Transition énergétique : Quels risques pour le Maroc ?

A fin 2020, l’objectif du Maroc d’accroitre la part des énergies renouvelables n’a pas été atteint. Il faut dire que la période de crise sanitaire y était pour quelque chose, mais le travail et les chantiers devaient, en principe être achevés bien avant cette échéance, si aujourd’hui, l’objectif est d’atteindre 52% de la puissance installée, comme le prescrivent les Hautes Orientations de Sa Majesté le Roi, il y a lieu de se demander, notamment à la lumière des retards enregistrés, s’il serait possible d’atteindre cet objectif, en temps voulu et conformément à la Vision Royale.

Surtout lorsqu’on apprend que dans le cadre de Son suivi régulier du secteur énergétique au Maroc, S.M. le Roi a relevé un certain nombre de retards dans la réalisation des objectifs de la stratégie nationale des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Est-il ainsi possible de faire un bilan de cette première décennie marquée certes par de grandes avancées dans ce domaine, mais également entachée de certaines entraves qui ont empêché la réalisation à temps des objectifs ?

Si l’on s’en tient aux avis de certains experts en la matière, toute tentative de dresser un bilan aujourd’hui, serait vouée à l’échec. D’autres, un peu plus convaincus, estiment que le bilan serait bien en-deçà des attentes.

Comme c’est le cas du Dr. Said Guemra, Expert, conseiller en management de l’énergie 4.0, qui, contacté par Maroc Diplomatique, a attesté, qu’à fin 2020, le bilan est «négatif». Particulièrement en matière d’efficacité énergétique où, selon lui «l’investissement est de 15 à 200 fois moins important que celui des renouvelables». A ce propos, Gamra appelle à un retour à la feuille de route Royale de 2009, basée sur une efficacité énergétique élevée au rang de priorité nationale, et des énergies renouvelables avec un socle de production charbon et éolien qui avoisinerait 0,6 DH/kWh.

Ce que risque le Maroc

Sur le plan économique et au vu de cette situation, le Maroc risque gros.  Beaucoup d’obstacles entravent le développement du secteur, notamment le financement et la réglementation. A ce niveau, l’expert fait remarquer que les projets de loi présentés par le ministère de tutelle constituent l’un des principaux obstacles. En effet, en 2010, la loi 13-09 est entrée en vigueur et stipulait, cite-t-il «un développeur privé peut investir dans les énergies renouvelables en majorité dans l’éolien, et alimenter les clients en haute tension : OCP, Grandes industries, Aéroport MV…». Puis, il relève qu’en 2016 une nouvelle (la loi 58-15) qui est intervenue comme pour porter des corrections à la première, prévoyait, notamment dans son article 5 que «les installations renouvelables peuvent être raccordées aux réseaux basse et moyenne tension, haute et très haute»… Le fait est que, souligne Gamra, jusqu’à ce jour, les décrets d’application sont encore lettres mortes.

Par ailleurs, la progression du secteur est aussi freinée par le retard qu’ont connu les différents projets des énergies renouvelables. En témoigne le programme solaire qui avait pour objectif de réaliser 2000 MW en 2020, alors qu’en 2021 on n’en est encore qu’aux environs de 750 MW.  Le problème qui se pose ici, estime encore l’expert, c’est la promesse répétée de réduire 18 MMDH/an de la facture, 3 MMDH/an de vente des crédits carbone, soit un total de 21 MMDH/ an.

Pour ce qui est de l’efficacité énergétique, Dr. Gamra estime que le bilan est égal à «zéro». Il indique, dans ce sens, que la seule mesure considérée par le gouvernement comme mesure d’efficacité énergétique, était le GMT+1, ce qui, selon lui, «est loin d’être le cas».  Et l’expert de faire remarquer, enfin, que le «non-respect» du plan de transition énergétique Royale de 2009, a fait perdre à la nation plus de 80 MMDH sur 10 ans, bien plus que la perte du plan solaire.

