Procès des terroristes du 13 novembre 2015 : Un procès du « dérèglement politique du Monde »

Par Taoufiq Boudchiche ( Economiste)

Un ancien Président de la République, François Hollande,  et un ancien ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, appelés à la barre comme témoins.

Le procès qui s’ouvre cette semaine (8 septembre 2021) des 20 accusés des attentats, dits du « 13 novembre 2015 », dont 14 accusés sont présents parmi les survivants,  va occuper l’actualité en France pendant les 9 prochains mois. Les attentats perpétrés à plusieurs endroits de Paris par les trois commandos identifiés, ont provoqué 130 morts et 350 blessés. L’hypothèse d’un quatrième commando qui prévoyait d’agir dans le métro qui n’aurait pas aboutie, a été également évoquée par les services de sécurité. Une durée en jours d’audiences exceptionnelle, voire inédite, quasi-historique.

Un moment de justice très attendu, par toutes les parties concernées

Attendu, aussi bien, par les 2.200 parties civiles représentant les victimes innocentes directes et indirectes de ce massacre sans nom, que par les autorités politiques et judiciaires qui tenteront d’examiner « le pourquoi et le comment » de cette tragédie ayant pu se dérouler au cœur de Paris. Mais aussi,  attendue par l’opinion publique pour comprendre ce qui peut conduire à ces « actes de guerre et de terreur de masse» par des jeunes au cœur des villes dont ils sont parfois issus et contre des innocents. Des journalistes et médias du monde entier seront là.

Il y a dans l’atmosphère de ce procès, tous les ingrédients d’un suspense juridique et judiciaire en raison du silence et du mutisme de l’un des principaux accusés, Salah Abdesslam, Franco-Marocain né à Molenboëk, en 1989 en Belgique. L’intéressé, parce qu’il n’avait pas déclenché sa ceinture explosive, retrouvée par la police sur les lieux de l’attentat, serait le seul survivant des trois commandos du 13 novembre 2015. Il a été arrêté quelques jours plus tard en Belgique. Des interrogations subsistent sur la raison de l’abandon de sa ceinture explosive ; Instinct de survie ? Instructions de dernière minute des donneurs d’ordre ? Défaillance technique du mécanisme explosif ?  Remords ?

Le risque de transformer le procès en « tribune politique » pour les terroristes

De la réponse aux questions ci-haut, dépendra une bonne partie du déroulement du procès. S’il Abdesslam Salah, n’a dévoilé aucun début de réponse depuis plus de 5 ans de détention, les observateurs douteraient de le voir changer d’avis pendant le procès. Les commentaires de magistrats spécialisés, indiquent que rares sont les terroristes jugés auparavant sur d’autres affaires qui auraient, semble-t-il, permis par leurs aveux, de revenir avec remords et regrets sur leurs méfaits. Pour certains, le tribunal, pourrait même offrir une « tribune politique » pour justifier leurs actes criminels. Ce qui sera une souffrance supplémentaire pour les proches des victimes et des survivants.

→ Lire aussi : Un procès hors norme pour les attentats du 13 Novembre, les plus meurtriers jamais commis en France

Pour un exemple proche de nous,  évoquons le procès en 2019 au Maroc, des trois terroristes qui avaient décapité au nom du groupe Etat islamique, deux jeunes touristes, une citoyenne Danoise et une Norvégienne, en décembre 2018, alors qu’elles campaient dans le Haut-Atlas. La presse avait rapporté à l’époque, que le chef présumé de la cellule radicalisée, ainsi que les deux autres co-accusés, s’étaient non sans fierté, adressés aux juges de la cour d’appel de Salé avant le délibéré en déclarant « si vous nous condamnez, exécutez-nous, je vous excommunie, je ne crois ni en vos lois ni dans les droits humains ». Ils ont été condamnés à la peine capitale.

L’espoir d’un procès du Jihadisme international et de son contexte international

Au-delà de la qualification juridique et pénale qui sera appliquée aux actes des  terroristes du 13 novembre, celui-ci fera nécessairement une place dans les débats aux éléments de compréhension, de cette jeunesse perdue qui tombe dans les mailles du terrorisme international.

Probablement seront évoqués, l’itinéraire chaotique de ces enfants parfois issus de l’immigration, en proie aux problèmes identitaires et psychosociologiques qui virent vers le fanatisme religieux, également  leur cheminement à travers l’internet et les réseaux sociaux vers le « Jihadisme 2.0 », cette idéologie criminelle et meurtrière, venue du fonds des âges. Celle-ci étant entretenue savamment par certaines organisations et des Etats pour mobiliser sur une base fanatique et justifier l’obscurantisme et l’archaïsme politique et social de leur système sociétal. Idéologie marquante de ces dernières décennies qui ressort à l’occasion par des manipulateurs criminels de haut vol, cachés derrière leurs écrans numériques, pour être servie aux esprits vulnérables, comme la voie radicale du salut de leur âme. Il y aura aussi, en toile de fond, les guerres sans fin du Moyen-Orient qui impactent notre imaginaire collectif par leur violence et leur injustice.

