Réforme du système de retraite : À l’aube des premières contestations

Par Kenza El Rahna

Alors que les manifestations battent leur plein et que les contestations se multiplient en France au sujet de la réforme des retraites, il s’avérerait que le débat ne concernerait pas que nos voisins européens à la population vieillissante. Au Maroc, c’est le branle-bas au sein de l’Exécutif en ce qui concerne la réforme du système des retraites, une réforme que les gouvernements se transmettent de mandats en mandats depuis plusieurs années.

Présenté comme le chantier prioritaire de l’année 2023, les discussions préliminaires laissent à penser que le bout du tunnel est encore loin. Et pour cause, les syndicats sont farouchement décidés à rejeter les premières recommandations qui leur ont été exposées et particulièrement celle d’un recul de l’âge de départ à 65 ans. Dans ce climat tendu, Nadia Fettah Alaoui, ministre de l’Économie et des finances, a annoncé l’organisation d’une nouvelle réunion de la commission le 14 février 2023. Une rencontre entre le gouvernement et des syndicats qui contestent la réforme, le contenu de son étude et sa mise en place hâtive.

La réforme du système des retraites marocain est un sujet délicat que le gouvernement Benkirane avait amorcé en 2013 avec la mise en place de la réforme type du système des retraites civiles qui, à travers le relèvement progressif de l’âge de départ à 63 ans et la hausse du taux de cotisation de 20 à 28 %, a permis de repousser l’horizon de la pérennité du système de 2022 à 2028. Si ces mesures ont principalement permis de gagner du temps, nous nous retrouvons aujourd’hui face aux mêmes problèmes. L’ensemble des caisses de retraite sont déficitaires et la population ne rajeunit pas. Lors de ces dernières projections, la Cour des comptes confirme qu’un risque de liquidité devrait apparaître dès 2023 et que les réserves seront officiellement épuisées à l’horizon 2026.

L’avalanche d’un système

Menacés de faillites, la Caisse marocaine des retraites (CMR) et le Régime Collectif  d’Allocation de Retraites (RCAR), qui s’occupent tous deux des employés issus du secteur public, ont respectivement un déficit de 7,8 et 3,3 milliards de dirhams. La Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et ses 3,5 millions de salariés dans le secteur privé, profite de conditions plus favorables, avec un déficit de 375 millions de dirhams qu’il lui assurerait un bon fonctionnement jusqu’en 2038. Face à cela, des écarts importants entre les pensions attribuées aux employés du public et du privé demeurent importantes, avec en moyenne  7 873 contre 5 678 dirhams par mois.

Face à cela, le Maroc achève sa transition démographique. Entamée vers le milieu des années 70, on assiste maintenant à une baisse inexorable du taux de fécondité, qui gravite actuellement autour de 2,1 enfants par femme et tout juste 1,9 en milieu urbain. Selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), le vieillissement de la population marocaine prend de l’ampleur avec 4,3 millions de personnes âgées de plus de 60 ans en 2021, soit 11,7 % de la population. L’augmentation du taux de célibat et le retard de l’âge moyen du premier mariage, sont autant de facteurs qui ne disent rien qui vaille.

Une réforme aux dispositions difficiles

Pour garantir la durabilité des caisses et prévenir l’inversion de la courbe démographique, l’Exécutif entend mener une réforme en profondeur. Une première étude commandée par le Chef du Gouvernement recommande la mise en place progressive des mesures suivantes : recul de l’âge de départ à la retraite à 65 ans tout secteur confondu, gelée de la valorisation des pensions pendant 10 ans, hausse du taux de cotisations dans le secteur privé et adoption d’un plafond unifié de la pension vieillesse à raison de deux fois le SMIC pour le salaire de référence. Des mesures qui devraient prendre place lors de la transition attendue vers un pôle public et un pôle privé, tel que recommandé dans la réforme systémique des régimes de retraite.