L’autre point clé mais qui pose problème par ce qu’il pèse est la formation. A ce niveau, l’on relève que beaucoup d’universités au Maroc, financées et équipées de laboratoires, forment aujourd’hui des ressources humaines en matière d’efficacité énergétique et énergies renouvelables afin d’accompagner «la politique énergétique du pays». La ville d’Ouarzazate et pour sa proximité avec les grandes centrales solaires, a commencé à abriter les grands instituts de formation dans les métiers énergétiques, notamment l’Institut de formation aux métiers des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (IFMEREE). Malheureusement, déplore Gamra, la majorité des lauréats sont aujourd’hui au chômage. «On estime à 8% le nombre de lauréats effectivement recrutés dans ce domaine».

Et ce que peut faire l’ONEE mais…

Encore au stade de préparation, un grand projet de l’ONEE prévoit une part de 58% des EnR dans le mix énergétique marocain à l’horizon de 2030. Toutefois, ce grand projet se trouve confronté au problème du financement qui pèse sur son avancement et nécessite «des garanties d’État» pour des investisseurs privés. Dans ce contexte, Guemra a relevé la grande maîtrise de l’ONEE en matière de financement des «grands projets électriques de la nation, de réalisation de ces projets dans les délais et de l’excellente tenue du réseau national considéré comme l’un des plus stables de la région MENA». 

L’ONEE, estime l’expert, peut atteindre l’objectif fixé dans le mix énergétique (21 points à rattraper, soit 2100 MW), et peut-être, dans le cadre d’un partenariat public privé, et un mix photovoltaïque actuellement à 0.12/0.14 Dh/kWh et éolien à 0.3 Dh/kWh, «très loin de ce que nous coûte actuellement le projet solaire à concentration». Mais la situation financière «très tendue», et le déficit qui dépasse les 57 MMDH, ainsi que ses moyens de production renouvelables les moins coûteux : barrages amortis, et éolien «qui ont été transférés à Masen» peuvent entraver la réalisation de son objectif.

Enfin, si le bilan de l’efficacité énergétique et énergies renouvelables est «insuffisant», ceci est bel et bien dû au coût exorbitant du kWh solaire, au retard de réalisation des grands projets renouvelables, au nombre d’entreprises qui auraient pu être créées dans le secteur et aux milliers d’emplois perdus.

Les priorités stratégiques du secteur énergétique au Maroc

 Pour un retour à l’état normal des choses, Saïd Guemra estime que le secteur énergétique au Maroc doit se fixer des priorités stratégiques. A cet effet, et pour que cela «aille mieux à l’avenir», il émet certaines propositions qu’il a discutées avec les professionnels du secteur, des experts nationaux et internationaux dans le domaine de l’énergie, et du droit de l’énergie.

Il s’agira, en premier lieu, de revenir au plan de transition énergétique instauré par Sa Majesté en 2009, et qui était une première mondiale en la matière.  Le plan de transition doit constituer de manière prioritaire la véritable feuille de route dans ce domaine. Puis d’élaborer les nouvelles lois à la lumière de la feuille de route royale. Soit pas moins de six lois, afin que chaque utilisateur se retrouve dans la loi qui le concerne. Il s’agira ainsi d’une «loi de la haute tension», une «loi de la moyenne tension» et une «loi de la basse tension». A celles-ci s’ajouteront la «Loi d’autoconsommation collective», la «Loi des Excédents Renouvelables Prioritaires» (ERP au profit de nos industries exportatrices) et la «Loi de création de l’autorité carbone».

L’expert propose aussi d’attribuer le statut de transporteur et distributeur unique à l’échelle nationale, avec absorption des régies, et fin des concessions privées et la dissolution de Masen, et la réaffectation des actifs au profit de l’ONEE, (dans le privé, si une société cumule des déficits, les actionnaires la ferment. ONEE a les moyens et la longue expérience pour gérer les renouvelables). Il sera aussi question de renforcer le rôle de l’ONEE en tant qu’acteur principal du plan de transition énergétique marocain (partenariat public-privé pour des projets sur les 12 régions du royaume. Chaque région aura des projets spécifiques : Eolien, PV, hydrogène…)

Enfin, il faudra procéder à une fusion de l’AMEE et de la SIE avec des objectifs clairs et mesurables de l’efficacité énergétique selon sa définition dans les standards internationaux.  Les renouvelables seraient du ressort de l’ONEE. En plus de l’instauration de la fiscalité des énergies renouvelables, qui doit aider l’ONEE à résorber son énorme déficit en l’espace de 5 à 7 ans.

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