Sahara, Afrique : le « Big Stick » de Bolton ou les paradoxes de la « pax americana »

Hassan Alaoui

Si ce n’est pas d’une diplomatie de la « canonnière » nouvelle manière, s’agirait-il bel et bien du « big-stick » que s’apprêterait à user le gouvernement américain pour tout ce qui relève désormais de sa politique extérieure en Afrique. Et le faucon John Bolton l’incarnerait à coup sûr.

Le Conseiller national et spécial à la sécurité et patron du National Security Council a exposé jeudi 13 décembre devant le Heritage Foundation de Washington la « nouvelle stratégie des Etats-Unis en Afrique » avec comme mot-clé une révision des paramètres voire leur bouleversement. Et surtout en exprimant, entre autres thèmes, sa « frustration » pour ce qui du blocage sur le dossier du Sahara.  Sans doute, le ton et le contenu de l’exposé qu’il a fait relèvent-ils de l’antienne qu’on lui connait, tant le fond ne varie pas et s’inspire-t-il de la théorie du chaos chère aux tenants de la guerre froide et de la doctrine antisoviétique du containment

John Bolton, dans le sillage lointain du président des Etats-Unis, Théodore Roosevelt (1858-1919), reprend à son compte la doctrine du Big stick (Gros bâton). L’ancien président des Etats-Unis empruntait ce concept à un proverbe…africain qui disait : « Parle doucement, mais porte un gros bâton dans ta main ». John Bolton n’est pas loin des doctrinaires de la « nouvelle guerre froide », il entend combattre l’influence de la Chine et de la Russie partout où elle s’exerce, il enrage de voir le continent africain tomber dans leur escarcelle.

« Les pratiques prédatrices de la Chine et de la Russie, dit-il,  freinent la croissance économique en Afrique, menacent l’indépendance financière des pays africains, entravent les possibilités d’investissement des États-Unis, entravent les opérations militaires américaines et constituent une menace importante pour la sécurité nationale des États-Unis ». Plus éloquent que ce procès, lancé du haut de la Maison Blanche, il n’en existe point. Sauf que les gouvernements américains successifs n’ont pas eu la présence d’esprit de « s’occuper » de l’Afrique et l’ont abandonnée à son propre sort. Sans doute, à ses ultimes heures de gloire, Barack Obama a-t-il tenté de rectifier le tir, en s’y rendant, encore que sa visite fut-elle ciblée.

Les peuples d’Afrique n’oublient pas les propos racistes d’un Donald Trump les qualifiant en janvier 2018 de « pays de merde », suscitant une condamnation virulente et unanime de 54 pays du continent, membres du groupe africain des Nations unies. Pas plus qu’ils n’oublient leur marginalisation volontaire par les Etats-Unis depuis des lustres. Or, la question se pose crûment : comment le gouvernement américain se préoccupe-t-il tant, du moins selon Bolton, du sort de l’Afrique alors que son président n’a que mépris et très peu de considération pour ses peuples ? Ce sont les richesses naturelles, les minerais, l’agriculture, le pétrole et les perspectives d’avenir que recèle le continent qui intéressent a priori le conseiller national spécial à la Maison Blanche qui, évidemment, des peuples n’en a cure. Ce dernier est clairement partisan de l’America first chère à son patron…

Un désengagement opportuniste

La doctrine du retrait systématique des Missions de maintien de paix dans le monde, avec son impact direct et collatéral sur les diverses institutions et les volontaires qui les assurent sous l’égide de l’ONU, ne laisse pas d’inquiéter. Elle porte un coup d’arrêt à la politique de solidarité internationale, brise l’élan de l’engagement humain mais, en revanche, isole le gouvernement des Etats-Unis de plus en plus enfoncé dans ses contradictions. Donald Trump a supprimé le soutien de son pays aux hôpitaux palestiniens et réduit de 250 millions de dollars la contribution américaine à l’agence onusienne UNRWA chargé de l’aide à la Palestine. Poussant le cynisme à son comble, il a annoncé le transfert du siège de l’ambassade américaine à Jérusalem, poussant en revanche l’ONU et la communauté mondiale à condamner et dénoncer vigoureusement son piteux geste. Ce qui a fait dire à Nikki Haley, alors ambassadrice américaine aux Nations unies que « Les États-Unis se souviendront de cette journée qui les a vus cloués au pilori devant l’Assemblée générale pour le seul fait d’exercer notre droit de pays souverain».

Les observateurs de la politique extérieure des Etats-Unis ne s’interrogent plus sur le déploiement en dents de scie de cette dernière, caractérisée par les humeurs d’un président instable et le désarçonnement de son staff. John Bolton, dont on connait l’attachement à son ancien patron James Baker, nous a habitués à des sorties surprenantes et le moins que l’on puisse dire contrariantes. Il souffle le chaud et le froid au nom d’une Realpolitik que ne renieraient pas les ultras de l’extrême-droite ni même d’ailleurs certains démocrates du clan Kennedy, en principe hostiles à la marocanité du Sahara.

Le Conseiller national de la sécurité  a clairement annoncé  que « malheureusement trop souvent aux Nations unies, établir et déployer une mission de maintien de la paix met fin à tout processus de réflexion créative ». Pour être sévère, un tel constat n’en est pas moins révélateur de la nouvelle tendance qui semble se dessiner à la Maison Blanche et que John Bolton entend défendre. Il ajoute, pince-sans-rire que « les mandats sont renouvelés presque automatiquement, l’envoyé spécial des Nations unies se déplace chaque année, fait un rapport et quasiment rien ne se passe. » Et de conclure :  « Je pense qu’il faut se concentrer sur la résolution des conflits pour assurer le succès de ces missions. Le succès n’est pas simplement la poursuite indéfinie d’une mission ».

