Santé et enjeu géopolitique: Peut-on rêver d’une santé équitable dans le monde ?

Par Pr. Rajaa Aghzadi*

La Santé relève de ce que l’on appelle communément les biens publics mondiaux. Ce sont des biens indispensables qui concernent l’humanité tout entière. Non concurrentiels, ils ne se divisent pas quand on les partage. La santé est le bien le plus essentiel mais aussi le plus fragile et la pandémie de la Covid-19 a clairement révélé les dangers pour le monde si la santé n’est pas prise en compte dans toutes les politiques publiques.

À bien des égards, cette pandémie est un moment décisif et constitue une opportunité unique de reconstruire un autre monde, plus écologique et en meilleure santé. C’est pourquoi il nous revient, à tous, de créer les conditions d’existence de nouvelles solutions, conciliant l’éthique et le pragmatisme, pour relever les grands défis sanitaires de demain.

La Santé mondiale n’est pas un impératif moral mais plutôt un impératif pragmatique, pour un monde meilleur. La croissance des inégalités au niveau mondial, la globalisation, le mercantilisme et les changements climatiques font que les prochaines années vont être difficiles. Aussi les pays doivent-ils donner la priorité à la santé dans le cadre d’un vaste écosystème qui englobe les facteurs environnementaux, sociaux, économiques et politiques. De fait, la couverture sanitaire universelle fondée sur des soins de santé de qualité, doit être au cœur de tous les efforts parce qu’elle est la pierre angulaire de la stabilité sociale, économique et politique.

Par ailleurs, l’équité en santé, pour tous et partout, s’impose car l’inégalité en matière d’accès aux soins est un scandale planétaire totalement insupportable. Et pourtant, les inégalités se creusent entre le nord et le sud, entre les régions aussi, alors qu’on assiste,  médusés, à une mondialisation des maladies qui n’ont pas de frontières. Dans ce sens, le Global health s’inscrit, parfaitement, dans l’urgence mondiale pour la santé et se situe en droite ligne des priorités pour la souveraineté sanitaire des pays.

Nous vivons un basculement vers une nouvelle ère qui appellera à une nouvelle façon de gérer les questions de santé  à l’échelle planétaire. L’OMS, instance de norme et régulation, devra revoir sa gouvernance sous un autre angle avec plus de solidarité interplanétaire. La Covid a été le révélateur de l’importance de la  santé mondiale, la boîte de Pandore qui a dévoilé  les défis et les insuffisances des systèmes de santé en engendrant des  répercussions en cascade : sanitaires, sociales, économiques et  politiques. Des résolutions, qui paraissaient si lointaines, placent désormais la santé au cœur des combats pour le progrès social.

Il est, par ailleurs, important de promouvoir la santé et le bien-être à tout âge, en tous milieux, pour aspirer à vivre et à vieillir en bonne santé. Celle-ci mérite donc l’attention de tous et l’engagement de chacun.

Le droit à la santé

La santé ne commence pas à l’hôpital ou au dispensaire. Elle commence chez nous par la nourriture que nous mangeons, l’eau que nous buvons, l’air que nous respirons, dans nos écoles et sur nos lieux de travail. Il faut changer fondamentalement la façon dont les dirigeants politiques pensent et considèrent la santé ; il importe de promouvoir une croissance basée sur la santé et le bien-être de l’humain et de la planète. Considérée comme le parent pauvre des politiques publiques, l’OMS recommande qu’au-delà de 12% du PIB, la santé ne devrait plus être perçue comme un gouffre financier mais plutôt comme génératrice de gains économiques, pour réduire la pauvreté et promouvoir le développement socio-économique. Si le droit à la santé est un fondement essentiel de la dignité humaine, 100 millions de personnes dans le monde basculent dans la pauvreté à cause des dépenses de santé. Un tiers environ de la population mondiale n’a accès ni aux médicaments, ni aux vaccins, ni aux outils de diagnostic, ni à d’autres produits de santé essentiels. Les difficultés d’accès à des produits de santé de qualité sont une menace pour la vie.

