Rabat capitale de la culture africaine ou quand le Maroc retrouve sa maison

Entretien avec Khalid Taner, expert culturel international

Par Farida Moha

A Dakar où vient de se tenir la 14eme édition de la Biennale de l’art, comme aux « Ateliers de la pensée » les conclusions sont partagées par tous : l’Afrique doit  retrouver le pouvoir de se décrire elle-même, de se nommer elle-même, de s’interpréter elle-même afin de s’ouvrir et émerger au monde.

A Rabat, au dernier Salon  du livre  lors du débat sur la promotion des cultures africaines, l’écrivain Eugène Ebodé souligne l’importance de la restitution des biens culturels à l’Afrique, à Fès au festival des Musiques sacrées, à la Conférence « Dialogue de Tanger »l’importance de l’échange cultuel est mis en exergue par les différents intervenants. A Tanger précisément, Antony Blinker, Secrétaire d’Etat américain qualifie le Maroc de « pont entre les civilisations » quand Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères appelle au dialogue entre l’Occident et le monde musulman.

Le message de l’importance de la culture est entendu depuis longtemps par Khalid Tamek. Franco marocain né à Casablanca,  expert culturel international, créateur de festivals à Paris, Bamako, Marrakech,  Montréal, premier président marocain de la Commission internationale du théâtre francophone, vice-président de la Marrakech Biennale et membre du comité  international du MASA, festival des arts vivants africains organisés à Abidjan. Il est l’un des initiateurs des Capitales africaines de la Culture. Entretien

  • Maroc diplomatique: Un mot peut-être sur vous-même au détour d’un parcours extrêmement riche qui vous mène de Casablanca à Montréal en passant par Paris Bamako Marrakech ?

Khalid Tamek : Pour l’exprimer de manière simple, je dirai que je suis un expert culturel faisant partie de la culture africaine qui est très riche et qui souvent manque d’outils pour ce faire. Un de ces outils c’est le projet de Capitales Africaines de la Culture que nous avons essayé de mettre en place depuis 2014. A l’époque c’était un projet de l’Union Africaine qui sera  repris ensuite par plusieurs opérateurs culturels à la suite de réunion en Côte d’Ivoire au Ghana en Afrique du Sud. C’est en 2014 que nous avons pensé qu’il serait plus intéressant que ce soit les villes qui portent le projet et le programme avec un accompagnement du ministère de la culture. Cet accompagnement est primordial et donne tout son sens à l’initiative.

  • Rabat Capitale de la culture africaine est donc lancé, c’est la première édition avec tous les défis que cela comporte ?

Il faut travailler sur la structuration de l’évènement. Le Maroc est bien habité de ce côté tant au niveau des infrastructures culturelles que de sa position de pays ouvert, carrefour des civilisations arabes africaines et européenne, multiculturel..J’avais été agréablement surpris à mon retour au Maroc par la profusion des équipements culturels .A Rabat, il y a u n potentiel important avec le Musée Mohamed VI, l’Académie royale, les Universités, le nouveau théâtre qui se met en place, l’Ecole du Cirque, l’Ecole du cinéma.. .L’évènement de Rabat Capitale de la culture africaine donnera une plus grande visibilité à ce potentiel non seulement en Afrique mais dans le monde, car la culture est partout. Rabat peut devenir un Hub de diagnostic ,de réflexion ,de construction de création de la culture africaine durant cette année .Ce qui nous permettra de faire le point pour savoir où nous en sommes et où voulons nous aller et par quels moyens et quels outils .

  • On observe de fortes inflexions dans le domaine de la culture. Il y a le débat sur la restitution du patrimoine culturel africain, restitution présentée comme un enjeux de la refondation culturelle mondiale, il y a une prise de conscience  de l’importance de la culture dans le développement des pays. Comment observez-vous ces inflexions ?

