Pacte mondial sur la migration : Quel avenir?

Dossier réalisé par Souad Mekkaoui

Dans le cadre de nos Dossiers du mois, nous nous penchons sur la Conférence intergouvernementale sur la Migration qui verra l’adoption officielle du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières dont le Maroc sera l’hôte, les 10 et 11 décembre 2018. Pour cela, MAROC DIPLOMATIQUE ouvre ses colonnes à des experts qui nous aideront à mieux comprendre les objectifs du Pacte mondial et son impact sur l’avenir des migrations et des politiques migratoires. Nous vous invitons donc à lire la contribution de Sébastien BOUSSOIS, Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l’OMAN (UQAM Montréal) et du CPRMV (Centre de Prévention de la Radicalisation Menant à la Violence/ Montréal), Auteur de « Le naufrage de la Méditerranée » (2018)

« On peut toujours avoir de beaux textes pleins d’humanité mais la réalité est autre »

Je m’interroge toujours sur la nécessite de rappeler les Etats et les individus à la loi qui existe d’une part et aux grandes conventions internationales issues des fondements du droit international, d’autre part, que l’on peine de plus à plus déjà à appliquer. En effet, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, tout comme la convention relative au statut des Réfugiés de 1951, auraient dû suffire à assurer à tout individu, pris dans les drames de la guerre, de la crise économique, de trouver refuge et se voir attribuer une protection digne de tout homme. Le fait de devoir lancer, dans un contexte où le multilatéralisme est décrié par les plus grandes puissances mondiales, un nouveau pacte mondial pour les migrations est la preuve de trois faits : que malgré tout ce qui existe déjà, les personnes réfugiées et migrantes n’ont pas la garantie absolue d’être protégées ; qu’ensuite et il est temps que le monde en prenne conscience, la question migratoire sera et est déjà la question géopolitique numéro 1 pour le siècle en cours et celui à venir, avec le réchauffement climatique et la multiplication des conflits intraétatiques. Enfin que les pays qui lancent ce genre de projet espèrent, finalement, pouvoir créer un cadre global de résolution des crises pour l’ensemble de la communauté internationale sans qu’il soit contraignant. Il suffit donc de ne pas signer un accord pour ne pas être concerné. Pire, parfois, on peut signer un accord et décider de s’en retirer sans conséquences et de ne plus avoir à le respecter comme l’Accord de Paris avec les USA. En général, on signe comme c’est le cas ici et on fait ce que l’on veut à la fin. Je suis donc à ce stade sceptique, tout en considérant que tout ce qui peut être tenté dans le sens d’une protection de la liberté, de l’égalité, de la dignité de l’Individu dans ce contexte international chaotique, doit être essayé.

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Là où le bât blesse

Bien que tous les pays de l’ONU à l’exception des USA aient signé le projet, en juillet dernier, on sait qu’en pratique, il en sera tout autrement puisque le texte n’est pas contraignant. Tous les regards sont tournés vers l’Europe qui est à l’origine des grandes déclarations internationales et des textes sur la liberté et les droits de l’Homme. Or, le vieux continent, depuis les Printemps arabes, se fracture clairement entre Ouest et Est, et désormais entre Nord et Sud. L’axe radical et d’extrême-droite qui s’est constitué autour de Victor Orban, le président hongrois, la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie, et désormais l’Italie, font front commun pour empêcher les migrants de parvenir en Europe, alors qu’ils quittent des zones de guerre pour la plupart qu’ils n’ont pas souhaitée et pour laquelle nous avons une part de responsabilité. L’Europe qui, après la Seconde guerre mondiale, s’est faite sur le processus migratoire, est en train de mourir, petit à petit, de vieillesse et de sa belle mort. Cela signifie donc que tous les pays qui sont contre le Pacte Migratoire, ou qui ne sont pas encore positionnés, constitueront toujours au moins des freins moraux à ce que les Nations unies souhaitent : « des migrations sûres, ordonnées et régulières ».

