Sahel : la situation sécuritaire et politique se dégrade

Par Roger Bolain

Officiellement, l’opération Barkhane au Mali, c’est 3 000 hommes répartis sur cinq pays. Un véritable défi pour l’armée française, qui n’a pas connu un théâtre d’opération aussi vaste, depuis la Seconde Guerre mondiale. Un défi logistique, quand on sait qu’il faut compter pas loin de cinq heures de vol pour aller de N’djamena à Gao, en avion de transport militaire. Mais les connexions entre les groupes jihadistes et les difficultés d’organisation et de coordination des forces locales rendent, de plus en plus, difficile cette lutte contre un ennemi insaisissable.

Au sein de Barkhane, tout est pensé au plus juste. À N’djamena, on compte sur les doigts d’une seule main les avions de transport militaires (ATT) déployés. Beaucoup de choses se font par la route. En quatre mois de missions, les camions logistiques de Barkhane parcourent 1,5 million de kilomètres. Un investissement lourd appelé à perdurer, car la situation se dégrade. L’armée fait tout pour rendre ces petits détachements le plus autonomes possible, mais « le plus difficile c’est le ravitaillement en eau, parce que c’est le plus lourd, mais sans eau vous ne faites rien », confie un responsable de la logistique. Avec des températures qui peuvent dépasser les 40°C, il faut compter 7 à 10 litres d’eau par jour, par soldat.

« Bien sûr, on voudrait avoir toujours plus de matériel, mais dans notre situation, l’important, c’est justement d’être au bon endroit au bon moment », indique-t-on au plus haut niveau de Barkhane, d’où l’importance du renseignement. « Ce qu’il faut, c’est s’attaquer avant tout aux têtes de réseau ».

 Barkhane, une courroie de transmission

 À ce niveau-là, les pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso) sont appelés à apporter une aide précieuse ; mais si tous ont convenu de lutter contre le terrorisme, ils n’ont pas forcément la même lecture de la menace, et donc leurs réponses et leurs règles d’engagements peuvent être différentes. Barkhane est donc aussi une courroie de transmission et des progrès ont été enregistrés, alors qu’il y a encore quelques années, les droits de poursuites étaient difficilement accordés entre voisins du Sahara et du Sahel.

L’année dernière, Maliens, Mauritaniens et Français ont coordonné leurs efforts pour mener une vaste opération de fouille dans le secteur de la Forêt de Ouagadou, connue pour avoir hébergé des éléments jihadistes. Un poste de commandement tripartite avait été mis en place à Bamako.

D’autres opérations communes seront menées à l’avenir. « L’idée, c’est penser régional pour avoir des effets à l’échelle locale », commente-t-on à la tête de Barkhane. Ainsi, pour enrayer l’action des groupes jihadistes dans l’extrême nord du Mali, il faudrait couper leur flux de ravitaillement. Or, les véhicules qui ravitaillent ces groupes armés empruntent des pistes situées dans les pays voisins, comme le Niger. « Quand on survole ces zones de jour, on ne voit qu’une grande étendue de sable, mais la nuit, grâce à nos jumelles de vision nocturne, on voit beaucoup de points lumineux : il s’agit de feux de camp », assure un pilote de Rafale. « Il nous arrive même de tomber sur des pickups en plein désert à 100 kilomètres du premier village ! Le désert n’est pas si vide que ça », conclut-il.

Les connaisseurs de la région savent que sans quadrillage de l’immense zone saharo-sahélo-guinéenne, il est impossible d’éradiquer le jihadisme. Or les moyens drastiquement réduits l’interdisent. De plus, et même à supposer que la force Barkhane puisse couvrir toute cette région, elle ne contrôlerait pas pour autant l’Algérie, la Libye et le Nigeria d’où pourraient être lancées des actions terroristes.

Plus encore, nous n’aborderions toujours que le volet militaire alors que le fond du problème devient, de plus en plus, celui de la wahhabisation des populations de la bande sahélo- guinéenne qui fournit un terreau fertile aux jihadistes.

