Présentation à Rome du livre de Valeria Degl’Innocenti, « Donna » et la plus marocaine des Italiens

L’ambiance est conviviale et familiale, quelques personnalités dont le sous secrétaire d’Etat italien aux Affaires étrangères  Vincenzo Amendola, l’ambassadeur du Maroc à Rome, Hassan Abouyoub, les membres de la famille Cherif Alami, des proches et plusieurs personnalités maroco-italiennes, représentant les arts, la culture et la diplomatie ainsi que la presse. Cette cérémonie était organisée lundi 27 février à Rome pour lancer le livre consacré à Valeria Degl’Innocenti, « Le luci di Casablanca, storia della donna che seppe stupire due mondi » ( Lumière de Casablanca), réalisé par Roberta Yasmine Catalano et édité aux éditions Infinito à Rome.

Le sous secrétaire d’Etat italien aux Affaires étrangères, Vincenzo Amendola , outre sa déclaration sur la nécessité de mettre en exergue les relations exemplaires entre le Maroc et l’Italie, a rendu un hommage appuyé à Valeria Degl’Innocenti qui incarne l’exemple d’une émigration à l’inverse, de l’Italie au Maroc et qui a su conférer à l’amitié entre les deux peuples une dimension humaniste exceptionnelle. Elle est aujourd’hui à nos mémoires ce que le souffle est à nos vies.

Pour sa part, Karima Moual, directrice du site maroccoggi.it , journaliste et éditorialiste à la Stampa, estime que « l’histoire de Valeria illustre à elle seule l’épopée d’une immigration difficile, un témoignage puissant et poignant sur une époque tourmentée par la guerre et les totalitarismes ». Elle s’interroge avec coeur : «  Pourquoi Valeria nous marque-t-elle et nous plait-elle tant ? Parce qu’elle a vécu quelque chose de vrai et d’authentique. Nous qui constituons une importante communauté étrangère – soit la première en Italie avec 600.000 -, comptant des entrepreneurs, des étudiants, des travailleurs, des familles, devrions nous inspirer de l’exemple de cette femme ».

Karime Moual exprime son émotion avec force en disant : «  J’ai senti que cette femme était à côté de moi, son histoire me parle. C’est le même exil intérieur et la même volonté de nous affirmer. Je suis fière en tant que femme qui se lance dans la bataille de la vie , je sens cette époque tout près de moi… »

Le long et vertueux chemin d’une Donna

« Lucia di Casablanca », ou « Lumière de Casablanca » est le titre du livre témoignage qui décrit l’histoire posthume de Valeria Degl’Innocenti. Une citoyenne italienne dont le destin exceptionnel nous interpelle. Née en 1914 à Nice, mais partie en Florence ( Firenze), vivant dans des conditions modestes voire pauvres, elle connaîtra en revanche par la suite une vie riche en projets, cahoteuse par ses voyages et ses rencontres, elle sillonnera l’Europe, l’Amérique, l’Afrique, avant de se fixer au Maroc où elle fondera, au hasard d’une rencontre, une famille. Une vie en étoile, extatique dans ses découvertes et ses hasards, à la limite de la témérité. Elle quitte l’Italie, comme Ulysse en quête de liberté et de nouveauté, fuyant une Europe tentée par le démon des totalitarismes, le fascisme en Italie, le nazisme en Allemagne, en France et dans les pays de l’est.

Nulle voie possible que ce chemin du Sud, cette mare nostrum de la Méditerranée qui la conduiront cahin caha vers Casablanca où résidait une importante communauté italienne. Valeria Degl’Innocenti s’y installera pendant 3 ans, les yeux rivés à d’autres terres, notamment l’atlantique, le cœur battant et tourné sur les rives de New York.

Le hasard a fait que, engagée comme fille au pair pour s’occuper de la fille d’un consul d’Italie qui a assuré des postes tour à tour à l’Ile d’Elbe, en Yougoslavie, en Suisse, au Danemark, aux Etats-Unis, au Canada et enfin au Maroc, elle voyagera et arpentera les pays et les cultures. Le Français, l’Italien, l’Anglais voire l’Arabe ont été les langues de communication que Valeria pratiquait couramment et qui lui servirent de clé vitale pour entrer dans le temple des civilisations et des cultures.

Et puis soudain la lumière de Casablanca

En 1931, Valeria débarque au petit port de Casablanca, chantier en plein chambardement qui préfigurait déjà de la grandeur et de l’activité de cette ville. Ville de lumière, elle l’impressionnera au premier abord au point qu’elle lâchera plus tard cette phrase si suggestive : «  Je regardais devant moi, étonnée et me demandais : mais où sont le désert, les fauves, le beau cheikh style Valentino ? Sous le soleil éclatant, une ville blanche, Casablanca m’apparut, elle n’avait rien de ce Maroc que je m’imaginais… » ! Trois ans après, le Consul d’Italie nommé au Canada, elle fit ses valises et quitte le Maroc pour le suivre pendant trois ans encore.

La jeune gouvernante a 19 ans quand elle débarque dans ce pays du froid où elle passera trois ans. En 1936, avec 100 dollars en poche, elle quittera seule le Canada pour franchir la frontière américaine et se rendre à New York, ville culte, entre puissance et frivolité. Elle y exercera plusieurs activités, acceptera des emplois de fortune, de fleuriste jusqu’à speakerine de radio. Mais c’est le théâtre qui l’attirera, la scène et les planches qui révéleront son talent, notamment à Brodway où elle est engagée. En 1949, lasse de la vie new-yorkaise, elle décide de retourner en Europe pour visiter sa famille qu’elle n’a pas vue depuis quatorze ans. Le hasard et la découverte d’une tuberculose l’assignent à Casablanca où elle se fixe plusieurs années et l’obligent même à y organiser sa vie.

Forte de ses convictions

C’est là que le destin lui trace une autre feuille de route : la rencontre avec un homme qui sera son compagnon et son mari, lui donnera des enfants et la fixera même dans sa vie nouvelle. Mais qui la quittera en 1961 avec trois enfants admirables. Elle se retrouve seule, mais non démunie, riche de son ancrage culturel, forte de son expérience, protégée par ses convictions de femme libre et de militante. « Je m’étais libérée d’un mari qui m’avait ôté toute personnalité, ma confiance dans l’avenir…J’ai appris à vivre sans. J’avais survécu, j’ai découvert que l’on pouvait très bien vivre sans l’homme, cet animal qui se croit le nombril du monde »…

On ne s’étonnera pas que Valeria ait adopté ce ton, qui est celui d’une combattante contre la vie et la douleur. Qu’elle serve même d’exemple de militante féministe, à une époque où, d’une humiliation à une exclusion, la femme à travers le monde bataillait pour ses droits et sa dignité.

Valeria Degl’Innocenti incarnait la pionnière de cette épique bataille, et les hommages qui lui sont rendus à présent, en Italie, comme au Maroc et ailleurs constituent une communion émotive. Elle décède à Casablanca en 2004 à 90 ans , entourée de ses enfants et de ses amis, laissant l’indélébile souvenir d’une Italienne qui, animée par son seul courage, la conviction heureuse chevillée au corps, illustrait à l’époque déjà le phénomène de l’immigration.

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