La qualité, maillon faible des télévisions nationales marocaines?

Dossier du mois

Des experts nous livrent leur avis

Ahmed Malki, journaliste TV & animateur radio

L e rôle de la télévision telle qu’on la connaissait est nettement amoindri aujourd’hui à cause de l’émergence de tous ces nouveaux médias et  réseaux de communications présents sur le web et par satellite. En fait la télévision existe et continuera d’exister. Elle a simplement pris d’autres formes pour devenir une sorte de supermarché où l’on se sert à sa guise. L’arrivée des chaînes spécialisées, la télé à la carte, les émissions sur le web et la possibilité de ne plus avoir de contraintes d’horaire pour regarder le programme de son choix a complètement transformé les habitudes. Le nombre de téléspectateurs a connu une chute vertigineuse partout dans le monde entraînant une forte baisse de revenus. Il s’agit d’un véritable séisme qui a déstabilisé la plupart des grands réseaux comme la BBC qui a dû licencier des milliers d’employés et abandonné la production de certains reportages et de documentaires qui faisaient sa notoriété. Au Maroc, la télévision n’a jamais pu remplir son rôle éducatif, rassembleur faute de moyens bien sûr, mais aussi à cause d’erreurs disons-le plus politiques. Il y a longtemps qu’on aurait dû se rendre compte que pour faire passer efficacement un message, il fallait le faire dans la langue comprise par la majorité. C’est pour cela que je salue aujourd’hui l’utilisation, de plus en plus, de la Darija. Mais à mon humble avis, ce n’est pas encore suffisant. Il faut oser davantage. Lorsqu’on persiste encore à s’adresser aux marocains en arabe classique, le message ne parvient pas à la majorité. Et puis il y a encore la censure, les tabous, les contraintes et orientations imposées au nom de la religion. Quand va-t-on comprendre que la foi est une affaire personnelle et qu’elle ne doit pas devenir une entrave à la liberté individuelle ? Mais je m’arrête là au risque de me retrouver sur un terrain glissant….. Que les Marocains accèdent aux chaînes satellitaires ou sur le web ne peut être que bénéfique. Il faut reconnaître que 2M ou la première chaîne n’ont pas les moyens d’Al Jazirah ou de CNN. Il faudra du temps et de l’argent pour que des chaînes marocaines émergent de la toile ou des satellites pour les concurrencer. Personnellement, je suis absent du paysage médiatique marocain depuis longtemps mais je dois saluer l’évolution du cinéma au Maroc, qui était moribond, il y a 25 ou 30 ans. La radio et la télévision n’ont, malheureusement, pas connu la même accélération à part quelques programmes qui se sont démarqués, depuis quelques années, en donnant la possibilité d’une plus grande liberté d’expression et d’un esprit plus critique.

N’oublions pas la période de grande censure il n’y a pas si longtemps, lorsque la première chaîne de télévision et de radio, la RTM, était gérée par le ministère de l’intérieur à la manière d’un poste de police alors que Médi 1 et 2M, à leurs débuts, jouissaient d’une plus grande liberté et disposaient de plus gros moyens.

Ce genre de situation a entraîné la fuite de cerveaux dans bien des domaines. Il est vrai que la radio et la télévision ont connu leur heure de gloire à une époque où elles étaient les seuls à nous divertir et à nous informer. Mais, aujourd’hui, le public est plus exigeant parce qu’il dispose d’un choix presqu’infini. Et les médias sociaux, devenus un fantastique outil d’échange d’informations continuent de nous surprendre à la vitesse de l’éclair. Le fait d’avoir accès à d’autres véhicules d’information et de divertissement permettra, je l’espère, une plus grande ouverture d’esprit à une époque où l’islamisme et le fondamentalisme font peur et nuisent à l’islam, en plus d’être un obstacle à une programmation culturelle et pédagogique émancipatrice. Il est certain que la télévision, quelle que soit sa forme, a un rôle pédagogique à remplir, et l’utilisation d’un dialecte compris par tous et toutes en est le maillon essentiel. Il en est de même pour la réforme de l’enseignement, il y a plus de 40 ans et qui a été, on est nombreux à le reconnaître, un échec total qu’on tente heureusement, aujourd’hui, de corriger. Et la télévision marocaine pourrait combler en partie cet échec, grâce notamment à des émissions d’utilité publique, qui adressent sans tabous ni dogme les problèmes de la société. Elle pourrait jouer un rôle éducatif pour diminuer le nombre anormalement élevé d’accidents de la route, mettre en garde contre les ravages causés par la cigarette et j’en passe. Si nous avons vu apparaître des émissions de sensibilisation aux problèmes des déchets domestiques ou des plages, les questions telles l’alcoolisme, la prostitution, les violences et discriminations envers les femmes, la maltraitance des enfants et la radicalisation d’une grande partie de la société restent boudées ou traitées superficiellement. Ce ne sont là que quelques exemples des grands maux de la société marocaine qui n’ont pas l’attention nécessaire à cause de la censure et des tabous. Par ailleurs, l’évolution extraordinaire d’internet et des médias sociaux est telle que la télévision traditionnelle se retrouve à la traîne et tente d’embarquer à bord d’un train à pleine vitesse. Tout le monde semble dépassé. C’est extraordinaire la rapidité à laquelle l’information circule. L’accès facile aux nouveaux médias et la liberté relative qu’ils procurent permettent de compenser, à bien des égards, le mutisme et la censure qui gangrènent l’information à la télévision marocaine. Mais peut-on tout dire et tout diffuser ? Pensez-vous qu’on ait d’autre choix que de tout dire, de tout montrer? Pas pour l’instant en tous cas, car le public a les moyens d’aller s’informer là où il veut, quand il veut. Et en ce moment, nous n’arrivons pas à contrôler tout ce qui est publié sur internet et qui contribue à une grande déstabilisation de nos sociétés. Ce n’est pas l’information qu’il faut réduire ou «adapter», ce sont les mentalités et intelligences populaires qu’il faut faire progresser pour que le public sache faire la part des choses.

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