Il est indispensable, à notre avis, de garder à l’esprit ce précepte dans tout cadre de toute coopération internationale dans le domaine de la gestion des migrations.

_ Sachant que le PMM est un texte non-contraignant qui préserve la souveraineté des Etats, les besoins des migrants africains sont-ils pris en compte ? La mise en place de l’Observatoire Africain des Migrations proposée par le Maroc aura-t-elle un impact sur la politique migratoire des autres pays? Qu’en est-il des droits de l’Homme dans les objectifs du PMM?

La gestion des questions de migrations selon une approche de responsabilités partagées dans le respect de la souveraineté des Etats et des obligations du droit international, tel qu’elle est exposée par le PMM, reste un exercice difficile à mener dans le cadre d’une coopération internationale juridiquement non contraignante. Les dialogues de haut niveau et les forums sur les migrations internationales et le développement devraient être encouragés car ils sont porteurs de compréhension mutuelle sur des questions migratoires d’intérêts communs et de mise en commun des connaissances.

Le PMM propose une liste de vingt-trois objectifs d’ordre général et global, en faveur des migrations sûres, ordonnées et régulières. Les Objectifs sont formulés sous forme de « menu » composé de « divers mets » pour pays émetteurs de transit et d’installation des migrants. Chaque pays puisera ce qui lui convient dans le PMM en fonction de sa politique migratoire. Combien sont-ils les objectifs qui concernent les pays d’origine des migrants, notamment les pays africains? Vont-ils dans le sens de l’Afrique et des intérêts des pays membres de l’U.A ? Les problèmes des besoins des migrants africains sont-ils pris en compte ? Seulement trois besoins sur vingt-trois  sont pris en compte : l’objectif N° 1 est relatif à la « Collecte et l’utilisation des données précises et ventilées qui serviront  à l’élaboration de politiques fondées sur la connaissance des faits ». Il constitue un objectif principal puisqu’il s’agit de renforcer les connaissances sur les questions de migrations. Telle sera par exemple la mission de l’Observatoire Africain des Migrations dont la mise en place a été proposée par le Maroc. Faut-il rappeler qu’à ce jour, il n’existe que peu d’études sur le profil des migrants africains originaires des Etats de la CEDEAO, de la COMESSA, ou encore de la CEMAC, entendu leurs motivations de départ, de leurs objectifs, des moyens qu’ils mettent en œuvre ? Selon les informations disponibles, des études sur les réseaux de passeurs actifs en Afrique et sur leur mode de faire n’ont pas encore été menées. La connaissance approfondie de ce phénomène dans ces sous-régions est approximative. Cet objectif est intéressant dans la mesure où il encourage un cadre d’analyse entre pays pour démystifier certains fantasmes sur les migrations africaines qui sont surtout intra-africaines.

L’objectif N°2 consiste à lutter contre les facteurs négatifs « Pusch » qui poussent les migrants à quitter leur pays d’origine. Dans le cadre de la mondialisation, qui a engendré un accroissement des richesses mais, en même temps, des inégalités et de la misère, et que le sociologue Edgar Morin appelle à repenser. Cet objectif gagnerait à être complété, à mon avis, par la connaissance des facteurs  « pull », ces facteurs d’attraction qui s’imposent et attirent les migrants vers d’autres cieux.

Enfin l’objectif N° 21 concerne la coopération en matière de retour et de réadmission. A ce sujet, il y a lieu de rappeler que le Maroc, qui a réalisé des avancées en termes de défenseur des droits de l’Homme et de protecteur des droits fondamentaux des migrants, a souverainement manifesté son refus d’adopter l’accord de réadmission avec l’U.E. (lancé en 2003) qui serait contre les principes fondamentaux des droits de l’Homme et du respect de la dignité humaine.  

