Que se passe-t-il entre le Maroc et la Mauritanie ?

Par Hassan Alaoui

Depuis quelque temps courent, tantôt ouvertement, tantôt en catimini bien nourri les rumeurs les plus contradictoires sur un malaise voire une crise latente entre le Royaume du Maroc et la Mauritanie.

A ces rumeurs – qui pourraient éventuellement être confirmées – répondent les mêmes voix avec une remarquable constance : la Mauritanie serait en train d’opérer un double tournant à la fois dans sa relation fraternelle avec le Maroc et dans un réaménagement parallèle et inédit de ses rapports avec l’Algérie. Et les arguments, visibles et subrepticement implicites plaident assez dans ce sens pour ne pas attirer notre attention et nous appeler à une vigilance impérieuse, mais aussi à raison garder.

Pourtant, pourtant rien n’est moins sûr qu’un brutal changement de cap mauritanien envers le Maroc, des indices concordent dans ce qu’il conviendrait d’appeler un éventuel renversement d’alliances du gouvernement mauritanien. Tout au début du mois d’avril , Ismail Ould Cheikh Ahmed, ministre mauritanien des Affaires étrangères a effectué un voyage à Alger porteur d’un message – écrit et verbal a-t-on dit – du président Mohamed Cheikh Ghazouani au président algérien Abdelmajid Tebboune. Le contenu de ce message , selon le diplomate mauritanien, exalte fraternité et reconnaissance du gouvernement mauritanien envers son homologue algérien. Il n’avait pas de mots assez expressifs pour rendre hommage au président algérien, mettant en exergue l’accord entre les deux pays sur la Route Tindouf-Zouerate, qui sera achevée sou peu selon lui, la coopération économique et commerciale, celle portant sur la « sécurité » et la décision prise d’un commun accord au niveau des chefs d’Etat pour ouvrir un cycle de visites réciproques des délégations des deux pays avec, à la clé, un renforcement des échanges entre les chefs de la diplomatie des deux pays.

Ce dernier point est d’autant plus significatif qu’il nous interpelle. L’Algérie et la Mauritanie auraient-elles donc mis en place un projet commun de coordination de leur diplomatie ? Rien ne nous étonnerait, en effet, dès lors que de nos jours l’économie et le commerce constituent le premier et initial sol  – « spirituel » diraient certains – ou le socle sur lequel s’appuierait l’action diplomatique. La petite histoire des fruits et légumes en provenance du Maroc rejetés par le gouvernement de Mauritanie nous en dit long , à vrai dire, sur les interprétations nombreuses, les unes justifiées et les autres hasardeuses, auxquelles se livrent commentateurs, analystes et simples curieux.

Le ministre des Affaires étrangères de Mauritanie, tout à sa ferveur manifeste, s’est lancé dans un plaidoyer pro domo plus que chaleureux de la nouvelle fraternité algéro-mauritanienne, mettant l’accent en particulier sur le soutien sanitaire que son pays reçoit de l’Algérie, notamment pour faire face à la pandémie du Covid-19. Curieusement, le même ministre a oublié ou feint d’oublier que la Mauritanie a constitué l’un des quinze pays africains prioritaires à bénéficier du soutien sanitaire anti-Covid-19 du Royaume du Maroc dès le mois de…juin 2020. C’est peu dire qu’il s’agit-là de deux poids, deux mesures, à moins qu’il faille y avoir une volonté délibérée apparentée à un message, celui d’occulter le Maroc.

Soit ! La période que nous vivons en ces temps troubles nous incline à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Plus que jamais on ressent le poids de l’histoire qui a ses propres codes et la géographie qui la sous-tend . La Mauritanie et le Maroc n’ont jamais été aussi proches, liés voire complices que ces dernières quarante années.  A preuve : des milliers de kilomètres constituent la frontière commune entre le Maroc et la Mauritanie et ce sont seulement 463 kilomètres qui délimitent celle de cette dernière avec l’Algérie prolongée et fondue quant à elle vers le Mali. Tant et si bien que tout projet ferroviaire commun aux deux pays s’il y a, devra « enfoncer » un couloir étroit malgré tout et frôler la frontière méridionale du territoire marocain. Il traversera les profondeurs de la Mauritanie avant d’atteindre Nouadhibou, ville de façade atlantique reluquée et prise en « otage » par une vision fantasmatique du gouvernement algérien.