→ Lire aussi : Santé: Le gouvernement va mettre en œuvre la loi-cadre

L’articulation entre la santé de l’Homme et l’environnement est bien établie. Comment ne pas considérer en urgence la problématique environnementale et son impact sur la santé des populations ?

On sait que le réchauffement climatique et la rupture de l’équilibre de la biodiversité favorisent la propagation de certaines maladies transmissibles et qu’un environnement malsain a un effet direct sur l’augmentation des maladies chroniques, dégénératives coûteuses, particulièrement des cancers. Il y a donc des conditions extérieures « le mal de dehors » qui engendre des maladies dont la facture sera de plus en plus lourde.

Des leviers existent bien entendu. Il s’agit d’investir davantage en prévention afin d’agir sur les déterminants de la santé et de  l’intégrer dans les systèmes sanitaires de première ligne. En effet, plusieurs facteurs affectent la santé des populations. Certains se rapportent à l’individu, à ses prédispositions génétiques et biologiques. D’autres concernent la collectivité, les habitudes de vie et autres comportements adoptés quotidiennement. Le style de vie exerce une influence majeure sur l’état de santé, les conditions de vie et les milieux de vie (école, travail, famille, violence, accident…). L’environnement physique et l’organisation des services de santé jouent également un rôle déterminant.

Défis sanitaires

Les défis sanitaires s’accélèrent sur le plan démographique, avec des populations vieillissantes, des défis technologiques qui changent à grande vitesse. D’ailleurs, il est noté une innovation chaque trois jours boostée par l’intelligence artificielle. Ce qui pose le problème des investissements et du coût, en plus de  l’innovation dans le soin et dans le parcours de soin.

Il faut ajouter aussi la transition alimentaire surtout avec des nourritures transformées, des colorants et des additifs qui impactent la santé. La transition épidémiologique est aussi à souligner puisque selon l’OMS, le cancer sera à l’origine de 17 millions de décès dans les deux prochaines décennies, soit un triplement par rapport à aujourd’hui. Cette mutation s’explique notamment par l’évolution des modes de vie, une diffusion de comportements à risque, le tabagisme, la tendance à l’obésité, avec une certaine uniformisation à l’échelle du monde. En plus des maladies non transmissibles et chroniques qui représentent désormais la première cause de mortalité dans le monde. Le poids que font peser ces pathologies sur les systèmes de santé augmente, comme le montre la hausse des dépenses de santé passées de 3.000 milliards de dollars en 2000 à 6.500 milliards aujourd’hui.

La politique centrée sur la prévention est primordiale et peut alléger jusqu’à 40% des pathologies et 30%  des dépenses.

Dans un monde de plus en plus interconnecté, les épidémies se propagent à haut rythme, à la faveur des voyages et des échanges commerciaux internationaux. L’émergence de nouvelles maladies exige une capacité de réponse rapide notamment le coût des médicaments qui constitue un sujet de préoccupation majeure malgré des progrès sur certaines grandes pathologies. Il faut parvenir à faire baisser les prix par le renoncement aux droits de propriété intellectuelle, et la prise de risque financier pour le développement des nouvelles molécules. Sur un autre volet, la prolifération des produits médicaux falsifiés dans les pays en développement est un phénomène malheureusement croissant. Il tient aux faibles capacités de réglementation et de contrôle dans les États concernés et l’intérêt porté à ce trafic par des entités criminelles. Le trafic est quasiment sans risque ! Cela souligne la nécessité d’instances de contrôle et de coordination.

Enfin, la question des migrations des personnels de santé se pose. Les besoins en personnels sont les plus importants dans les pays en développement. Et pourtant, beaucoup de personnels de ces régions quittent leur pays d’origine. L’exode du personnel de santé devient une urgence pour nos pays.

