Rêvons ensemble le Made in Morocco

Qui sommes-nous et que voulons-nous vraiment ? Sommes-nous réellement citoyens et patriotes ? Croyons-nous aux synergies des compétences, à la solidarité pas seulement sociale, mais aussi économique? Sommes-nous capables de responsabilité nationale et de prise de parole citoyenne et participative ? Autant de questions susceptibles, à condition que nous jouions le jeu, de nous aider à construire notre Maroc d’après la pandémie…

Force est de constater que nous avons une culture de la citoyenneté participative partielle. Certes, depuis quelques décennies, la société civile s’est impliquée, des associations ont fleuri dans tout le Maroc, une solidarité s’est mise en place, petit à petit, changeant progressivement la configuration sociale de notre pays qui compte 130.000 associations à la date de 2016.

J’ouvre une parenthèse pour noter et constater qu’il est extrêmement ardu de trouver des chiffres actualisés, alors que ceux-ci sont censés être disponibles au niveau des ministères et organismes publics concernés, en 2020 nous avons encore des progrès à faire en termes de transparence de l’information. Qu’attendons-nous pour donner la matière première des chiffres et des statistiques pour permettre aux âmes de bonne volonté de notre pays de réfléchir ?

Les femmes, les enfants, le monde rural, la pauvreté, sont autant de sujets de prédilection de la société civile. La solidarité est là et bien là, depuis longtemps déjà.

Par ailleurs, nous avons été impressionnants dès qu’il a fallu combattre le coronavirus et même enviés à l’étranger pour notre réactivité et notre solidarité.

Alors pourquoi sommes-nous frileux dès qu’il s’agit de donner librement notre opinion concernant les choses du gouvernement, ou quand il s’agit de voter et de donner subséquemment les commandes à nos gouvernants ? Pourquoi ne sommes-nous pas forces de propositions, dans cette formidable synergie de compétences qui donne aussi une densité non négligeable à la citoyenneté participative ? Pourquoi ne sommes-nous pas capables de synergies transversales, de capitalisation de notre potentiel humain et de travaux en coordination et en réflexion commune ? Serions-nous désabusés ? Pour-quoi avons-nous du mal à payer nos impôts? Pensons-nous que nos impôts ne sont pas utilisés à nous en faire bénéficier en tant que citoyens ? Ou alors n’avons-nous pas, et là je parle des patrons et des leaders, conscience de la définition de la citoyenneté, de l’inves-tisseur et des créateurs d’emplois ?

Pourtant les Marocains de 2020 sont un peuple fier si l’on juge de leur nationalisme et de leur patriotisme à travers leur participation sur les réseaux sociaux en écrits, paroles, en likes et en dislikes…

Penser le Maroc d’après

Que faut-il pour transformer tout ceci en actes concrets, quels peuvent être ces actes concrets ? Et ce à tous les niveaux.

Il faudrait permettre à l’ensemble des Marocains que cela soit la vox populi, les gouvernants élus, les technocrates placés et les intellectuels, de penser le Maroc d’après. Il faudrait développer une nouvelle méthodologie de la pensée participative où toute idée doit pouvoir s’exprimer et si elle est bonne être retenue, un peu sur le modèle du consensus à la japonaise – nous partageons beaucoup de choses culturelles avec ce peuple – ou selon le modèle participatif allemand où les décisions sont prises unanimement pour le bien commun de tous, à la fois par le gouvernement, les syndicats et la société civile et qui se résume parfaitement par la phrase de l’attaquant anglais Gary Lineker, en 1990 «Le football est un sport qui se joue à onze contre onze et à la fin… c’est l’Allemagne qui gagne.»

Si on observe le cas de l’Allemagne et du Japon car ces deux pays qui, grands vaincus de la seconde guerre mondiale, dénués de ressources naturelles et n’ayant que leur capital humain, ont réussi à se hisser durablement depuis les années 80 et, encore à ce jour, dans le top 5 des puissances économiques mondiales. Ce sont deux peuples dont les composantes d’interactions sociales basées sur la pudeur, la réserve et la notion de hchouma, tout comme nous, ils sont capables de travail bien fait, de consensus et d’absence d’ego quand il s’agit de la chose commune, de la chose publique et de l’intérêt général. Cette période de crise majeure est justement une opportunité de changer durablement et profondément les choses en raison de la nature disruptive des crises telle que celle que nous vivons aujourd’hui.

Pour les Chinois et les Japonais, le mot crise est constitué de deux idéogrammes Wei (danger) et Ji (opportunité), (transcrit avec les deux caractères 危机) qui se traduit en français par le mot crise. C’est le paradoxe d’une crise : c’est une situation difficile qui permet de saisir de nouvelles opportunités et de rebondir. En français le mot vient du grec «Krisis» qui signifie «décision» et, aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de décideurs.

A l’aune de la crise de la covid19 quelles urgences pour le Maroc ?

Si l’on se réfère à la pyramide des besoins humains, il faudrait permettre à tous les Marocains de manger, de se vêtir et de se loger durablement, ce qui suppose des moyens, ce qui veut dire des revenus et donc, indubitablement, un emploi pérenne.

