Rétrospective : Revisiter le passé récent ou comment le Maroc a soutenu l’Algérie pour récupérer son Sahara

Pour mieux saisir la situation actuelle marquée par les derniers évènements de Guerguerate qui visaient à couper le Maroc de ses racines africaines, sans doute faudrait il remonter à un passé proche plein d’enseignements qui met en butte l’Algérie encore l’Algérie toujours…comme le souligne notre confrère Mustapha Sehimi qui ,dans l’un de ses articles,« la tentation aventuriste »…n’exclut pas une montée des périls. « Guerguérate, écrit-il, poste avancé dans la politique d’hostilité de l’Algérie au Maroc liée à une culture persistance de conflictualité pouvant donner forme à une tentative aventuriste avec des conséquences imprévisibles pouvant porter atteinte à la paix et a la sécurité de la région … »

L’une des dispositions de la nouvelle Constitution algérienne stipule en effet que l’ANP, peut désormais intervenir en dehors du territoire algérien. L’Article 94, alinéa 3 fixe les conditions de cette intervention. Un autre point appelle à la vigilance, car selon une source proche de l’ANP, l’Algérie considère que la question du Sahara « représente désormais une question souveraine, liée à la sécurité de la profondeur stratégique africaine ». Ces changements témoignent, en fait, de la position constante de l’Algérie, partie prenante directe dans le conflit du Sahara pour assurer son hégémonie en Afrique du Nord. Ils expliquent l’attitude du président Boumediene , rêvant de faire de son pays la Prusse de la région. 

A coup sûr et en examinant la logique des événements de Guerguerate qui durent depuis 2017, les prochains mois seront marqués par une recrudescence de « la stratégie des tensions » dans la région autour de la question du Sahara avec un régime qui n’aura de cesse « d’allumer les feux successifs et de les attiser » selon l’expression d’un ancien premier ministre algérien dans le but de créer une unité dans un pays fragmenté, divisé et sans capitaine de bateau …Avec des indicateurs d’urgence sanitaire, d’urgence politique, d’urgence économique et l’absence du président Tebboune, la stratégie du bouc émissaire ,en l’occurrence le Maroc, dit « l’ennemi traditionnel » cité par le général Saïd Chengriha est devenue officielle .

C’est pourtant cet ennemi qui aura joué un rôle déterminant dans le cours de l’histoire de l’Algérie dans un passé récent, complètement occulté par les livres d’histoire mais qui mériterait d’être revisité et enseigné aux jeunes et moins jeunes générations. Un passé où le Maroc aura fait preuve de solidarité et de fraternité pour préserver l’avenir du Maghreb . Un passé d’autant plus proche que les secrets-défense sur nombre d’archives vont être levés qui permettront de mieux comprendre les logiques et les postures actuelle du régime algérien.

Au début était l’OCRS

Au début du siècle dernier, sur la conquête du Sahara marquée par des accords internationaux de partage léonin de l’Afrique, il faudra retenir parmi les nombreuses séquences de l’empire colonial, la tentative de création d’une entité spécifique, savoir le «Sahara français » directement rattaché à la France métropolitaine et le plan de l’OCRS, l’organisation commune des régions sahariennes mis en place le 10 Janvier 1957. L’un des objectifs de cette entité était de sauvegarder le caractère unitaire du Sahara afin de permettre aux capitaux français de fructifier grâce aux mégaprojets élaborés dans les zones d’organisation industrielles africaines conçues pour la mise en valeur de cette région. Dans son article 1, le projet de loi OCRS soumis par Félix Houphouët Boigny, se fixait en effet comme objectif la mise en valeur de l’expansion économique et la promotion sociale des zones sahariennes de la République française à laquelle sont associés l’Algérie, la Mauritanie, le Soudan, le Niger, et le Tchad. Un ministère du Sahara est créé le 21 Juin 1957 confirmant le caractère politique de cette organisation et le 3 septembre 1959, c’est la création d’un commandement militaire unique.

Dans les faits et en dehors de quelques réalisations au Sahara nigérien et tchadien, l’OCRS développa exclusivement les départements des oasis de la Saoura qui recelaient d’énormes réserves de pétrole, de gaz et d’autres minerais. Dans son ouvrage, « Sahara, espaces géostratégiques et enjeux politiques», André Bourgeot note que la transformation d’un espace saharien en un territoire unifié représente une plateforme stratégique susceptible de contrecarrer la diffusion de foyers d’agitation. L’OCRS, institution à caractère politique colonial devait disparaître à la proclamation de l’indépendance algérienne non sans reprise de ce projet d’un Sahara français qui avait fait l’objet de l’ouvrage d’Alain Peyrefitte, ancien ministre français des Affaires étrangères sous le titre évocateur «Faut-il partager l’Algérie ?» aux éditions Plon . Dans son plan d’action, ce ministre évoquait le Sahara français en se demandant «pourquoi le droit à l’autodétermination serait-il refusé aux populations si particulières qui habitent le désert et les oasis ?». La constitution d’un Etat algérien et d’une République saharienne associée, écrit-il, consoliderait nos positions en Afrique Noire.