Combattre le terrorisme

 Déclenchée en 2013 pour répondre à une menace militaire immédiate au Mali, l’opération Serval s’est transformée en un dispositif régional visant à assurer la stabilité de la bande sahélo-sahélienne en luttant contre les groupes jihadistes qui y prospèrent. Cette mission essentielle vient soutenir les efforts des États de la région et s’inscrit désormais dans la durée. Nombreux, d’ailleurs, sont les observateurs qui ne lui voient pas de fin prévisible, tant la situation, en dépit des efforts des différents acteurs engagés, ne paraît pas s’améliorer.

L’objectif est dès lors de perturber les mouvements terroristes, limiter leur liberté d’action, empêcher leur coagulation et couper leurs liaisons avec leurs bases de Libye. Ce que fait excellemment Barkhane qui a deux priorités :

 La première est de rendre la plus hermétique possible la frontière entre la Libye et le Niger, afin d’éviter le ré-ensemencement du jihadisme sahélien, à partir de la Libye.

 La seconde est de protéger la région du lac Tchad, pivot régional, afin d’éviter l’embrasement du Cameroun et de toute la sous-région à partir du foyer allumé par Boko Haram.

Or, jusqu’à présent, Barkhane a parfaitement rempli cette double et difficile mission, notamment, mais pas exclusivement, grâce aux implantations dans la zone de la passe Salvador-Toumno-Madama.

Cependant, en plus d’être vulnérable, cette passe est, en effet, facilement contournable à l’Ouest, à partir des passes orientées est-ouest qui tombent du plateau de l’Acacus pour confluer sur la frontière algérienne. Les actuels bons rapports que Paris et Alger entretiennent devraient (en principe…) mettre les soldats de Barkhane à l’abri de mauvaises surprises venues de la région de la passe d’Anaï. Quant à un contournement depuis l’Est, c’est-à-dire par le Tchad, comme il devrait se faire par l’espace de peuplement toubou, il se heurterait aux forces armées tchadiennes.

Un autre résultat essentiel de l’opération est que les trafiquants commencent à se séparer des jihadistes. C’est en effet sur les réseaux de la contrebande transsaharienne que se sont, originellement, greffés les jihadistes repliés d’Algérie. Or, les incessantes patrouilles de Barkhane, même si elles ne sont pas, prioritairement, dirigées contre eux, perturbent les trafics. Comme, de plus, les katibas jihadistes ont été défaites et dispersées, comme elles ne disposent plus de leur sanctuaire des Iforas et comme elles ne se meuvent plus en terrain conquis, elles n’inspirent donc plus la même peur aux trafiquants qui voient leurs «affaires» péricliter en raison de la guerre.

La wahhabisation gagne du terrain

Bousculés dans la partie nord peu peuplée de la zone saharo-sahélienne, et s’y sentant moins en sécurité qu’auparavant, les jihadistes ont replié leurs «États-majors» en Libye, à l’abri de Barkhane. Parallèlement, ils ont ouvert les hostilités plus au Sud, dans la bande sahélo-guinéenne, d’où de nombreuses attaques dans la région de Mopti au Mali et sur la frontière du Burkina Faso, là où les populations sont en cours de wahhabisation. Le site Mondafrique nous apprend, à cet égard, que pour la seule année 2016, près de 722 missions « humanitaires sont parties du Qatar vers le Burkina Faso». Or, ces «actions humanitaires qataries servant de cheval de Troie à l’islam radical sont concentrées sur les zones frontalières entre le Mali et le Burkina ».

Là est désormais le vrai problème. Or, il échappe aux militaires de Barkhane puisqu’il est politique.

Alléger Barkhane serait provoquer un appel d’air pour les jihadistes de la zone saharo-sahélienne qui auraient, tôt, fait de reprendre le contrôle des régions d’où ils furent chassés par Serval, ainsi que des réseaux de contrebande sur lesquels ils avaient ancré leur précédente implantation.