Or, celui-ci, non content de bénéficier d’une superficie qui dépasse l’entendement, aux dépens du Royaume du Maroc morcelé et dépecé par deux colonialismes, ambitionne encore de grignoter les territoires de l’ouest de notre pays. La Mauritanie a une superficie de plus de 1.03 million de kilomètres carrés et l’Algérie de 2,382 km2 dont près de la moitié sont constitués de territoires spoliés au Maroc, autrement dit tout le sud-est algérien que la France lui a délibérément concédé en 1962. Rien ni personne au monde ne contestera cette rupture géographique contre le Maroc, devenue une autre réalité géopolitique après l’indépendance de l’Algérie.

Notre pays qui a si chèrement payé le tribut des partages injustes et des traités léonins des puissances coloniales a vu donc se reproduire le même schéma d’occupation et d’expansionnisme à partir de 1962. Le tropisme atlantiste qui dévore les dirigeants algériens n’est que la continuité de leur irrésistible détermination à couper le Royaume de ses racines africaines, donc des fondements de son histoire plus que millénaire et de sa mémoire enracinée dans le creuset continental. Les géopoliticiens ne peuvent pas ne pas voir dans cette stratégie algérienne une rédhibitoire volonté d’encerclement du Royaume par la voie de la Mauritanie qui, il y a quelques années, faisait l’objet d’insultes, de récriminations et de menaces de Boumediene et de ses stipendiés. A présent, les intérêts économiques pour la Mauritanie et expansionnistes pour l’Algérie les poussent à un rapprochement contre nature, ne reposant sur aucune base, invoquant un dessein inavoué : isoler le Royaume du Maroc.

« L’histoire ne se répète pas, mais elle bégaie » disait Marx ! Non que nous soyons tentés de dresser des comparaisons fastidieuses , mais nous sommes en train de vivre une époque semblable à celle de la fin des années soixante-dix, lorsqu’un certain Khouna Ould Haidallah , officier chamarré de son état, a pris le pouvoir suite à un pronunciamiento contre Mokhtar Ould Daddah. A peine installé dans son palais à Nouakchott, il s’est précipité à la grande joie du gouvernement algérien pour signer le 5 août à Alger le fameux et sinistre « Traité de paix » avec le polisario que l’on appellera « l’Accord d’Alger ». Un accord de dupes, bien entendu, qui comprenait comme clause « l’abandon pur et simple par la Mauritanie de la partie sud du Sahara qu’elle contrôlait en vertu de l’Accord tripartite » signé le 14 novembre 1975 à Madrid avec le Maroc et l’Espagne. L’Accord d’Alger du 5 août 1979 , concocté par le gouvernement algérien sous la présidence de Chadli Bendjedid constituait évidemment, outre un défi une réelle menace pour le Maroc et son intégrité territoriale qui voyait la province de Oued Eddahab ( Rio de Oro) lui échapper tour de go. L’accord stipulait entre autres clauses : « La Mauritanie s’engage à mettre fin à sa présence au Sahara occidental et à remettre directement au Front polisario la partie du Sahara occidental qu’elle contrôle dans un délai de 7 mois, à compter de la date de signature du présent accord ».

Qu’à cela ne tienne : neuf jours plus tard, prenant acte de cette duperie, le Maroc dans un incomparable élan de génie du Roi Hassan II , reprit ses provinces du sud et coupa court aux desseins de l’Algérie, de la Mauritanie de Khouna Ould Haidallah et d’un polisario relégué dans le no man’s land de l’est , isolé tout de suite après derrière l’imprescriptible Mur de défense que les FAR érigèrent. Depuis lors,  rien n’est venu modifier les termes de l’amitié fraternelle maroco-mauritanienne, gravée dans le marbre de l’histoire, de l’estime réciproque. Cette elliptique métaphore d’une Mauritanie « maillon faible » n’a jamais constitué la réalité d’un pays et d’un peuple qui se fraye sa propre voie, qui a constamment compté sur le soutien du Royaume du Maroc et avec lequel voisinage fraternel et partenariat illustre un modèle de partage à nul autre pareil.

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