Stratégies et lendemains incertains du PJD

A moins de 72 heures du vote décisif, prévu le vendredi 7 octobre, pour élire les 395 nouveaux députés de la Chambre des représentants, la campagne électorale bat son plein sans pour autant céder à ce que beaucoup craignaient, voire redoutaient : les désordres et les violences. Pour peu que l’on prête attention aux divers échos qui nous parviennent des régions recluses, elle semble même tiède. Les médias, composés essentiellement des sites numériques et les réseaux sociaux nous rapportent quelques images où les projecteurs sont braqués plus sur le duel PJD – PAM que sur l’ambiance, beaucoup moins en tout cas sur les autres formations politiques.

Est-ce à dire, on ne le sait que trop, que le duel entre les deux partis, comme en septembre 2015, est d’une dimension exceptionnelle parce qu’il se focalise sur leurs deux dirigeants plus que sur les programmes. Inutile d’ajouter que l’émotion et la mise en condition sont devenues également un critère pour ne pas dire une arme de guerre, le secrétaire général du PJD, Abdelilah Benkirane se transformant en la matière en orfèvre inégalé. Cette tendance à théâtraliser la scène et ses sorties, si elle n’est pas inédite, tient lieu en revanche de la communication, on dit la Com populiste qui devient la règle à chaque rencontre avec les populations. Effet de scène et d’annonce, dramatisation s’il le faut comme à Agadir avec l’ahurissante invocation de Ibn Taymia, figure tragique du XIIIème siècle qui n’a rien à voir avec nos valeurs et notre références, mais qui inspire les jihadistes et les apostats de l’Islam malékite contraire au notre.

L’invocation jihadiste d’Ibn Taymia

Abdelilah Benkirane, chef du PJD et du gouvernement ne s’est jamais expliqué, d’ailleurs, sur cet épisode alors que, de partout, des voix se sont élevés pour le dénoncer et le condamner. Non plus ses fidèles, troupes et militants qui sévissent par milliers sur les réseaux avec des méthodes inquisitoriales et fascisantes, allant jusqu’à des fatwas criminelles. Dans la foulée de la campagne, dans le branle-bas de combat des non-débats mais des joutes violentes et expéditives, la référence à Ibn Taymia est passée comme enveloppée dans la tempête provocatrice que le leader du PJD déchaîne, pourvu que sa posture de martyre passe et récolte les voix. Or, au-delà, ce qu’il convient de mettre en cause, c’est une volonté d’idéologisation profonde et systématique des fondements de notre société, un désir compulsif de briser le lien  social en investissant à terme les soubassements de notre conscience et, les multiples vidéos le prouvent chaque jour, une irascible propension à écorner le pouvoir institutionnel qu’est la Monarchie.

Aux élections de novembre 2011, les toutes premières organisées dans le cadre de la nouvelle Constitution, annoncée en mars par le Roi Mohammed VI et adoptée par référendum à l’unanimité en juillet 2011, le PJD a recueilli 27,8% des voix, soit et de loin moins de la moitié qui se sont rendus aux urnes. Quelque 14 millions de citoyennes et de citoyens s’étaient pourtant inscrits, mais seulement quelque près de 7 millions ont voté, l’abstentionnisme – comme en 2007 – ayant été plus que ravageur, puisqu’il avait atteint plus de 45%.

En dix ans la carte politique et sociologique – conséquence de la désaffection politique et électorale – a profondément changé, en faveur du PJD, bien entendu. Formant une armée engagée, disciplinée, solidaire et déterminée, les militants et sympathisants du PJD ne s’abstiennent jamais dans un vote national, qui plus est à caractère et aux enjeux idéologiques. Autant dire que l’abstentionnisme d’une grande majorité de citoyens qui cultivent une sorte de « bashing-partis », laisse au PJD un immense boulevard, favorise à la fois sa conquête et son implantation progressive aux dépens de ses adversaires.

Quel eût été le résultat du scrutin de 2011 si, comme on l’espérait, les 14 millions de marocains s’étaient tous rendus à l’unisson aux urnes ce vendredi 25 novembre, jour du vote ?