*La détérioration des revenus et recettes fiscales de l’État

Or aujourd’hui, l’arrêt de pans entiers de l’activité économique peut, potentiellement, entraîner la destruction de nombreuses entreprises qui seront poussées à la cessation de paiement et subséquemment, à la destruction des emplois qu’elles procurent aux Marocains et in fine à la détérioration des revenus et recettes fiscales de l’État.

*La détérioration de la balance des paiements et des réserves de change du Maroc, hors Investissements Directs de l’Étranger (IDE)

Sans rentrer dans la structure des recettes de notre balance des paiements, qui se constitue, essentiellement, du produit de nos exportations (phosphates et dérivés, services, automobile etc.), des rentrées du secteur touristique et des rapatriements effectués par les MRE, en face, nos dépenses sont essentiellement constituées des importations de biens d’investissement et de consommation, des carburants. Et la structure de cette balance des paiements montre, clairement, que nous souffrons d’un déficit chronique au niveau de la couverture de nos dépenses d’importations par nos recettes d’exportations.

*Le spectre d’un Plan d’Ajustement Structurel ?

La crise de COVID-19 va provoquer, dans l’ensemble des pays touchés, une crise économique inévitable, annoncée par l’ensemble des économistes et des banques centrales. De ce fait, la réduction importante des revenus en devises du Maroc est fort probable, et sans jouer les Cassandre, le pays tout entier pourrait se retrouver en défaut de paiement à l’international comme cela s’est déjà produit dans le passé. Ce qui a conduit au Plan d’Ajustement Structurel (PAS), imposé par le Fonds monétaire international (FMI) durant les années 80.

*La destruction d’une partie de notre patrimoine immatériel

Le spectre de la destruction des emplois et des entreprises et donc du patrimoine immatériel de leur savoir-faire n’est pas le seul risque qui nous menace, les artistes, les intellectuels sont aussi menacés. Combien d’intermittents qui étaient déjà mal rémunérés vont se retrouver dans une précarité accrue, qui peut conduire à la clochardisation d’une fraction importante des producteurs de culture.

*L’héritage d’un paternalisme étatique

Les Marocains ont l’habitude aussi bien dans les chaumières que dans les plus hautes sphères d’être pris en charge par l’État, comprendre le Makhzen, comprendre la Monarchie, une espèce d’immobilisme nous affecte qui met tout un chacun en position d’attente, de récepteur des décisions d’en Haut.

Il se trouve que, depuis pratiquement une dizaine d’années, la Monarchie tente de déléguer aux élus la chose publique, mais certaines vieilles habitudes ont la peau dure pour ne pas dire sont devenues ataviques. Dans le même temps, les Marocains ont la critique facile et à les écouter, l’Etat n’en fait jamais assez.

Quelles seraient les pistes de solutions possibles ?

*Le Patriotisme (le vrai avec un «P» majuscule, pas celui des réseaux sociaux).

Le Patriotisme ne se résume pas uniquement à hurler son amour pour son pays en publiant des likes et des drapeaux sur les réseaux sociaux et en likant, à tout va, la moindre chose estampillée Maroc. Le Patriotisme c’est aussi et surtout réfléchir et agir ensemble concrètement pour – dans le cas présent – trouver des issues, des solutions pour le Maroc d’après.

*Quelle forme peut prendre ce Patriotisme ?

Pour transposer J.F. Kennedy haranguant ses concitoyens : «Et donc vous, mes compatriotes Marocains, ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays. Vous qui, comme moi, êtes citoyens du monde, ne vous demandez pas ce que le Maroc fera pour vous, mais demandez-vous ce que nous pouvons faire, ensemble…»

*La re-conquête du marché intérieur et de la consommation et, le développement des échanges Sud-Sud avec l’Afrique

Nous avons de l’amour pour notre pays, nous sommes capables de produire des respirateurs au bout de quinze jours d’adaptation. Nous exportons des cerveaux marocains de haut niveau dans le monde entier, cerveaux qui réussissent brillamment. Nous fabriquons des voitures et des pièces aéronautiques pour les plus grands constructeurs mondiaux.

Il est grand temps que ce potentiel s’exprime en local. Qu’est-ce qui nous empêcherait de produire des biens de consommation de qualité, que nous importons actuellement, des écrans, des réfrigérateurs, des produits blancs, bruns, du textile, Marocain des produits agroalimentaires etc ?

Car, aujourd’hui, le problème est que le est fier et aime son pays mais il consomme étranger – quand il en a les moyens et même quand il ne les a pas…

Qu’est ce qui empêche les industriels marocains de produire ces produits ? Qu’est-ce qui empêche les Marocains de consommer marocain ?

Un réflexe post-colonialiste qui voudrait que ce qui vient de l’étranger est meilleur? Est-ce la faible qualité des produits de consommation fabriqués au Maroc ?