John Bolton ou l’homme des lobbies algériens

Ce qui suit, constitue un aveu de taille, parce que confirmant l’intuitive interrogation des milieux concernés par l’affaire du Sahara et les observateurs qui la suivent. Par ses déclarations intempestives, il y a quelques mois seulement, John Bolton avait interpellé ces derniers et sa « main » est à coup sûr derrière le projet de réduction à 6 mois de la présence de la MINURSO au Sahara. Il s’est fait pour ainsi dire le chantre d’une autre proposition aussi consternante : la suppression pure et simple de l’aide des Etats-Unis à la mission onusienne qui s’élève à quelque 53 Millions de dollars, au même titre que d’autres aides, la somme allouée à la MINURSO constituant une goutte d’eau dans un océan de sable. Paradoxe d’autant plus indigne pour un pays comme les Etats-Unis – le plus puissant du monde – qui tout en exigeant la paix, se refuse à y contribuer.

« Le Sahara occidental, affirme John Bolton,  est mon exemple préféré parce que j’ai participé à l’élaboration du mandat de la force de l’ONU déployée sur place. » Il ajoute : « 27 ans plus tard, le statut de ce territoire n’est toujours pas résolu. Honnêtement, 27 ans de déploiement de ces forces de maintien de la paix ! 27 ans et elles sont toujours là ! Comment peut-on justifier cela ? Est-ce qu’il n’y a pas un moyen de résoudre ce conflit ? Les ressources, le temps et l’attention que l’on consacre aux forces de maintien de la paix seraient beaucoup  plus productifs s’ils étaient utilisés pour le développement et l’amélioration de la situation économique des gens de la région. Si l’on résout les conflits, on libère des ressources économiques et politiques pour d’autres finalités. Cela devrait être notre objectif. »

Dans l’entrelacs, il laisse pointer son autre « amertume », celle de ne pas voir « rentrer chez eux les enfants sahraouis des camps de réfugiés », fourvoyant subrepticement l’opinion mondiale au niveau des mots et du langage, puisqu’il n’a jamais été question de « sahraouis réfugiés » dans les camps de Tindouf Lahmada, mais bel et bien de séquestrés.

L’Afrique et le changement de paradigme

Voilà qui est clair, mais ne nous surprend point. C’est peu dire que le propos est hallucinant : Bolton proclame sa fierté d’avoir en son temps « contribué » à la mise en place de la force de maintien de la paix – MINURSO – au Sahara et en même temps exige publiquement sa mise à mort au motif qu’elle coûte cher au gouvernement américain, alors qu’une simple opération militaire aérienne contre les Chebab en Somalie, comme celle qui vient d’être lancée il y a quelques jours ,  nécessite autant sinon plus de moyens.

Pas plus que les ténors qui ont précédé Bolton au poste de la sécurité nationale n’avaient réussi à faire changer le cap de la diplomatie des Etats-Unis, ce dernier ne peut y imprimer sa propre marque. Du fameux Plan Marshall de 1947, défendu mordicus par Harry Truman à l’intervention manu militari en octobre 1950 en Corée du nord, au Vietnam en 1965 , au Nicaragua, en Irak par deux fois par les Bush père et fils en 1991 et en 2003, la doctrine de l’endiguement de l’Union soviétique en Europe et en Afrique n’a point dérogé à son engagement protéiforme – par moments belliciste. John Bolton caricature à sa manière un Henry Kissinger avec moins d’éclat et en même temps un Zbigniew Brzezinski dans son anticommunisme virulent.

Les attaques avérées de Bolton contre la gestion par l’ONU de la question du Sahara, relèvent quant à elles d’un procédé peu élégant, parce qu’elles visent essentiellement Antonio Guterres, secrétaire général de l’institution, lequel a dirigé des années durant le HCR ( Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU) et sait à quoi s’en tenir avec le mythe des « Réfugiés sahraouis » que l’Algérie a fabriqué et dont elle a constamment refusé le recensement et l’authentification. En définitive, les proclamations vertueuses de Bolton sur la politique extérieure des Etats-Unis peuvent-elles constituer une doctrine nouvelle ou même simplement une « nouvelle stratégie » comme il a été suggéré ici et là ? Sa sortie devant le groupe de réflexion républicain Heritage Foundation sur la Chine et la Russie nous en dit long sur sa frustration, réelle celle-ci d’avoir enfin compris comment les deux anciennes puissances communistes assurent leur mainmise sur le continent africain à la barbe de l’Oncle Sam, celle de voir que le référendum voire le partage qu’il n’a eu de cesse – soutenu par James Baker en 2003 – de préconiser, celle surtout de voir que le Conseil de sécurité a voté à l’unanimité la résolution 2440 qui, quoiqu’en disent les adversaires de Maroc, conforte ce dernier…

La diplomatie américaine est placée à présent sous le double scalpe : celui de l’isolationnisme et celui de l’interventionnisme, balancée entre deux périls. La tentation est grande de se réfugier derrière la rhétorique, où la menace verbale vise les grandes puissances et la violence militaire les petits Etats…

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