Une marge réduite malgré le fort abstentionnisme

Sauf à s’y tromper gravement, on croit avancer que le PJD a fait son plein sur la faible part de la participation, et que ceux qui n’ont pas voté constituent donc un réservoir immense de voix perdues ! On y ajoutera que ceux qui n’ont pas voté pour le PJD, mais pour ses adversaires, entre autres les 16% de l’Istiqlal, les 13% du RNI, les 12% du PAM, les 10% de l’USFP, les 8,10% du MP formaient, c’est le moins que l’on puisse dire, une majorité absolue, autrement dit, ils modifieraient l’équation électorale et politique.

En 2011, ce sont seulement 1,2 million de personnes qui ont accordé leur voix au PJD. Sur une population globale de 34 millions, ce chiffre est d’autant plus dérisoire qu’il ne constitue, tout compte fait, qu’une majorité marginale. En d’autres termes, il ne justifie nullement la prétention du parti islamiste à représenter la nation dans toutes ses composantes. Cependant, il serait intéressant de mesurer la courbe de l’évolution du PJD, eu égard au scrutin de novembre 2011, maintenant qu’il est confronté à un redoutable et sérieux challenger, qu’est le PAM. Ce dernier, à la lumière des résultats des élections communales et régionales de septembre 2015, n’a-t-il pas élargi son champ d’implantation et surpris ses adversaires, alors qu’il n’a été crée qu’au mois d’août 2008 ?

L’allié objectif du PJD et peut-être sa force parallèle, c’est d’abord l’abstentionnisme criard qui est au système électoral ce que le mal pernicieux est à un organisme en constitution, son Talon d’Achille. Les dirigeants du parti islamique l’ont bel et compris, et leur espoir c’est à la fois de voir s’instaurer une dépolitisation de la majorité des marocains et des électeurs qui ne leur sont pas acquis et de renforcer le noyau de la base acquise et farouchement hostile à l’alternance et au changement. Il convient de souligner que la dépolitisation traduit une sorte de rejet, une désaffection à la politique et aux affaires publiques.

Le scrutin du 7 octobre comporte des germes de contestation, autrement d’un vote-sanction à double dimension, soit contre la gestion du PJD au cours des derniers cinq ans, auquel cas il doit s’incliner, soit en revanche pour son maintien, ce qui signifie qu’il convainc le peuple et les électeurs. Du coup, la question  se pose : sur quelle base solide peut-il convaincre, ce PJD décrié au moins par les 2/3 des électeurs ? Il s’est « débiné » lorsqu’on lui a demandé de dresser son bilan gouvernemental, il a cru inventer des sornettes comme « Attahakoum » et autres tartufferies sémantiques, il en est venu au langage manichéen, mélange de charme séducteur – dont son leader a le secret – et de menaces voilées, il n’a eu de cesse de répéter le célèbre et triste propos prêté à Louis XV : « après moi le déluge » !

Vainqueur ou vaincu, le PJD sera indubitablement porté à composer au lendemain du scrutin du 7 octobre. Et, logiquement, le parti le plus proche, celui qui le devancerait ou le talonnerait n’est autre que son challenger : le PAM qui, conforté par son implantation progressive à travers les campagnes, non content aussi de conquérir les agglomérations urbaines – que le PJD a raflées en 2011 à l’USFP – ne s’avoue pas vaincu et d’emblée se positionne comme le futur gagnant avec un programme économique cohérent et convaincant. Le système politique marocain a cette originalité qu’aucune formation politique, quelle que soit sa force, n’est capable d’obtenir une majorité écrasante lui permettant de gouverner seule. Abdelilah Benkirane en est d’autant plus convaincu que, devançant une hypothèse de coalition inédite et difficile – sorte de pacte avec le diable – , il a déjà répondu à la question  lors de l’un de ses meetings : « Qu’on nous oblige pas à cohabiter avec ceux de nos adversaires que nous ne portons pas sur nos cœurs » ! Ce qui veut dire : pas d’alliance avec le PAM…Or, l’hypothèse n’est pas seulement de travail, elle est peut être imposée par l’arithmétique des voix et, c’est un cas de figure, par l’intérêt national….

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