Je ne voudrais pas être un oiseau de mauvais augure, mais quand on voit la manière dont le dernier texte international d’envergure comme l’Accord de Paris, lors de la Cop 21, reprise par le Maroc à Marrakech lors de la Cop22, est en train de se déliter à partir du moment où les seuls USA décident de s’en retirer, la ville rouge n’a pas trop porté chance jusque-là. Le 11 décembre, le Pacte Mondial sera signé ici aussi et l’on peut s’interroger sur la manière dont ces pays réfractaires (il suffit d’écouter tous les discours de Donald Trump au sujet de l’immigration latino dans son pays) pèseront. Nous construisons la méfiance et le déni de l’Altérité et c’est probablement ce qui est le plus grave. Même le Maroc dans sa gestion des réfugiés d’Afrique Subsaharienne a soulevé quelques questions. Comment peut-on arrêter des hommes qui veulent rejoindre l’Europe et qui préfèrent prendre le risque de finir au fond de l’eau plutôt que de rester chez eux ? A part une coopération active qui soutient le développement durable des pays concernés, mais aussi de ces personnes dans leur propre pays tant que cela est possible et concourir à la paix mondiale, on ne peut prendre le problème au moment de l’hémorragie. Il faut prévenir les crises bien en amont et ne pas être uniquement dans la gestion de l’urgence qui ne va pas souvent avec la pérennisation. Si les signataires parviennent en revanche à véritablement « Créer des conditions favorables qui permettent à tous les migrants d’enrichir nos sociétés grâce à leurs capacités humaines, économiques et sociales.», ce sera un moindre mal malgré le rejet des plus grandes puissances qui ne se sentiraient pas concernées par le Pacte. La liste des désistements du nombre de pays qui se présenteront à Marrakech est un signe que les migrations sont définitivement plus vues comme un problème que comme une solution encore hélas.

Un pacte non contraignant

Force est de rappeler que le texte est, malheureusement, obligé de laisser de la latitude. Pourtant le droit international a force sur le droit des Etats, mais l’ONU, en pleine crise de doute, sait très bien que ce serait braquer encore plus des Etats frileux ou totalement réfractaires qui ont le soutien de leur population. On pourra toujours avoir un beau décor et de beaux textes pleins d’humanité et d’empathie mais la réalité est bien autre, même dans les meilleurs exemples de pays qui seraient la patrie des droits de l’Homme ou le pays des libertés.

Ceux qui viendront signer le Pacte sont ceux, a priori, motivés et déjà sur le chemin mais cela leur permet souvent de maintenir leur politique restrictive en toute discrétion. Malheureusement, la montée du populisme en Europe, la position et politique de Donald Trump qui, rappelons-le, même en campagne, promettait de ne plus faire entrer aucun « musulman » sur le sol américain, est bien la preuve que les Etats décideront en dernier ressort. Bien sûr, les organisations non gouvernementales tout comme les institutions internationales, en matière de justice et de respect des droits de l’Homme, pourront toujours -comme elles le sont déjà- être saisies. Cela ne change rien sur le terrible accueil dont ont fait l’objet les «migrants » en Europe de l’Est, à Calais ou ailleurs. Pourtant, on ne peut plus faire la politique de l’autruche, car il y aura de plus en plus de personnes qui quitteront leur pays d’origine pour fuir toute une série de menaces. J’ai le sentiment qu’on ne prend pas cet aspect suffisamment en importance et que l’on retarde, chaque jour un peu plus, le moment où il faudra prendre de vraies décisions pour recréer des sociétés inclusives plutôt qu’exclusives. Je pense qu’il n’y a pas de choix, et ce n’est pas faire preuve d’un gauchisme exacerbé que d’affirmer cette réalité.

En tout cas, plus le nombre de pays qui fuiront la réflexion collective sur la question augmente, plus le trafic et l’immigration illégale se développeront. Il est difficile pour un pays seul de gérer cette question autrement que par le répressif. C’est là que le multilatéralisme devrait reprendre du poil de la bête. Pour venir à bout de ce fléau, il faut le régler en amont, c’est-à-dire travailler de concert avec les pays qui sont victimes d’un tel appel d’air et qui voient leurs populations fuir. La question du chômage des jeunes est fondamentale en Méditerranée, au nord comme au sud, tout comme l’ingérence des pays occidentaux dans des équilibres souvent précaires au Moyen-Orient et qui nous font vite glisser dans des guerres fratricides. L’Afghanistan, la Libye, la Syrie, l’Irak ont été les principaux pays en guerre récemment et nombre de leurs habitants ont fui, comme les Soudanais, les Erythréens notamment. C’est à la source qu’il faut régler le problème, car qui aurait envie de partir de son propre pays s’il s’y sentait bien ? Malheureusement, les passeurs comme les trafiquants prolifèrent sur cette misère humaine, sur les failles du droit international, sur notre passion pour les textes législatifs non contraignants au nom de la démocratie et de la souveraineté, et sur notre malin plaisir à vouloir imposer notre propre vue de la politique et du développement à des pays tiers.

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