La proposition relative à la défense des droits de l’homme et des droits des enfants, bien que pertinente, ne doit pas mettre à l’écart la convention internationale de 1990 sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leurs familles non ratifiée, à ce jour, par aucun Etat européen. L’on a mis treize ans pour adopter cette convention internationale. C’est l’exemple type de l’échec des Nations unies en matière de migrations. Or sa ratification devrait être une exigence. Quant aux restes des objectifs, elles ne sont que des redondances du contenu des précédentes déclarations politiques et plans d’actions issus par exemple du processus de Rabat – dialogue euro-africain sur la migration et le développement et dont la 5ème conférence s’est déroulée en mars 2018 à Marrakech. L’on a repris ce qui existait déjà … comme ceux liés à la gestion des frontières, le renforcement de la coopération consulaire, l’élimination des formes de discrimination, la contribution des diasporas et cadres hautement qualifiés au développement durable, les envois de fonds, la portabilité des droits de sécurité sociale….

_ Ce Pacte mondial offre une opportunité d’améliorer la gouvernance en matière de migrations et de faire face aux défis qui sont associés aux migrations d’aujourd’hui, et de renforcer la contribution des migrants et des migrations dans le développement durable. Pourquoi à votre avis, ce pacte fracture-t-il les Etats et surtout européens sachant qu’au moment où certains le rejettent catégoriquement d’autres le soutiennent vivement ?

Le PMM divise les Etats européens et les disperse. Ils se sont désistés  un par un. Il s’agit de la Hongrie (qui a interdit, il y a une année, les recherches dans le domaine des migrations), la Pologne, la Tchéquie qui rejettent le PMM. Ils appartiennent au groupe Višegrad auquel s’ajoutent la Belgique, la Bulgarie, la Suisse, l’Italie, sans oublier les USA, Israël, et l’Australie. Ces pays gèrent l’immigration selon une approche sécuritaire marquée par un contrôle sévère sur les migrations et un arsenal juridique rigide. Ils constituent une ligne dure sur l’immigration et contestent la légitimité de la Conférence de Marrakech. Ces pays dont les organes médiatiques font la promotion de toute forme de discrimination à l’égard des populations migrantes, se voient directement visés par l’objectif 17 qui s’engage à reformater les discours publics sur les migrants pour en combattre toute négativité. Les pays partisans du PMM parmi lesquels le Maroc, la France, l’Allemagne, soutiennent le texte puisque fondé sur une approche de respect des droits de l’homme, de respect de la humaine, y compris des droits des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres où la société est caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. Il faut rendre hommage à la diplomatie marocaine qui résiste aux tentatives européennes de gérer la question migratoire sous le prisme d’une approche exclusivement sécuritaire, se respectant ainsi dignement « de ne pas négocier à la place des pays tiers, le retour de leurs propres ressortissants ».

Les Etats qui soutiennent le PMM sont ceux qui l’adoptent à Marrakech, le 11 décembre 2018. Ce sont les Etats pour qui les principes directeurs et les objectifs sont en parfaite conformité avec leur politique migratoire puisqu’ils visent au renforcement des capacités institutionnelles, au respect des droits de l’homme, à l’intégration dans les pays d’accueil, à la sécurisation des frontières, à la lutte contre la traite des êtres humains et le trafic des migrants. La politique migratoire du Maroc impulsée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI en 2013, est justement fondée sur le respect des droits des migrants, sur l’égalité dans le traitement, sur la non-discrimination, sur la protection des droits de l’homme conformément aux dispositions constitutionnelles et en accord avec les engagements internationaux du Maroc.

Le PMM fracture les Etats européens car il s’est finalisé et se négocie dans le cadre d’un contexte international, européen et régional caractérisé ces dernières années par de nombreux facteurs tels que la poursuite des arrivées irrégulières de migrants en Europe par la Méditerranée, la crise du bateau de sauvetage « Aquarius », l’arrivée de partis populistes au pouvoir dans certains pays européens qui affichent leur souci de sauvegarder leur identité ethnique, la difficulté de Bruxelles de faire accepter l’idée d’une répartition des demandeurs d’asile en fonction de la population et de la richesse de chaque pays de l’U.E, les promesses des responsables européens de renégocier la candidature turque à l’U.E, suite au respect de l’accord demandant à la Turquie de maintenir sur son territoire les demandeurs d’asile en provenance du Proche-Orient, les difficultés de l’U.E à traiter avec la Libye, en raison de l’absence d’un Etat central,  et surtout l’émergence de pays du Sud comme le Maroc qui invente une diplomatie des migrations, qui prône une gouvernance mondiale des migrations, qui accueille des réfugiés venus de pays voisins mais qui refuse souverainement d’accueillir des plates formes de débarquement et de traitement de migrants subsahariens.

