Quand le Togo focalise le regard d’inquiétude

 Par Othmane Semlali 

La crise politique profonde que traverse le Togo focalise, de plus en plus, l’intérêt de la communauté internationale comme celui des observateurs les plus avertis. Le pays vit, depuis le 19 août 2017, au rythme de manifestations et de soulèvements populaires quasi-permanents, avec une exigence très poussée, celle du départ de l’actuel président Faure Gnassingbé, aux commandes suprêmes du pays depuis 2005. 

Nathaniel Olympio, président du Parti des Togolais, a ainsi appelé, mercredi 8 novembre, lors d’un meeting, la population à plus de mobilisation pour faire partir le régime de Faure Gnassingbé. « Démission, Faure Gnassingbé, démission. Pas question de vous laisser terminer votre mandat en 2020 », ont ainsi crié les manifestants déterminés à poursuivre les contestations engagées, depuis le début de cette semaine. En effet, c’est après des mois de vives tensions ayant atteint l’ensemble du pays, que des milliers de protestants ont investi, de nouveau, les rues de la capitale Lomé, ainsi que d’autres villes à l’instar d’Aného (Sud-est), ou encore de Tchamba (nord) pour ne citer que quelques-unes. Cette nouvelle manifestation, selon plusieurs observateurs, intervient suite à l’appel d’une opposition, décidément, déterminée à porter les souffrances du peuple togolais et à mener le combat jusqu’au bout.

Sur la liste des revendications, figurent aussi des réformes constitutionnelles en profondeur. Outre les raisons politiques, les populations, dénoncent ce qu’elles appellent une «extrême pauvreté» dans laquelle elles survivent, depuis plusieurs années, accusant le pouvoir en place d’être à l’origine de tous les maux, et d’un manque d’actions d’envergure pour améliorer leurs conditions de vie. Les préoccupations de l’opposition, une coalition de 14 partis, s’articulent autour de trois points à savoir le retour à la Constitution du 14 octobre 1992, dans sa version originelle, l’ouverture du vote aux Togolais de l’étranger, ou encore le déverrouillage des institutions du pays. Pour rappel, le projet de Constitution de 1992 avait été, à l’époque, refusé par une partie de l’opposition, qui estimait que sa version originelle n’avait été modifiée que pour permettre à feu Gnassingbé Eyadéma d’être candidat, et ce n’était qu’après, qu’elle fut adoptée par référendum.

Changement de cap puisque cette même opposition qui, actuellement, revendique l’ouverture du vote à la diaspora, avait à un certain moment, rejeté l’idée car, craignant que le pouvoir, qui était en place, ne distribue des cartes d’identité à des non-Togolais leur permettant de participer à ce scrutin. Certes, observées dans plusieurs villes togolaises, ces nouvelles manifestations ont épargné Sokodé, deuxième plus grande ville du Togo, et fief de l’opposant Tikpi Atchadam, ou encore la ville de Bafilo, car mardi 7 novembre 2017, des militaires cagoulés et lourdement armés, ont quadrillé les deux cités, empêchant par la force, les militants de l’opposition de se rassembler. Et si on tente, de sources officielles, de relayer le caractère pacifique des manifestations, des militants des droits de l’Homme évoquent, quant à eux, des dizaines de blessés, laissant savoir que des membres d’Amnesty International ont rendu visite, mercredi 8 novembre, à plusieurs blessés qui se disent être victimes de «bastonnades».

Une crise politique parmi les plus graves ayant secoué le pays, avec 800 personnes tuées et des dizaines de milliers de réfugiés, avant que les différents acteurs politiques n’aient décidé à cette époque, de s’engager dans un vaste dialogue politique. L’une des priorités revendicatives, porte sur les conditions d’éligibilité du président de la république, la durée et la limitation des mandats présidentiels, la nomination et les prérogatives du Premier ministre, de l’institution d’un Sénat ou encore de la réforme de la Cour Constitutionnelle. D’ailleurs, le 5 septembre 2017, dans le cadre de la réforme constitutionnelle entamée, un avant-projet de loi a été adopté, concernant l’article 59, décidant de la limitation du nombre de mandats présidentiels à un seul de cinq ans, renouvelable une seule fois. En d’autres termes, l’opposition revendique toujours une limitation du nombre de mandats présidentiels à deux et la démission de Faure Gnassinbgé.

Le gouvernement, quant à lui, envisage d’organiser un référendum pour faire adopter cette mesure sans effet rétroactif, ce qui devrait, légalement, permettre à Faure Gnassingbé de se présenter aux scrutins de 2020 et 2025. Lancé le 19 août 2017, le premier mouvement de contestation a été instigué par Tikpi Atchadam, leader du Parti National Panafricain (PNP) et nouveau patron fort de l’opposition togolaise. Tikpi Atchadam (50 ans) a roulé la bosse au sein du Parti Démocratique pour le Renouveau (PDR), dont le mentor est Zarifou Ayéva, visage marquant de l’opposition togolaise, durant les années 90. D’ailleurs, c’est cette formation politique qui lui avait permis, à l’époque, de maîtriser l’art de la politique, et de siéger, au début des années 2000, au sein de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI).