A l’idée que l’Etat saharien algérien ne serait pas viable, Alain Peyrefitte répond : « pourquoi le serait-il moins que les Etats du Tchad, de Mauritanie, de Jordanie, de Koweït ? Il pourrait s’offrir d’emblée une capitale de 40 000 habitants et il aurait même l’embarras du choix : Ouargla, Ghardaïa, Touggourt, Aïn Salah… Cette « république du Sahara » bénéficierait, estime l’auteur, d’une magnifique infrastructure mise en place par la France et devrait bénéficier d’une large autonomie de débouchés qui la mettrait à l’abri du chantage. Elle aurait intérêt à vendre ses produits au plus grand nombre possible de clients et à se trouver en bon termes avec tous ses voisins. Ceux ci, le Maroc et la Tunisie notamment, comprendraient sans doute qu’ils ont avantage au maintien de cet Etat, plutôt qu’au rattachement exclusif de son territoire à une Algérie révolutionnaire, qui voudrait garder égoïstement ses ressources énergétiques pour gagner la course au développement sur ses voisins afin de mieux les satelliser. En outre, les nationalistes marocains ont en face des visées du FLN sur le Sahara un cruel sentiment de frustration. Le Maroc historique était un grand Maroc qui comprenait la Mauritanie, le Rio de Oro et la moitié du Sahara. L’Algérie historique était une petite Algérie sans l’Oranie depuis le XVI siècle et sans le Sahara depuis toujours.

Faire du grand Maroc un petit Maroc

Le colonialisme aurait réussi cette prouesse d’injustice : faire du grand Maroc un petit Maroc, et de la petite Algérie une grande Algérie. Le Maghreb où le Maroc aurait dû avoir une position dominante écrit Alain Peyrefitte dans le chapitre « l’impasse algérienne» serait unifié par la double faute de la France, sous l’hégémonie et bientôt la dictature des révolutionnaires algériens. Une confédération algérienne, une République indépendante du Sahara algérien réduiraient l’injustice et supprimerait le risque. Ils auraient vite des adeptes au Maroc et en Tunisie. Ils en auraient au Sahara lui-même où les députés conseillers généraux et maires des oasis de la Saoura, l’amenokal du Hoggar régions où le FLN n’a pas d’attaches, comprendront sans retard le parti qu’ils peuvent tirer de l’autodétermination que l’on reconnaîtrait aux populations qu’ils dirigent .En somme, proposition était faite d’organiser un référendum d’autodétermination des populations sahraouies de l’Algérie pour partager l’Algérie …

Plusieurs séances furent consacrées a ce projet a l’assemblée nationale de l’époque , les archives témoignant de l’intérêt du projet …Le nom du président de la République sahraouie algérienne fut même trouvé et avancé, puisqu’il s’agit de celui de Hamza Boubaker, de son vrai nom Aboubaker Ben Hamza Ben Kaddour, proche de Guy Mollet, député du Département des Oasis de 1958 à 1962 et vice-président de la Commission des affaires étrangères de novembre 1958 à juillet 1962.

Pour la fraternité maghrébine

Malgré la pertinence de l’analyse de l’auteur concernant l’hégémonie et la dictature des révolutionnaires algériens, Alain Peyrefitte se sera trompé sur la position du Maroc. Déjà, lors de la première rencontre de la Commission de l’OCRS qui réunissait les délégués des départements des Oasis, de la Saoura, du Niger, du Tchad et de la Mauritanie, le Maroc avait décliné la proposition de participer à cette rencontre. Le gouvernement marocain avait conscience des risques d’un tel projet dénué de fondements notamment en termes d’ethnies et de populations. Plus tard, continue l’auteur, avec le projet d’un Sahara français, le gouvernement marocain avait un mérite certain à faire taire en 1961 ses revendications sur le Sahara pour favoriser les thèses du FLN. Le 2 Mars 1956, le gouvernement français lors de la déclaration de l’indépendance avait confirmé sa volonté de respecter l’intégrité territoriale marocaine garantie par « les traités internationaux dont certains fournissaient des arguments favorables aux revendications marocaines sur le territoire du Sahara». Le Maroc ne changea pas d’un iota sa position. Il partageait l’analyse déclinée dans le mémorandum algérien adressé aux Etats africains le 30 Juin 1961 par le président du GPRA Ferhat Abbas.

C’est Edouard Meric qui résume le mieux la position du Maroc dans son étude «Le conflit algéro-marocain». En soutenant le GPRA, dit-il, et pour rester fidèle à ses idéaux de fraternité arabe et d’unité maghrébine et en acceptant de s’en remettre au bon vouloir de l’Algérie, l’indépendance venue, sans demander de gages, « le Maroc faisait preuve de générosité et d’abnégation si l’on tient compte des graves inconvénients que cela présentait pour lui la forme insolite du territoire algérien au Sud du Draa ».

