Poutine et la diplomatie russe

Lors de la dislocation du bloc socialiste en Europe de l’Est durant les années 90 du siècle dernier, Vladimir Poutine est un agent du service secret soviétique, le KGB, en Allemagne de l’Est. Ce qui était inimaginable il y a quelques années est entrain de se dérouler sous ses yeux : le rêve communiste n’était en effet qu’un rêve et le capitalisme s’est déclaré vainqueur. De retour en Russie, qui n’est plus l’Union Soviétique, il s’installe à Saint-Pétersbourg qui ne porte plus le nom de Leningrad, et se consacre à la politique de la ville avant d’être remarqué par le président Boris Eltsine qui le nomme dans son équipe au Kremlin. A partir de ce moment, et à force d’abnégation de sérieux et de travail, il grimpe dans la hiérarchie et prend conscience de la dimension des changements qui commencent à s’opérer en Russie et dans le monde.

De conseiller au Kremlin, le voilà nommé chef de gouvernement par Boris Eltsine puis, après la démission de celui-ci, il assure la vice-présidence pour enfin être élu Président le 7 mai 2000. Depuis, et en raison de la limitation des mandats à deux par la constitution, Poutine organise des tours de passepasses entre lui et son chef de gouvernement Dmitry Medvedev pour gouverner et donner une continuité à l’action gouvernementale.

Pour comprendre les choix de politique extérieure de Poutine, il faudrait s’arrêter un moment à l’époque de Boris Eltsine quand celui-ci opta pour une approche pro-occidentale orientée vers la fin de la confrontation idéologique avec l’occident d’une part, et de l’autre l’adoption d’une thérapie de choc au niveau économique pour arrimer la Russie aux pays européens. Pour Poutine, comme pour beaucoup de Russes, le constat est amer : ces choix ne sont qu’une chimère et n’apporteront pas les solutions dont a besoin le pays puisque les emplois se perdent, le chômage croit ainsi que les problèmes sociaux qui en découlent. Pour eux, l’objectif non affiché des pays occidentaux est de réduire l’influence russe dans la région sans tenir compte des intérêts vitaux de la nation russe. Les valeurs démocratiques à l’occidental les vertus du marché et le rêve d’être accueillis à bras ouverts par l’Europe se sont estompés avec le temps.

Face à ce constat trois courants émergent en Russie après la démission de Boris Eltsine. Les occidentalistes qui continuaient à croire à la nécessité de voir la Russie au sein de l’occident. Les étatistes, qui défendaient l’État dans ses expressions de souveraineté et d’indépendance par la recherche des attributs de la puissance et de la défense des intérêts nationaux. Puis le troisième groupe de l’élite, qu’on peut appeler les civilisationistes, qui estiment que le monde russe est une entité distincte de l’occident et que la réalité du monde est caractérisée par les luttes d’influence et les conflits d’intérêts entre les civilisations.  Poutine se sentait proche de cette dernière catégorie qui devient sa base électorale.

Afin de s’atteler à réorganiser le pays dans ce sens, Poutine réduit le champ démocratique du pays qui, selon lui, n’apporte que désorganisation et décadence. A travers ses premiers discours, il laisse entendre que la démocratie ne se copie pas et ne se forme pas en un jour. Dans un discours le 6 février 2012 il se pose la question : « Quels droits notre population considère comme prioritaires ? » avant d’y répondre par lui-même : « On voit aux premières places apparaitre le droit au travail, le droit aux soins médicaux gratuits, et le droit à l’éducation des enfants ».

Sur le même élan, Poutine fait valoir qu’il est de l’intérêt de la Russie de maintenir et consolider les valeurs morales de la société, ses traditions, le patriotisme et l’humanisme ainsi que le potentiel culturel et scientifique du pays. La langue russe, est pour lui le moteur de l’union spirituelle de la Russie multiethnique et de la préservation de l’identité nationale qui passe par la promotion des valeurs traditionnelles.

Poutine est alors confronté à plusieurs défis qu’il tente de relever avec plus ou moins de succès comme la lutte contre le terrorisme, le risque de dislocation du pays en raison de l’émiettement de l’empire soviétique, la propension de l’OTAN à s’ingérer dans la région. Il passe donc à l’action et met de l’ordre dans la société en menant une lutte sans merci contre le terrorisme, le séparatisme et les oligarchies qui l’empêchent de mener les réformes voulues pour redresser la barre. Ces transformations, pratiquées parfois par la force de la loi, et souvent par la contrainte, lui ont permis d’établir un consensus autour des valeurs partagées par une large majorité des Russes, et par voie de conséquence, un plébiscite autour de sa propre personne.