A partir du 29 novembre 2014, il donne naissance officiellement à son parti (PNP) qu’il dirige depuis sa ville natale, alors que le pays, fort d’une population ne dépassant guère les 7,6 millions d’âmes, compte une centaine de formations politiques. Face à la persistance de la contestation et de crainte que le pays ne sombre dans une crise politique encore plus profonde et dans la spirale de la violence, plusieurs voix se sont élevés prônant l’apaisement et le dialogue. A commencer par la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Agnès Romatet-Espagne, qui a déclaré que la France suivait, avec préoccupation, la situation au Togo. «Nous condamnons, fermement, les violences récentes qui ont fait plusieurs victimes, notamment à Lomé et à Sokodé. Nous appelons les parties à l’apaisement et à entamer un dialogue» avait-t-elle indiqué. Quelques jours plus tard, c’est au porte-parole du département d’Etat américain de faire part des préoccupations de son pays : «Les informations faisant état d’un recours excessif à la force par les forces de sécurité».

Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, via son porte-parole Stéphane Dujaric, avait, en marge de l’Assemblée Générale de l’ONU à New York, appelé aussi l’opposition togolaise et la mouvance présidentielle à un dialogue pour régler la crise politique, et de trouver un consensus sur les «réformes institutionnelles que la majeure partie des Togolais, et le peuple togolais acceptent pour que le pays puisse aller de l’avant». Lundi 6 novembre, le pouvoir a prôné l’apaisement, lorsque le gouvernement a invité l’opposition au « dialogue », et annoncé la libération de 42 personnes arrêtées, lors de précédentes manifestations.

La Délégation de l’Union européenne, la Coordination du Système des Nations unies et les ambassades d’Allemagne, de France et des États-unis d’Amérique au Togo, connus sous le nom de G5, dans une Déclaration conjointe rendue publique mardi 7 novembre, encouragent les acteurs politiques au dialogue, suite à la main tendue du pouvoir en place. L’UE, le système des Nations unies, les ambassades de l’Allemagne, de la France et des Usa au Togo ont affirmé avoir accueilli «positivement les mesures d’apaisement annoncées par le gouvernement» et appellent, à cet effet, «toutes les parties concernées à reprendre le dialogue pour sortir de la crise actuelle», peut-on lire dans leur déclaration.

Par ailleurs, sur l’impact économique que pourrait engendrer cette crise qui secoue le pays depuis des mois, la délégation du Fonds Monétaire International (FMI) qui a achevé, le 31 octobre 2017, à Lomé, la première revue du programme appuyé par la Facilité Elargie de Crédit (FEC), estime que ces tensions pourraient écorner les bons résultats économiques du pays. Si les indicateurs économiques, relevés sur place, sont globalement positifs, notamment une croissance susceptible de s’établir autour de 5 pc, en fin d’année, un faible taux d’inflation, l’assainissement en cours des finances publiques, la modernisation des infrastructures, les financements extérieurs obtenus à des conditions favorables, une mise en garde contre les incidences économiques de ces tensions, ont été formulés par le chef de mission du FMI, Ivohassina Razafimahefa.

Les manifestations qui ont éclaté (…) pourraient «si elles persistaient (…) entamer la confiance des consommateurs et des investisseurs», a-t-il estimé. Sur le registre diplomatique, cette foisci, la poursuite des manifestations pourrait remettre en cause tout le calendrier des grands événements devant se tenir au Togo. L’annulation par le gouvernement togolais de la conférence ministérielle de la Francophonie qui devrait avoir lieu du 24 au 26 novembre, laisse planer le doute sur la capacité du pays à maintenir ses engagements en matière d’organisation d’événements, à l’instar de la prochaine session ordinaire de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) prévue en décembre prochain. Un rendez-vous d’une importance cruciale dans le processus d’adhésion du Maroc à ce groupement économique sous-régional.

En définitif, la crise politique au Togo a engendré, depuis son déclenchement, un bilan lourd,  avec une quinzaine de morts, plus de 200 blessés et des arrestations en série. La main tendue du pouvoir, à travers les mesures d’apaisement et un appel au dialogue proposés n’ont pas, jusqu’à présent, atténué l’ardeur des protestataires et des partis de l’opposition, laissant planer le doute sur la capacité de ce pays à dépasser ce moment difficile et à satisfaire les besoins d’une population qui semble aspirer au changement. Seul l’avenir pourrait apporter une réponse.

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