Pegasus, ce qui est en jeu

Par Hubert Seillan

Avocat au Barreau de Paris

En ce mois de Juillet 2021, une bombe médiatique a été lancée sur le Maroc. Celui-ci est accusé d’avoir intercepté des échanges téléphoniques par le biais d’un logiciel d’origine israélienne, nommé Pegasus. L’affaire aurait pu être ordinaire, tant il est vrai que ce type de pratique du cyberespace est courant aujourd’hui, mais l’origine de l’information et la personnalité des personnes « écoutées » voulaient qu’elle ait un retentissement mondial.

Les révélations sont issues d’un consortium international de journalistes créé par Forbidden Stories, dont la cellule investigation de Radio France et le journal Le Monde font partie.

Parmi les cibles, rien de moins que le Président de la République française et de nombreux ministres et anciens ministres. Paradoxalement, le roi du Maroc en était. Les conditions sont réunies pour créer un événement que nul ne peut ignorer.

Le Maroc a ainsi été placé brutalement et sans plus d’explications le dos au mur face à un peloton d’exécution.

De quoi s’agit-il ?

Forbidden Stories a pu établir l’existence de pénétrations illicites sur les appareils de téléphone. Cette première annonce doit être acceptée, elle est sans doute exacte. Ce type de criminalité est connu, mais il est difficile à réprimer en raison de sa dimension internationale.

En revanche, au-delà de ces faits, l’analyse objective des annonces interpelle.

L’imputabilité du fait criminel n’est en effet l’objet d’aucune précision factuelle permettant d’identifier ses auteurs. Des indices associés à des mobiles potentiels sont présentés comme autant de preuves. Il est simplement fait état « d’informations ».  Les derniers articles du Monde, de Mediapart ou du Canard enchaîné censés révéler des détails techniques ne donnent aucun élément probant et montrent bien qu’il s’agit d’une construction sur la base de certaines hypothèses non vérifiées.

→ Lire aussi : Pegasus : Le Maroc lance quatre nouvelles citations directes en diffamation

Exercée sous le voile blanc des droits de l’homme,  l’accusation a été relayée dans le monde médiatique de l’information comme un fait avéré, n’ayant donc pas à être discuté. S’agissant du Maroc, un « Etat autoritaire », la preuve des faits n’avait pas à être recherchée, puisqu’elle en découlait nécessairement. Le pays a été aussitôt mis au pilori.

Ensuite la démarche était tracée.

Des marocains, clients de la société israélienne ? Voici un indice pertinent ! Il fut brandi comme une preuve. Parmi eux des services de renseignement ? Pouvait-on écarter un tel indice aussi significatif ? Puis des affirmations fusèrent. Parmi les personnes écoutées, il y avait des journalistes marocains prévenus d’infractions de droit commun et des opposants au régime. Que voilà encore un indice qui renforce le tout.

Que le Maroc soit mis en exergue avec quelques Etats, présentés comme voyous alors que plus d’une quarantaine de pays ont été concernés par l’utilisation du logiciel, n’a pas retenu l’attention.

Qu’aucune analyse n’ait été faite des mobiles pouvant expliquer la mise en cause du Maroc n’a pas plus été soulignée.

Que rien n’ait été dit sur les enjeux politiques, notamment en liens avec les reconnaissances du Sahara marocain et d’Israël, par exemple, n’a non plus interrogé personne.

Tout ceci n’a semblé avoir eu aucune importance.

En revanche, quelques principes ont gouverné la communication.

Seule doit compter l’intention de faire croire vrai ce qui est allégué.

L’indice le plus éloigné des faits en deviendra proche si cela est dit.

La rumeur est plus importante que ses sources.

La réunion de multiples petits signes permettra d’établir des indices et des mobiles.

Des quarts d’indices et de mobiles pourront devenir des quarts de preuves.

La juxtaposition de quarts de preuve pourra alors être retenu comme preuve.

Bien des vérités ont été construites au cours des siècles sur cette curieuse construction du régime des preuves. Voltaire et Beccaria en ont fait le procès. Des quarts de preuve ne font jamais une preuve.

Leurs enseignements ne paraissent  cependant pas avoir suffi. La leçon a du mal à s’imposer.

Cette affaire pourrait donc être banalement classée dans le registre des mauvaises pratiques. Mais cela ne se peut en raison de ses protagonistes très éclairés, tous du monde de la presse libre et exigeante. Nous assistons à un renversement des valeurs. L’oubli est plus grave quand il procède d’autorités morales comme Médiapart, Le Monde ou le service public français de l’audio-visuel.

Bien que cette  affaire ne nous paraisse pas devoir prospérer au-delà de la rumeur, nous en attendons une résolution rapide.

Soit par l’apport de faits bien concrets, bien certains, qui établissent un lien direct entre l’Etat du Maroc et les écoutes. Nous devrions dire que de tels faits  seraient grave. C’est ce qu’a exprimé le Président Macron.

Soit, si ce n’est pas le cas, par un peu d’ironie philosophique.

Nous invitons ainsi tous ceux que cette affaire a occupés, à lire l’ouvrage Le rire de Voltaire *, présenté par Bertrand Poirot-Delpech, de l’Académie française et ancien journaliste du Monde, en charge des questions judiciaires.

  • Du Félin, 1994.

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