C’est donc tout au contraire à un élargissement et à un renforcement de Barkhane que nous assistons, mais en y associant des unités mixtes franco-africaines à recrutement local, c’est-à-dire ethno-régional et non national, dont l’élément français est composé de permanents, et dont les cadres connaissent les populations locales et le terrain.

Trois ans après le déclenchement de l’intervention française au Mali, quatre ans après la déroute des Forces armées maliennes contre les groupes armés touaregs et les mouvements jihadistes, les capacités de Bamako restent marginales, et elles ne diffèrent guère de celles de Niamey, N’djamena, Nouakchott ou de Ouagadougou.

Intervention de la France au Sahel

Puissance régionale, la France, aux yeux de tous les observateurs, intervient au Sahel afin de mener un combat que les puissances locales ne sont pas en mesure de gagner. « Le dispositif Barkhane, présenté comme une réponse à la montée en puissance des groupes jihadistes constitue, en réalité, la dernière évolution d’une présence militaire française ancienne dans la région, qui renvoie aux indépendances des années 1960 et aux difficultés des États nés de la décolonisation. Ce faisant, elle vient compenser des insuffisances anciennes, restées sans réponse » explique l’historien Pierre Nora. « L’opération Serval, planifiée depuis des années, a répondu à une crise sécuritaire régionale dont l’évolution était observée et étudiée de longue date. Déjà en 2000, les menaces exercées par le Groupe salafiste pour la prédication et le combat algérien contre le rallye Paris-Dakar avaient conduit à la neutralisation de l’épreuve. Les autorités françaises avaient alors envisagé d’engager des unités militaires positionnées dans la région, en estimant froidement que l’armée nigérienne n’était pas capable d’affronter efficacement quelques dizaines de terroristes algériens »

 Le chemin vers une indépendance véritable des États de la région dépend de leur réelle capacité à assurer leur défense. Ce constat est cruel pour bon nombre d’observateurs. Et ce, en dépit d’innombrables exercices en commun et de nombreuses sessions de formation. La conséquence inéluctable a été l’implication progressive de la communauté internationale. « Les États du G8, par exemple, se mobilisèrent et créèrent, en 2003, le Groupe d’action contre le terrorisme dont l’ambition était d’identifier précisément les besoins puis d’y répondre. De nombreux axes de fragilité avaient alors été identifiés, concernant aussi bien les forces armées que les services de sécurité, les unités d’intervention, la collecte de renseignements, la chaîne judiciaire ou le système carcéral.» explique Yves Trottignon, chercheur en géopolitique. « Cela entraîna de multiples programmes de formation, de coopération, sans succès. Les importantes difficultés des États de la bande sahélo-saharienne à assurer leur sécurité face à la menace terroriste sont, malheureusement, révélatrices de dysfonctionnements profonds dépassant le seul domaine de la sécurité. » conclut-il.

 Dès lors comment surmonter cette impasse dans la bande sahélo-saharienne ?

« On ne peut, en réalité, concevoir de véritables capacités antiterroristes sans un véritable État et on ne peut espérer que les capacités de celui-ci soient efficaces sans une situation politique à peu près stabilisée, explique Yves Trottignon. Au Sahel, les interconnexions entre les crises locales et les crises régionales mettent ainsi, à rude épreuve, des architectures sécuritaires qui ont longtemps été tournées vers la répression politique ou la seule survie des dirigeants. La lutte contre des mouvements terroristes jouant habilement sur des tensions communautaires nécessite des réponses plus complexes et plus ambitieuses que les habituelles démonstrations de force. De surcroît, la dimension régionale des organisations terroristes implique une coordination entre États d’autant plus difficile à réaliser que le manque de cadres formés est criant. » La France remplit donc encore le rôle de coordinatrice au sein du G5 Sahel, qui laisse parfois apparaître un important retard conceptuel. De même, les États- Unis, par leurs exercices régionaux Flintlock, essayent-ils de créer une communauté sahélienne de décideurs militaires compétents et un noyau dur d’unités fiables.

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