Tighza, village du Haut Atlas, face aux séquelles du séisme d’Al Haouz
Par Hajar Ben Hosain
Dans les hauteurs du Haut Atlas, les saisons ne se succèdent plus, elles s’affrontent. L’hiver a laissé derrière lui des murs humides, des corps transis et des routes brisées. À peine passé, le printemps s’est imposé, implacable, avec sa chaleur sèche et son soleil écrasant. Dans les douars reculés comme Tighza, la vie vacille entre le souvenir du froid extrême, la sécheresse grandissante et les traumatismes du séisme. Et pourtant, les habitants tiennent bon. Une enquête sociologique révèle une vérité bouleversante : ici, survivre est un acte quotidien de résilience.
À Tighza, petit douar accroché aux pentes du Haut Atlas, le silence des montagnes cache mal le vacarme intérieur des habitants. Ici, l’hiver n’est pas une simple saison, c’est une épreuve. Les toits en tôle ont laissé passer la pluie, les murs en pisé ont suinté d’humidité, et les enfants ont grelotté dans des pièces sans chauffage.
Lorsque le printemps est arrivé, il n’a pas offert de réconfort. Il a frappé avec une chaleur brutale, presque insultante, comme pour rappeler que le répit est un luxe. L’eau, devenue rare, est montée dans la liste des urgences. Et au cœur de cette adversité, une force silencieuse se dégage : celle d’une population qui, malgré tout, s’adapte, s’entraide et continue de croire au lendemain.
Une enquête de terrain a été menée au cœur du douar Tighza dans le cadre d’un programme de sociologie. Organisée par un partenariat entre l’Université Hassan II de Casablanca et l’Université de Turin, avec le soutien du programme « Careful Irrigation » (IHE Delft), cette initiative a rassemblé des étudiants marocains et italiens. Leur mission, à la fois scientifique et humaine, visait à mieux comprendre la souffrance quotidienne de cette population.
Plus précisément, le projet a mobilisé un vaste réseau académique, s’étendant de Casablanca à Paris, de Rabat à Zurich, avec une ambition claire : former une nouvelle génération de sociologues capables de décrypter la complexité des territoires. Sur le terrain, les étudiants ont découvert concrètement les conséquences du séisme, les limites des politiques publiques, ainsi que la vitalité des actions menées par les communautés locales.
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Selon des propos relayés par plusieurs médias, l’enquête a exploré plusieurs axes clés pour la reconstruction : la gestion sociale de l’eau dans un contexte de crise hydrique, les transformations familiales, les pratiques locales, ainsi que les opportunités offertes par le tourisme rural. Cette approche, à la fois rigoureuse et humaine, a combiné immersion sur le terrain, diagnostics participatifs et restitutions quotidiennes, en interaction directe avec les habitants.
En outre, en collaboration avec une association féminine locale, le rapport a consacré un volet à la situation des femmes du village. Les chercheurs ont mis en place un diagnostic participatif centré sur la valorisation des produits alimentaires. L’objectif était de créer des sources de revenus autonomes, fondées sur les savoir-faire traditionnels, et ouvrir la voie à un développement économique plus inclusif.
Malgré des conditions difficiles, les auteurs de l’étude ont été marqués par la solidarité, la générosité et l’accueil des habitants. Ces valeurs, incarnées avec pudeur par les montagnards, ont largement contribué au succès de cette école de terrain. En partageant le quotidien des habitants, les chercheurs ont recueilli bien plus que des données ; des récits, des gestes, une mémoire collective.
Cependant, cette solidarité, aussi précieuse soit-elle, ne peut à elle seule compenser les défaillances du système. Elle ne masque pas les lenteurs, les frustrations, et parfois même l’injustice. Plus d’un an et demi après le séisme d’Al Haouz, un rapport accablant de la Ligue marocaine des droits de l’Homme, publié en avril 2025, révèle les profondes failles d’une reconstruction qui peine à panser les blessures.
Aide au logement : chiffres flous et inégalités criantes
Le rapport a critiqué sévèrement les critères d’attribution de l’aide au logement aux sinistrés du séisme d’Al Haouz, dénonçant « de graves dysfonctionnements » et « de profondes inégalités ». Il a précisé que dans la province d’Al Haouz, 82 % des personnes interrogées estiment que l’aide de l’État est insuffisante pour couvrir les coûts de reconstruction, en raison du prix élevé des matériaux et de la topographie montagneuse de la région.
Par ailleurs, le rapport a souligné une contradiction de taille entourant les chiffres officiels liés aux habitations touchées. La commission interministérielle évoque 58 000 logements détruits, totalement ou partiellement, tandis que le ministre délégué au Budget parle, lui, de près de 60 000 habitations sinistrées, dont 32 % seraient totalement effondrées. Ce flou chiffré n’est pas sans conséquences : selon le même rapport, près de 14 000 familles auraient été privées de l’aide complète de 140 000 dirhams. Sur le terrain, les témoignages illustrent le malaise. Près de 79 % des sinistrés déclarent n’avoir perçu que 80 000 dirhams, bien loin de la somme promise. Et pour 82 % d’entre eux, cette enveloppe ne permet tout simplement pas de reconstruire, notamment à cause du coût élevé des matériaux dans les zones montagneuses.
Dans le même esprit, le Bureau politique de la Fédération de la Gauche Démocratique, dans un communiqué adressé à Maroc Diplomatique, a confirmé ces constats. Lors de sa visite, le 31 mai 2025, dans les douars touchés par le séisme d’Al Haouz, il a relevé plusieurs difficultés majeures. Le communiqué souligne également l’exclusion totale de certains sinistrés, notamment des veuves qui élèvent seules leurs enfants, de tout dispositif d’aide au logement. Par ailleurs, les victimes subissent des pressions pour évacuer les tentes et containers mis à leur disposition, sans qu’une alternative concrète ne leur soit proposé