Pourquoi le Président Poutine devrait arrêter sa guerre en Ukraine

Tribune

Par Taoufiq Boudchiche, économiste

En 1991, à la veille de la guerre contre l’Irak menée par une coalition de 35 Etats conduite par les Etats-Unis, les dirigeants du monde, amis de l’Irak et du  Président Saddam Hussein,  se sont succédé auprès du leader irakien de l’époque pour l’exhorter à opter pour la diplomatie. Il pouvait en effet, par la voie diplomatique, négocier dans la dignité le retrait de ses troupes du Koweit qu’il avait envahi quelques semaines auparavant et atteindre ses objectifs de compensation financière de la guerre qu’il avait menée contre l’Iran. Mais, il s’est obstiné à poursuivre son intervention militaire au Koweït dans le but de transformer un Etat souverain, le Koweït, reconnu auprès des Nations-Unies en province de l’Irak, pour s’emparer de ses réserves pétrolières. Un journal avait titré à l’époque cette opération comme le plus grand hold-up du siècle.

Une obstination de l’ex Président irakien qui a conduit à une défaite militaire irakienne déshonorable et offert un prétexte une décennie plus tard à l’engagement militaire américain en Irak qui ne s’est pas couronné non plus d’un succès mémorable. La suite on la connaît : la fin du régime bassiste de Sadam Hussein, la condamnation à mort du Président irakien pour crimes contre son peuple et un monde de plus en plus injuste et encore plus violent. Moralité les guerres contemporaines ont un coût dont personne n’en sort gagnant. Ce rappel historique est utile dans le contexte actuel où les dirigeants du monde réunis à l’ONU se sont prononcés clairement pour un cessez le feu en exhortant le Président Poutine à stopper sa guerre contre l’Ukraine, un pays souverain en quête d’indépendance, de paix et de prospérité.

Le Président Poutine en déclenchant sa guerre contre l’Ukraine l’aurait imaginé par son effet de surprise brève et décisive. Il n’en est rien. Il s’apprête à en prolonger la durée vu les revers sur le terrain de son armée lors de ces dernières semaines. Il aurait également signé un décret de mobilisation de 300. 000 réservistes et durcit la législation contre les potentiels déserteurs. Une décision qui a fait exploser sur Google les demandes faites par les citoyens russes de voyage à l’étranger pour tenter d’échapper à une guerre qui s’avère inutile et dangereuse pour la Russie et le monde. Une guerre dont il est interdit en Russie de désigner comme telle sauf à l’appeler « opération militaire spéciale ». Jusqu’à quand les dirigeants russes pourront-ils  escamoter la réalité ? L’éveil de la population russe à « l’opération militaire spéciale » semble de plus en plus douloureux. Des manifestations en Russie éparses contre la guerre ainsi qu’une sourde contestation transparaissent parmi la société civile russe.

Lire aussi : Poutine ordonne une mobilisation partielle, met en garde l’Occident contre le « chantage nucléaire »

La guerre a été contreproductive pour la Russie. Aucun des objectifs de sécurité n’a été atteint. L’OTAN s’en est sortie renforcée, l’Allemagne se réarme et les anciens pays de l’ex-Union Soviétique découvrent avec frayeur à nouveau  la menace russe à leurs frontières. Ils se tournent encore plus vers l’Europe et les États Unis en quête de protection. Les pays censés soutenir la Russie (Chine, Inde, Turquie, Iran, Pakistan…) réunis lors du 22e sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai organisé les 15 et 16 septembre dernier à Samarkand en Ouzbékistan, ont pris soin de ne pas afficher un franc soutien à la Russie. Leur déclaration finale n’a même pas mentionné le conflit Russie-Ukraine en cours.

D’autre part ailleurs dans le reste du monde, cette guerre n’arrange rien. Elle provoque des préoccupations dont le monde se serait bien passé après la pandémie de la COVID-19 qui a causé des perturbations mondiales sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. En effet, aux difficultés sanitaires, les crises énergétiques et alimentaires sont venues s’ajouter au tableau déjà très sombre d’un monde en proie à la crise climatique, les sécheresses successives, les incendies majeures et autres catastrophes naturelles comme les récentes inondations au Pakistan. Celles-ci ont provoqué 1300 décès et plus de deux millions de logements endommagés.

Dans ce contexte, Poutine, selon ses dernières déclarations,  semble encore tenté de jouer aux échecs en brandissant à nouveau la menace nucléaire. Mais, s’il fait cela les conséquences seraient désastreuses pour la Russie d’abord. L’histoire ne pourrait pardonner à un dirigeant d’user d’une force destructrice d’une telle ampleur. Le Président Poutine doit tirer les leçons de la bombe d’Hiroshima. Bien qu’elle ait permis aux Etats-Unis d’arrêter l’agression japonaise, elle reste une tâche noire dans la conscience universelle. D’autant plus que le spectacle de milliers, voire de millions de victimes, parmi les civils ukrainiens ne fera que choquer encore plus l’opinion publique russe et mondiale. Un scénario qui conduirait à une désolidarisation totale de la communauté internationale. Posséder l’arme nucléaire selon la doctrine militaire dominante est de l’utiliser comme force de dissuasion et non comme arme guerrière en mesure de raser villes et villages sans distinction. Le scénario d’accentuer la pression guerrière ne ferait en fait qu’aggraver le risque d’un échec historique de l’armée sur le terrain, au regard de l’obstination du peuple ukrainien à défendre sa souveraineté et son indépendance. Il raviverait en sus auprès des populations russes, le traumatisme vécu en Afghanistan.

Les dirigeants du monde réunis à l’ONU, avec à leur tête le leader chinois Xi-Ping,  ont  appelé à un cessez le feu. Il est encore temps pour le Président Poutine de choisir l’option diplomatique d’arrêter cette guerre dont les motivations du côté russe sont floues et difficilement justifiables. Elle a aussi montré que la sécurité de la Russie n’est en aucun cas menacée mais prouverait plutôt l’inverse. Mis à part, l’aide fournie à l’Ukraine, car on ne peut refuser à un pays allié agressé son aide et sa solidarité, les pays de l’OTAN sont restés fort heureusement dans la retenue. Et, comme l’a souligné le Président Erdoghan, à la tribune de l’ONU, il est encore temps de conclure une paix dans la dignité pour les deux parties.

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