On constate l’émergence de toute une dynamique avec une prise de conscience des chefs d’Etat. L’un des premiers gestes de Macky Sall arrivé au pouvoir, c’est d’avoir mis en place un budget pour la Biennale de Dakar, l’une des plus grandes biennales de l’Afrique de l’Ouest sur l’Art contemporain. Le Maroc a été invité d’honneur et cette biennale donne une visibilité aux œuvres des nouvelles générations d’artistes du continent et des diasporas établies dans le monde entier. L’Union africaine évoque les diasporas comme étant le 6ème continent. Sa Majesté le Roi a également beaucoup investi dans la culture, dans l’Art plastique érigeant la diplomatie culturelle à son plus haut niveau. Durant la période du COVID, on s’est rendu compte que la culture est aussi un marché. Des entrepreneurs culturels ont travaillé sur le numérique engrangeant des droits d’auteur. Il faut travailler pour que nos artistes aient les possibilités de vivre de leur art, de manière autonome. Et ce dans tous les domaine : architecture, nourriture, habits, patrimoine qui doit revenir en Afrique. Le débat sur la restitution de ce patrimoine n’est pas récent, le président Senghor et le président Wade à travers le festival panafricain ont lancé la réflexion. Celle-ci doit être pensée avec des politiques en intelligence collective avec les artistes, les élus. J’espère que l’initiative de Rabat capitale de la culture africaine donnera le ton et la possibilité aux autres capitales africaines de s’inscrire sur la structuration de mobilité des artistes. Il y a 54 Etats en Afrique, plus les Seychelles, l’ile Maurice, les Comores, donc un grand marché culturel africain à construire qui passe par la levée des visas pour les artistes

  • Vous évoquez l’ouverture de la culture africaine au monde. Comment et avec quels outils et y a-t-il une acceptation de l’Occident de l’émergence de la culture africaine ?

L’un des maillons de cette ouverture ce sont les diasporas. Mon père est marocain, j’ai grandi en France comme Jamal Debbouze et tant d’autres. Nous sommes riches d’une double identité et ce sont ces membres de la diaspora qui pourront servir de pont car ils sont ici et là-bas et ils pourront construire cette dynamique. Ils représentent l’espoir de ce souffle nouveau qui peut transcender toutes les résistances. La culture, il faut le rappeler ce n’est pas seulement le théâtre ou la danse, c’est global et cela concerne la gastronomie, la mode. Nous pouvons avec les élus , le secteur public , le secteur privé construire une réflexion sur l’importance de la culture. En synergie et en intelligence collective et avec la volonté royale ,Rabat peut donner le ton. Mawazine a apporté une première structuration. Il ne faut pas oublier comme le rappelle Jean Pierre Mbassy que les  Américains ne se déplacent  pas s’il n’y pas un aéroport et un hôpital dans la ville. Tout cela fait partie de ce que j’appelle la structuration composée de plusieurs maillions qui feront la réussite de l’évènement. Rabat est une ville structurée qui a tous les maillions pour un devenir de capitale culturelle et pour faire de la culture africaine un outil intelligent en faisant venir les experts et les artistes  africains. Il faudra se rappeler que l’Afrique n’est pas seulement francophone mais aussi anglophone , lusophone et arabophone. Et qu’en Afrique, il y a plus de mille langues déclinées par les populations , c’est notre patrimoine .

  • Si au terme de l’année 2023 on évoque le succès de Rabat capitale de la culture africaine, quel serait l’objectif qui porterait ce succès ?

Le programme de cette année, c’est de suivre la parole de Sa Majesté quand en 2017 au retour du Royaume à  l’Union Africaine il dit tout son bonheur de retrouver sa famille et le Maroc qui retrouve sa maison. Rappelez-vous ces mots très forts « il est beau le jour où l’on rentre chez soi après une longue absence .Il est beau le jour  où l’on porte son cœur vers le foyer aimé  L’Afrique est mon continent et ma Maison »Réussir à Rabat , cela veut dire que le Maroc retrouve son africanité à travers les échanges ,les émotions ,les vibrations de l’Art et de la Culture .Si demain par exemple , les programmes scolaires intègrent les auteurs africains, comme Sengho, Cheikh Anta Diop, Chinua Acheb, Mariama Ba Hampathé Mba ….et tant d’autres ,intègrent les contes car  ne l’oublions pas nous sommes des peuples de l’oralité, on aura réussi. Le plus important c’est de planter à Rabat les graines pour avoir des baobabs dans cette belle capitale africaine.

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