Les pays occidentaux, et en particuliers les Européens, notent l’évolution opérée par Poutine sur le plan intérieur comme sur le plan international. La direction prise par Poutine ne répond pas à leurs valeurs : non-respect des droits de l’homme, répression en Tchétchénie, intervention en Ukraine, annexion de la Crimée. Leurs réactions sont cependant tièdes et ce n’est certainement pas les sanctions économiques, sommes toutes relatives, qui feront plier un Poutine droit dans ses bottes. Les pays occidentaux ne cherchent pas non plus à mettre trop de pression, conscients qu’ils sont des dangers que peut représenter pour eux une Russie en proie au chaos et à l’instabilité.

En dépit de ses difficultés intérieures, Poutine s’attelle au même temps à se servir de la diplomatie pour maintenir le rôle et le prestige de la Russie tout en renforçant son leadership au plan intérieur.

Il articule sa diplomatie sur les grands principes du droit international : libre choix des Etats en matière du système politique, sacralité de la souveraineté nationale, non-ingérence dans les affaires intérieures des pays, intangibilité et inviolabilité des frontières nationales etc. Au journal allemand Bild il déclare une fois que : « La Russie a une histoire millénaire et a toujours eu le privilège de pratiquer une politique extérieure indépendante. Nous n’avons pas l’attention aujourd’hui de faillir à cette tradition ».

L’idée qu’il n’y a qu’un seul modèle de développement à l’occidental ne lui sied pas. Les pays peuvent choisir, selon la conception de Poutine, la voie de développement qui leur convient le mieux sans se soumettre aux injonctions de l’occident. Toute son action diplomatique est alors orientée vers deux champs : diversification des alliances, comme avec les membres du BRICS (Brésil Inde Chine Afrique du sud) et avec les pays asiatiques à travers le traité de Shanghai, et défense des positions stratégiques pour l’influence russe comme en Ukraine Crimée Syrie entre autres.

Cependant ces réussites ne sont pas dues à la seule politique de Poutine. Elles sont également le résultat et la conséquence de l’affaissement idéologique et économique de l’occident face aux problèmes qui secouent le monde. L’exemple le plus frappant reste la crise en Syrie où face aux tergiversations des occidentaux, la Russie a pu avec facilité déconcertante s’y installer pour venir en aide à Bachar Alassad et venir à bout du terrorisme de Daesh. Les comportements erratiques des Américains, la désunion des Européens ont aidé les Russes à occuper une place prépondérante en Syrie et au Moyen-orient. C’était donc plus par l’absence des autres que par leur propre mérite qu’ils ont élu domicile dans cette région.

Il n’en demeure pas moins que même en enregistrant quelques succès diplomatiques somme toute relatifs, Poutine devrait être conscient que son pays est encore loin de rivaliser avec les Etats-Unis, et que d’autres puissances concurrentes à la Russie commencent à pointer dans l’horizon comme la Chine et l’Inde. Son bilan est certes à ce jour honorable puisqu’il a permis à son pays d’améliorer son image et d’être moins conflictuel que durant la période révolutionnaire et communiste de la défunte Union soviétique. Il a pu intelligemment lui éviter aussi deux maux : un isolement suicidaire ou une intégration déstabilisatrice à l’Europe occidentale.

Ce positionnement stratégique a également permis à la Russie de réaffirmer son rôle dans le monde et de modifier le regard des autres nations sur elle. Elle est désormais mieux écoutée et plus respectée que par le passé et, par sa lucidité, Poutine a pu imposer une nouvelle vision qui inspire plusieurs pays. Cependant la Russie demeurera pour une longue période encore une puissance moyenne difficilement comparable aux Etats-Unis en raison du retard technologique et de l’inefficacité de son système d’éducation. Pour relever ces défis elle ne peut éternellement tourner le dos au continent européen dont elle fait partie aussi bien humainement que géographiquement. Mais l’Europe est elle prête pour accueillir en son sein une Russie difficilement soluble dans ses institutions ?

Par Ahmed Faouzi 

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