Un ancien Président de la République et son ministre de l’Intérieur appelés en témoins à la barre

Le procès en cours, selon plusieurs commentaires, sera la réponse de la « démocratie » à la « barbarie », celle de la « règle de droit » face au « fanatisme religieux». Un ancien Président de la République, Monsieur François Hollande,  et un ancien ministre de l’Intérieur, Monsieur Bernard Cazeneuve, seront appelés à la barre comme témoins. Ils ne manqueront pas d’évoquer, notamment,  le contexte international de l’époque comme les guerres en Syrie et en Irak ainsi que les motifs de l’implication de la France dans ces conflits. Selon des témoins, l’un des « terroristes aurait déclaré pendant le massacre au Bataclan venger ses frères tués par la coalition occidentale en Syrie », dont faisait partie la France.

La France a-t-elle été visée en raison de son implication dans la Guerre en Syrie ?  Cette tragédie ne dévoilerait-t-elle pas le rôle complexe et les conséquences pour la France dans une région aux conflits imbriqués et complexes où les grandes puissances mondiales et régionales (Etats-Unis, Russie,  Chine, Arabie Saoudite, Turquie, Israël…) jouent un jeu dangereux d’alliances et de contre alliances.  Des conflits régionaux, qui aux yeux de nombre de  citoyens à travers le monde, semblent sans fin et sans succès finalement pour aucune des parties, sauf peut-être pour les vendeurs d’armes. Des conflits ayant conduit à un « dérèglement politique mondial majeur » et  qui auraient peut-être dû se régler diplomatiquement dans les enceintes internationales.

Le retour des Talibans en Afghanistan après en avoir été chassés 20 ans auparavant par une guerre longue et coûteuse en vies sacrifiées, armes et finances aux montants vertigineux, est venu rappeler à la communauté internationale, que les réponses militaires ne sont pas la panacée.

Un procès soigneusement préparé pour l’histoire

Souhaitons que ce procès extrêmement bien préparé sur le plan de l’enquête judiciaire et des informations collectées sur ces évènements tragiques, puisse apporter à travers les débats et témoignages, aux proches des victimes les éclairages nécessaires pour mieux comprendre les évènements et les aider à apaiser un tant soit peu leurs souffrances. S’il permettra en plus d’éviter, par les enseignements à en tirer, sur le plan sociétal, de nouveaux drames et de nouvelles tragédies, en faisant prendre conscience à la jeunesse l’impasse auquel conduit le fanatisme religieux et la violence extrémiste,  ce procès aura contribué à jouer son rôle historique et honorer en quelque sorte la mémoire des victimes. La menace terroriste continue de peser sur le Monde telle une épée de Damoclès ainsi que le risque de voir notre jeunesse vulnérable être la proie des organisations criminelles instrumentalisant la religion aux fins mafieuses pour en faire de la chair à canon.

Un procès qui coïncidera avec la période de  la prochaine présidentielle en France

Ce procès va également coïncider avec la période de la campagne présidentielle de 2022 qui se tiendra en Mai 2022. Il y aura certainement un besoin d’unité et surtout beaucoup de dignité et de hauteur pour que ce procès ne soit pas récupéré politiquement.

Le décor thématique de la prochaine présidentielle a été planté depuis plusieurs mois. Il y a bien sûr la sortie de crise sanitaire mais aussi des thèmes clivants et stigmatisants comme celui du « séparatisme », ou la « sécurité dans les banlieues », celui de la « lutte contre les cartels de la drogue », l’immigration, etc. Il ne faudrait pas que le procès soit le prétexte pour tous les populistes et extrémistes de tous bords afin de profiter d’un calendrier politique chargé pour en rajouter. Mais certains ne pourront s’en empêcher.

Un procès pour faire valoir l’apaisement et la résilience pour les victimes

Au delà des malheurs et de la souffrance de ces évènements, évoquons certaines initiatives courageuses, telles que celle de l’histoire racontée dans l’ouvrage intitulé « il nous reste les mots » paru en 2018, dans lequel deux pères, que tout devrait opposer, dialoguent sur leurs souffrances mutuelles. Celle d’Azzedine Amimour, père de l’un des assaillants. Il raconte combien cette tragédie provoque en lui souffrance et chagrin pour les victimes en tant que père, ne comprenant pas les actes assassins de son fils. Il avait cru, selon ses propos, avoir fait le nécessaire pour bien l’éduquer. Mais  qui est ensuite tombé dans les mailles du « Jihadisme » sans qu’il puisse rien faire pour l’en sortir. Et celle, de Georges Salines, père d’une jeune fille, victime des attentats disparue à l’âge de 28 ans. Ils racontent à eux deux l’histoire de deux souffrances qui se rencontrent pour outrepasser les sentiments de haine et finissent par se lier d’amitié, victimes d’une tragédie commune.

Ainsi va le « Jihadisme des temps modernes», une machine à broyer des vies innocentes et à rajouter au «malheur du Monde » incluant le monde musulman

A l’analyse politique du « Jihadisme », cette idéologie mortifère, sortie de la tête de ténébreux idéologues, sous couvert religieux,  semant exclusivement,  drames et souffrances jusqu’à la chair des familles des terroristes eux-mêmes. Ces terroristes, souvent jeunes, voire très jeunes, à peine sortis de l’adolescence, entraînés par leur inconscience, souvent également par  leur faible niveau d’instruction, sont recrutés par des organisations criminelles pour de sombres desseins politiques. Idéologie qui est au final, vouée à l’indignité et  à l’échec politique. Elle ne fait que rajouter au « malheur du monde » et à « son dérèglement ». Pour le monde arabe et musulman, elle a provoqué comme jamais auparavant, le retour des armées impériales étrangères sur les terres d’Islam et fragilisé de manière durable le monde arabo-musulman qui peinera à se relever de ses épreuves.

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