Simon Skira, le Maroc pluriel au cœur ou le missi dominici de la paix pour sa terre natale

Hassan Alaoui

L’allure décontractée, à la limite dévergondée dans une élégance recherchée, grande taille nonchalante, visage accusant les traits réguliers et l’âge de la soixantaine dépassée…

Il est là, curieux, fureteur, fidèle à lui-même. Lui,  c’est Simon Skira, né à Casablanca, en 1952 mais ayant vécu la prime enfance à Fès où il intègre l’Ecole française, l’école de l’élite. Cette ville le marquera à jamais, incarnant pour lui l’héritage spirituel, en matière de culte et de musique.

Gâté Simon ? Il a vu ses parents lui organiser en 1957 un anniversaire à Fès qui a …duré plus d’une semaine avec le chanteur célèbre Albert Suissa, venu spécialement de Casablanca avec sa troupe exaucer les vœux de ses parents.

Simon Skira a vécu une enfance peu soucieuse au Maroc, pendant les quinze premières années de son existence dans une famille juive aisée, mais profondément enracinée dans la tradition hébraïque marocaine, autrement dit sobre et solidaire. Le père, David Skira, exemple de rigueur et de labeur, entourait sa famille de son affection et donnait l’exemple d’un homme ouvert, généreux avec ses employés, patriote aussi. Directeur général de la Compagnie continentale du Maroc (CCM), homme d’affaires à la tête de plusieurs sociétés, il était entre autres exportateur de céréales aux Etats-Unis depuis le port de Kénitra et possédait un Café à Casablanca dont la mémoire reste encore vivace, « Le Trésor ».Avec regret, la famille Skira, marocaine jusqu’aux bouts des ongles, quitte le Maroc pour Israël en 1967 après la guerre des Six jours, lorsque le climat devient étouffant à vivre et les hostilités ravivées par les discours enflammées de Gamal Abdelnasser.

Le nostalgique marocain de Bersheva

Ce départ, douloureux certes, ne constitue pas pour autant une rupture avec la terre natale. En Israël, la famille s’installe à Bersheva, ville israélienne dans le sud du pays qui incarne le fief de Maroc dans l’Etat hébreu. Il a quinze ans et poursuit des études de langue française et, plus tard de management, il se spécialise dans les études d’aménagement des villes en voie de développement. Il rejoindra par la suite la prestigieuse Université Ben Gourion et suivra les cours d’Histoire, notamment des Juifs du Maroc. Entre 1982 et 1986, après avoir accompli une grande partie des ses études, il s’intéresse au rapprochement entre les cultures, et replonge dans ses origines avec l’objectif d’en faire une vocation qui le poursuivra sa vie durant. Avec cette rage de faire connaître son héritage, son patrimoine et d’incarner le rôle de passeur entre les peuples, il voyage beaucoup, enjambant les continents et les pays : le Maroc, la France et Israël. De 1982 à 1986, il est en mission en tant que Directeur chargé de la promotion de la langue française, et d’Israël pour le grand sud- ouest de la France, et s’installe à Toulouse comme Délégué pour Israël.

Rappelons que la guerre de Kippour de 1973 enclenche chez lui un réflexe de rejet, car il découvre une haine irascible pour la guerre et s’oriente vers une réflexion inédite : le combat pour la paix et le rapprochement des peuples. Aussi, quand il fonde en 1993 l’Association d’Amitié Maroc-Israël, quand il décide d’en faire le fer de lance de la coexistence, il est en réalité dans le sillage du rapprochement entre les deux pays, marqué par les visites qu’effectuent alors au Maroc Shimon Pérez et Izthak Rabin, avec à la clé l’ouverture officielle de bureaux faisant office d’ambassades. Simon Skira était alors à la fois clairvoyant, et pionnier armé d’une vision à long terme, sauf qu’il s’inscrivait dans le cours de l’histoire naturelle. Car, dit-il, « tôt ou tard la paix gagnera et la vérité vaincra ».