Changeons les mentalités, améliorons la qualité ! Si nous sommes capables de produire pour Airbus ou Boeing, nous devrions à fortiori être capables de produire nos biens de consommation courants aux standards japonais ou coréens. Si nous avons un réflexe post-colonialiste, nous pouvons l’extirper de notre conscience collective et arrêter de dénigrer nos produits locaux.

Nous pourrions même faire de ces changements l’opportunité de placer le Maroc en codéveloppeur des échanges Sud-Sud et en faisant bénéficier nos voisins africains de transfert de savoir-faire leur permettant de sortir, définitivement, du post-colonialisme et de la pauvreté qui est la leur.

Qu’est ce qui bloque ? Qu’est-ce que nous pourrions faire ?

A part les atavismes mentionnés précédemment, un des éléments les plus marquants est la facilité :

Il est plus simple pour un «moul choukara» (possédant – rentier) d’importer des produits tout faits, de les faire stocker et de les revendre avec une marge ou de produire de l’immobilier que de mettre en place des processus de production industriels ou tertiaires. D’aucuns dénonceront – à raison – la complexité de l’investissement au Maroc, les tracas administratifs et notamment fiscaux et sociaux.

*Réformer le code du travail

La crise actuelle et son impact direct sur les emplois devraient nous pousser à entamer une réflexion sur notre droit du travail et son Code qui est l’un des plus restrictifs, au Monde, en termes de liberté d’embauche et de licenciement. Il est, à la fois, l’héritage direct d’une négociation hypocrite, mal faite, entre les pouvoirs publics et les syndicats avec, d’un côté, un salaire minimum ridicule et en face, le concept d’un «emploi à vie» avec un coût de licenciement démesuré, en cas de non performance des salariés, faisant que ces derniers peuvent prétendre à un emploi indéfini quelle que soit la qualité de leur travail et de leur comportement. C’est là le paradigme qui empêche le concept de la reddition des comptes de s’implanter dans l’imaginaire collectif des salariés publics ou privés. Faut-il rappeler que dans certains pays l’emploi, qu’il soit public ou privé n’est pas garanti à vie ?

*Accélérons la simplification et la dématérialisation tout azimut

La simplification et la dématérialisation de tout ce qui peut l’être est en cours pour certaines administrations qui n’ont pas eu d’autres choix, devant la crise du COVID. Saisissons cette opportunité pour généraliser le concept.

*Instaurer une TVA de luxe sur les produits importés

Sans forcément aller jusqu’à la renégociation des Accords de Libre Échange (ALE),

favorisons la préférence nationale – instaurer une TVA dite de luxe par défaut sur la plupart des produits et services importés entraînerait une amélioration sensible de notre balance des paiements.

Si nous voulons encourager un patriotisme à la fois pour la production et la consommation, il est nécessaire de donner le «la» et le

consommateur comprend très bien quand on touche à son portemonnaie.

La mise en place d’une TVA discriminatoire sur les produits de consommation importés montrerait clairement la voie à suivre et enverrait un signal fort. L’État devrait, d’ailleurs, donner l’exemple en termes de consommation nationale pour ses véhicules de service et de fonction, cette mesure étant susceptible de frapper l’imagination des Marocains.

*Servons-nous de la loi sur l’amnistie sur les avoirs non déclarés

Lançons un grand emprunt national à moyen terme pour nous donner les ressources nécessaires. Cet emprunt pourrait être alimenté par une contribution obligatoire sur une proportion donnée des fonds soumis à la contribution libératoire de 5% prévue par la loi de finances de l’année 2020. Ces fonds seraient bloqués durant une période donnée, par exemple 5 ans sans rémunération et cela permettrait à leur possesseur d’acheter une amnistie fiscale en donnant au pays la possibilité d’avoir les moyens de sa politique.

*Aidons courageusement les créateurs d’emplois et de valeur

Après avoir brillamment mis en place des aides pour les plus fragiles, il est maintenant grand temps de penser à la mise en place d’aides spécifiques et courageuses à destination des entreprises du secteur privé et ce afin de sauvegarder à long terme, de préserver l’emploi et d’éviter un effondrement du tissu social. Ces aides devront également prendre en compte tous les laissés pour compte des décisions prises à ce jour à savoir les professions libérales, les artistes, les intellectuels les autoentrepreneurs, les médecins, les avocats, les artisans en généralisant le concept de Damane Oxygène à tous les actifs qui ont une activité déclarée et qui payaient des impôts en 2018.

*Communiquons !

Ceci nécessitera également la mise en place de plusieurs vagues de campagnes d’éducation et de communication à long terme pour valoriser le made in Morocco, et inspirer un nouveau Patriotisme chez les Marocains, un Patriotisme concret en actes pas juste en paroles. Bien entendu, tout ce qui précède nécessitera probablement l’adoption rapide d’une loi de finances rectificative destinée à saisir l’opportunité de cette crise pour redéfinir les contours du Maroc d’après. Il s’agit de prendre de vitesse l’entropie générée par cette crise en ayant des réactions rapides, souples et efficaces, en bref un Made in Morocco en mode agile.

Rêvons ensemble!

Par Bahaa TRABELSI 

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