Celle-ci résultait de la pénétration française à partir des bases algériennes et du désir des autorités françaises de placer le maximum de territoires sous la souveraineté de la France. Les frontières administrées fixées par la France avaient permis à l’Algérie de lancer vers l’Océan atlantique un véritable pseudopode.

Elles aboutissaient à faire du Maroc « un territoire encerclé par l’Algérie avec les risques que cela comportait en termes d’actions politiques et militaires dans des régions excentriques difficiles à contrôler». Ces propos, on le voit cinquante années plus tard, prennent avec le problème artificiel crée de toutes pièces du Sahara occidental marocain , un relief particulier. Le coup de Jarnac de la révolution algérienne ne s’en est pas tenu à la parole trahie de revoir les délimitations des frontières, comme cela fut promis au Roi Mohammed V.

L’Algérie n’a pas tenu ses engagements et pire encore, en créant artificiellement ce problème du « Sahara occidental », ce régime a obéré toutes les chances d’un Maghreb développé, d’un Maghreb des droits de l’Homme, et d’une région stable sahélo saharienne. Plus de cinquante années après, l’Algérie qui rêve toujours de puissance en voulant devenir la Prusse, handicape une région et multiplie les nuisances politiques et économiques. Plus de cinquante ans après, l’Algérie élude toujours ce passé de fraternité et de soutien à la libération du pays. Ses dirigeants « hégémons blessés », au surmoi disproportionné rêvent toujours de puissance…

Mieux que personne , Paul Balta correspondant du journal Le Monde de 1973 à 1978 à Alger l’avait résumé dans « Dialogue avec Boumediene » : « rêve enfoui et contrarié » : « Boumediene, écrivait-il, a apporté un acharnement jacobin à construire l’Etat . J’ai eu le sentiment qu’il voulait, en quelque sorte, prendre une revanche sur l’histoire, faire de la République algérienne la « dynastie prestigieuse qu’elle n’avait pas été dans le passé, la grande puissance maghrébine du XXème siècle. Il lui a fait jouer sur la scène internationale un rôle qu’elle n’avait pas eu auparavant et qu’elle n’a pas retrouvé après sa mort, en 1978. »

Mémorandum de l’Algérie pour l’Afrique

Voici ce que dit le Mémorandum du gouvernement provisoire d’Algérie lors des négociations franco-algériennes d’Evian :
«Lors de la conférence d’Evian, le gouvernement français, écrit le président du GPRA Ferhat Abbas , a affirmé que le Sahara est une création française et par conséquent une terre de souveraineté française cherchant ainsi à soustraire l’Algérie saharienne du reste du territoire national. Le colonialisme français continue de livrer une immense bataille pour ruiner l’intégrité territoriale de l’Algérie et en conserver une partie saharienne. C’est pourquoi le gouvernement de la République
algérienne voudrait souligner à l’intention des pays voisins de l’Algérie l’importance exceptionnelle de ce problème.

Sur le point relatif à la souveraineté, le gouvernement de la République algérienne ne saurait souscrire à la thèse française de l’existence d’une «terra nullius », terre vacante… Le GPRA n’ignore pas que des questions de rectifications de frontières peuvent se poser entre l’Algérie et certains pays voisins. Il est évident que ces problèmes ne peuvent se régler valablement, durablement fraternellement qu’avec une Algérie souveraine et indépendante et hors de toute immixtion de la puissance coloniale. Le mémorandum soulignait en conclusion la position claire du GPRA sur l’exploitation des ressources «une fois la souveraineté sur le Sahara arraché à la France, la voie sera ouverte à la plus large coopération pour l’exploitation des ressources sahariennes dans l’intérêt des peuples voisins.

Le GPRA ne voit que des avantages à une coopération poussée avec les pays voisins. Il accueillera avec intérêt toute formule susceptible de réaliser par l’exploitation des richesses sahariennes mises en commun, le développement et la promotion économique et sociale des pays limitrophes de l’Algérie». Un éditorial du journal El Moujahid sous le titre «Notre Sahara» du 19 Juillet 1961 reprenait les mêmes arguments «le Sahara n’est pas une « terra nullius», comme veulent le faire croire les dirigeants français. Le Sahara n’est pas un territoire vacant, un territoire dépourvu de caractère et d’identité, il n’est pas une notion abstraite mais une terre pétrie par la personnalité algérienne …

En ce qui concerne les rectifications des frontières, réclamées par certains états, notre position est connue. Sans rejeter ces revendications territoriales, nous estimons que nous ne pouvons les étudier et les trancher qu’après l’accession de l’Algérie à l’indépendance. S’adresser au gouvernement français pour demander le règlement d’un tel problème ne saurait être ni juste ni opportun. Une telle procédure impliquerait nécessairement une reconnaissance de la souveraineté française sur le Sahara algérien».

 

Par Farida Moha

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