Depuis une dizaine d’années maintenant, Simon Skira n’a cessé d’arpenter, tel un globe-trotter, les capitales de tout ce qui représente une chance de favoriser la paix israélo-arabe, mais surtout de mettre en exergue son pays natal, à savoir le Maroc. Les missions qu’il accomplit comme un infatigable missi dominici du dialogue et un acteur engagé pour la cohabitation, se multiplient avec cette particularité qu’il s’affiche de plus en plus comme un ambassadeur de la paix et de l’espoir. Il marque sa présence sur tous les fronts des réseaux sociaux, twitter, facebook, Linkedin , prend part aux conférences et aux réunions là où il est question du Maroc.

De quoi vit-il aujourd’hui ?, si ce n’est d’une retraite plutôt modique ? « Je vis du tourisme que je veux renforcer entre Israël et le Maroc », dit-il. Et d’ajouter pince-sans-rire : « …et de la paix entre Israël et le Maroc, du développement des villes intelligentes et connectées entre le Maroc et la France »…Car la France est aussi son pays hôte. La nostalgie de sa terre natale chevillée au corps, Simon Skira, il n’a de cesse d’expliquer l’histoire du Maroc à ses compatriotes marocains d’Israël, toutes générations confondues, la première, la deuxième voire la troisième qui ont hérité de la mémoire des pères et grands-pères. « C’est, dit-il, la continuité organique au-delà des frontières et des limites du temps ». Assis dans un restaurant du Cercle juif de Casablanca avec Raymonde , la musicienne et chanteuse juive marocaine la plus connue en Israël et dans le monde, il nous apprend que dans la même salle se trouve à nos côtés un important groupe d’Israéliens venus en visite au Maroc spécialement se recueillir sur les tombes de leurs aïeuls , deuxième et troisième génération.

L’impénitent ambassadeur du Maroc

Quand il est au Maroc, ou entre deux vols, Simon Skira ne manque jamais de se rendre au cimetière juif de Casablanca pour prier sur les tombes de ses parents et grands parents, ensevelis sous cette « terre bénie » dans le même continuum immémorial de 5000 ans de l’histoire du Maroc. Il brandit constamment l’Article 41 de la Constitution selon lequel « Le Roi, Amir Al-Mouminine veille au respect de l’Islam et est le garant du libre exercice des cultes ». D’où son dévouement irrépressible pour la Monarchie, le Roi et le Maroc. De sa tendre enfance, il garde les souvenirs de l’épopée de la Libération en 1956, des discours de feus Mohammed V, Hassan II et, dans l’entrelacs d’une vie mouvementée, il a décidé soixante ans plus tard de reconstruire son identité, composée de judaïté marocaine, de citoyen du monde et de défenseur de la paix. « Le Maroc, dit-il, avait perdu peut-être  un ressortissant, mais il a gagné un ambassadeur ».

Simon Skira est Président fondateur de l’Association d’amitié Maroc-Israël dont il espère obtenir l’autorisation côté marocain. Il est également Secrétaire général de la Fédération des Juifs du Maroc en France. Riche du patrimoine exemplaire d’une communauté juive qui n’a jamais perdu son identité, quel que soit le contexte, installée partout à travers le monde, le Maroc est fier d’un lien social et historique avec ses hommes et ses femmes juifs. Ils sont, comme disait feu Hassan II, le « lien ombilical profond » du Maroc avec sa mémoire. Il existe pas moins de 652 lieux saints juifs au Maroc et chaque année, ce sont des milliers qui s’y rendent à l’occasion de la Hiloula, lancée officiellement et massivement en 1978.

Simon Skira, comme beaucoup de concitoyens juifs marocains, entend défendre ce patrimoine qui est au Maroc ce que le creuset ou le socle sont à son âme , ou mieux encore : la source irrigatrice à son fleuve.

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