_ Dans le préambule, la «dimension humaine, inhérente à l’expérience migratoire» est invoquée comme un principe directeur. Mais la souveraineté nationale est aussi abordée par une phrase sans équivoque : «Le pacte mondial réaffirme le droit souverain des États à déterminer leur politique nationale en matière d’immigration, et leur prérogative de régir l’immigration au sein de sa sphère de compétence nationale ». Ne pensez-vous pas que c’est un peu vague et contradictoire ?

Le PMM est un « texte juridiquement non contraignant« . En effet, bien qu’il semble concerner les migrants, le Pacte mondial, qui réaffirme le droit souverain des Etats à élaborer leurs stratégies nationales en matière de migrations, s’adresse, essentiellement, aux gouvernements. Le caractère non contraignant qui est le fil conducteur de ce PMM, rend un peu « fébrile » le pacte puisqu’il le dévitalise un peu de son approche globale. Le discours est typiquement « onusien« , distant de la réalité du terrain et notamment des besoins et droits des migrants et des membres de leurs familles. Le Pacte mondial pour les migrations n’est ni un protocole ni un traité mais un accord non contraignant, une entente, une initiative concoctée à huis clos par les Nations unies. Il vise, tout simplement, à coordonner les efforts de chacun des Etats signataires dans leur gestion des migrations régulières. La société civile (parlementaires, médias, organisations professionnelles..) et les associations de migrants qui accompagnent ceux-ci surtout les mineurs et les femmes migrantes dans leur quotidien méritent d’être impliqués tout au long du processus, et leurs avis pratiques pris en considération dans l’élaboration du projet de texte.

_ Ces recommandations vont-elles constituer un moyen de pression sur les politiques gouvernementales en matière d’immigration ?

Les facteurs d’origine des politiques gouvernementales en matière d’immigration sont très souvent d’ordre exogène et endogène. Par exemple, la nouvelle politique du Maroc en matière d’immigration, datant de 2013 ainsi que son programme d’actions, ont été mis en œuvre dans le cadre d’un contexte international (politique d’externalisation des frontières orchestrée par l’U.E, espace Schengen, négociation accord de réadmission Maroc-UE, tout en sachant que le Maroc refuse de conclure l’accord). La nouvelle politique migratoire du Maroc a été initiée en prenant en considération des revendications de la société civile (ONG tel que Caritas Maroc, AMDH, GADEM, Médias). Elle a été étudiée également dans le cadre de réunions d’experts avec des institutions internationales qui jouent un rôle dans la promotion des migrations et droits des migrants (HCR, OIM, OIT). La nouvelle politique migratoire du Maroc a été finalisée aussi dans un contexte régional mouvementé et instable (Libye, Syrie, Sierra Léone, Libéria, Nigéria, Congo). Enfin, il y a lieu de souligner que la politique d’immigration du Maroc n’est que l’application des principes contenus dans la constitution du Royaume du Maroc qui, dans son article 30,  octroie aux immigrés les mêmes droits que les Marocains y compris le droit de vote aux élections locales.

Les recommandations émanant du PMM ne comportent pas d’obligation juridique. Certes elles sont successivement traduites dans le cadre de séries de mesures regroupant des moyens d’actions. Mais leur degré de pression sur les politiques gouvernementales en matière d’immigration dépendra, à mon avis, du niveau de la coopération durable internationale engagée, de la vision commune et de l’approche globale adoptés, ainsi que du principe fédérateur des responsabilités partagées et surtout du « nerf de la guerre » celui des allocations budgétaires prévues ou à prévoir.

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