Géopolitique du vaccin

Tous ces défis, dorénavant, doivent être négociés à l’échelle mondiale. Le bien-être et le développement procurés par la santé, générateurs de richesses supplémentaires, doivent être mieux pris en compte. C’est là une piste particulièrement fructueuse à explorer.

Il est ainsi temps d’étudier comment l’économie peut contribuer à l’objectif sociétal du bien-être, cet investissement qui est la base même d’économies productives, résilientes et inclusives.

Et la pandémie de la Covid 19 réalise une charnière entre deux mondes : celui d’aujourd’hui et celui du monde où nous avançons qui ne sera plus le même. Des réalités s’imposent.

Cette pandémie et le dispositif vaccinal ont mis en lumière une gouvernance sanitaire mondiale inégale et ont  mis à nu les systèmes de santé  dans le monde.

La pandémie menace également d’effacer les progrès en matière de santé obtenus de haute lutte durant les vingt dernières années. En même temps qu’on assiste à la mondialisation des maladies, on voit que les questions de santé sont accaparées, de plus en plus, par des logiques à la fois de marché et de concurrence mondiale, sur l’approvisionnement du médicament, le recrutement des professionnels de santé, les services et l’ubérisation de la santé.

C’est évident, la géopolitique du vaccin est rude. D’un côté, c’est un bien commun de l’humanité, et finalement cela ne se passe pas ainsi; en raison notamment de l’égoïsme des États. De l’autre côté, on assiste à une compétition acharnée sur le marché mondial des vaccins, la plus vaste campagne de vaccination de l’histoire : une dépense globale estimée à 157 milliards de $ en 2025 ; une véritable manne financière pour laquelle rivalisent les laboratoires.

C’est dire que la diplomatie du vaccin se place au cœur de la lutte des influences géopolitiques où chaque Etat producteur avance ses pions et réactive les tensions à l’international.

De nombreux pays ont aidé plus par souci d’image, d’influence, ou de leadership que par solidarité. La rivalité risque de s’accentuer tant que la distribution équitable des vaccins ne sera pas assurée puisque le mécanisme onusien Covax peine à s’imposer et à équilibrer la vaccination dans les pays.

Il aurait pu être plus régulateur et dispatcher aux endroits qui en ont le plus besoin car la pandémie se fait par vague, en fonction des régions. C’est cette orchestration qui aurait été pertinente et intéressante au niveau sanitaire, économique mais aussi humaine, avec coordination et solidarité entre les Etats.

Si l’enjeu géopolitique de la santé est accéléré par la pandémie actuelle, la diplomatie de la santé devient au centre des grandes questions de santé, qui nous concernent tous. Elle doit faire l’objet d’une coordination, de veille sanitaire et de décisions mondiales communes car les crises sanitaires vont se répéter de plus en plus. Ainsi, la diplomatie sanitaire va prendre encore plus d’importance pour un équilibre entre l’humain, son environnement et l’économie pour renforcer les missions de protections des populations, en régulant les flux migratoires et pour prendre de l’avance sur les négociations des médicaments, les dispositifs médicaux, les vaccins et autres.

La souveraineté sanitaire dans chaque pays est le but ultime et la pandémie de la Covid est une occasion historique pour construire un nouvel ordre de santé publique qui puisse prémunir efficacement contre les futures crises sanitaires. C’est pourquoi nous devons nous préparer et prendre en main notre destin en matière de sécurité sanitaire.

La santé et l’accès aux soins doivent être la priorité absolue de la communauté internationale. C’est la condition de la réalisation de la  finalité de l’Homme. Le développement économique et la finance doivent rester des moyens au service de cet objectif : améliorer la santé et atteindre l’accès aux soins pour chaque individu sur la planète. Il y a nécessité d’un consensus sur la gestion des questions mondiales sanitaires. Si un pays est défaillant, notre préparation aux pandémies sera défaillante. Nous sommes tous dans le même bateau…. n

*Professeure Chirurgienne, Présidente de l’association « Cœur de Femmes », membre de la Commission Spéciale sur le Modèle de Développement

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