À noter qu’en attendant la création de ce pôle public, chaque caisse révise ses règles de revalorisation selon les textes en vigueur. De ce fait, nous avons déjà pu assister, dès janvier 2023, à la révision du taux des pensions RCAR à 1,4 %, une baisse de moitié en comparaison avec 2021. Une mesure qui a provoqué inquiétude et contestation de la part des bénéficiaires, mais qui vient en application du décret n°2-20.935, approuvé en Conseil de gouvernement le 24 juin 2021. Si avant la réforme, le mode de calcul s’appuyait sur l’évolution du salaire moyen du régime, il est maintenant plafonné au taux d’inflation.

Autant de dispositions qui, selon le gouvernement, devraient permettre d’honorer les engagements financiers futurs et d’absorber une partie importante de la dette implicite du régime. Mais alors que l’Exécutif en est seulement aux premières étapes de concertation avec les partenaires sociaux et économiques, des contestations virulentes sont d’ores et déjà émises par les différents syndicats.

Un front syndical uni

Lors de la réunion préliminaire qui a réuni les représentants du gouvernement, des syndicats et de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM), tous se sont entendus en ce qui concerne la méthodologie et le calendrier des travaux du Comité de réforme du système des retraites. Mais dès la première réunion dudit comité, les syndicats ont rapidement exprimé leur refus de toute réforme qui passerait par le relèvement de l’âge de départ à la retraite et l’augmentation du taux de cotisation. Contestant l’étude commanditée par l’Exécutif, qui présenterait le relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans comme unique voie de sauvetage, les centrales syndicales se disent « prêtes à sortir dans la rue » et protester.

D’après Nadia Fettah Alaoui, « le gouvernement est déterminé à réformer le système des retraites en concertation avec tous les partenaires » et estime qu’il n’existe pas de « solutions faciles ». Mais en se retrouvant avec un âge de départ à la retraite similaire à ceux en vigueur en Suède ou en Espagne, des pays dans lesquels l’espérance de vie à la naissance est de 4 ans supérieure à la moyenne marocaine, l’Exécutif n’est visiblement pas au bout de ses peines. Qu’il s’agisse de la CDT, de l’UMT, du bras syndical de l’Istiqlal l’UGTM ou encore de l’UNTM affiliée au PJD, le rejet de toutes les recommandations actuelles faites par le gouvernement semble être la ligne de conduite de l’ensemble des représentants de la société civile.

Et si l’Exécutif criait au loup ?

Au fond, la question qui se pose est simple et légitime : pourquoi vouloir se conformer aux modèles que nous voyons appliquer, sans grandes réussites d’ailleurs, chez nos voisins européens lorsque notre société ne présente ni les mêmes problèmes ni les mêmes spécificités ?

Lorsqu’on se penche sur la situation démographique, nous pouvons bien évidemment constater un certain vieillissement de la population marocaine. Néanmoins, l’âge médian tablerait autour de 29 ans, bien loin des 43 ans français. Et si là encore, nous pourrions dire que la situation ne fera que s’accélérer et que nous nous retrouverons in fine face aux mêmes problématiques, une des spécificités de la population active marocaine est naturellement soulevée : le travail informel. Selon un rapport de la Banque Mondiale, 77 % de la main-d’œuvre marocaine ne serait pas déclarée et avec elle des millions de travailleurs qui ne cotisent donc pas. Si l’on venait à ajouter ses millions de jeunes aux caisses de retraite, on peut s’imaginer que cela soulagerait considérablement les déficits actuels.

Autre paramètre qui manque à l’étude faite par le gouvernement : l’augmentation de la productivité au travail. Économiquement, tout porte à dire que cette dernière devrait significativement augmenter lors des prochaines décennies. Si tel est le cas, les niveaux de richesses, de revenus et donc de cotisations connaîtraient également la même ascension.

Alors que le gouvernement compte parvenir à un accord d’ici le mois d’avril et la mise en œuvre d’une feuille de route à partir de mai, au plus tard septembre 2023, force est de constater que l’âge et l’augmentation des cotisations ne sont visiblement pas les seuls leviers sur lesquels la réforme du système des retraites marocain peut s’appuyer. Une réalité qui ne semple pas passer inaperçue.

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