Trump et son empire

Par Hassan Alaoui

 Le Golfe est désormais livré à ses démons. L’escalade à laquelle nous assistons de­puis la fin du mois d’avril, opposant les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis (EAU) et Bahrein à la République islamique d’Iran n’est, en vérité, que la face visible de l’iceberg. Une réelle partie de poker se joue là avec comme acteur essentiel les Etats-Unis qui dictent à la fois la politique et la stratégie à mener dans une région où les enjeux pétroliers et gaziers ont constitué, depuis toujours le socle de tous les intérêts et des rivalités résurgentes.

Avec l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump en 2016, ce ne sont pas seulement les para­mètres de la diplomatie qui ont chan­gé, mais le langage et la méthode de pression. Les Etats-Unis ont dé­noncé la quasi-totalité des accords multilatéraux, sur le climat, l’immi­gration, le nucléaire, le processus de règlement au Moyen Orient, et dans la foulée, ils ont durci le ton avec la République islamique d’Iran, en renforçant continuellement les sanc­tions contre elle, en appelant les partenaires européens à en faire de même, en pointant du doigt sur une liste noire le régime dé Téhéran, ac­cusé de « terroriste » et, à présent, en créant les conditions de ce qui pourrait constituer les « préparatifs psychologiques » à une intervention manu militari

 Près de deux siècles après son invention en 1823, la fameuse « Doctrine Monroe » est là, active et redéployée à l’échelle planétaire. Annoncée en 1829 par James Monroe, président des Etats-Unis , ce qui devien­dra sa « doctrine », constituait un « avertissement à l’encontre des pays étrangers sur ce qu’ils ne de­vaient pas faire s’ils ne voulaient pas provoquer des réactions plus ou moins violentes » de la part du gouvernement américain. Aus­si paradoxale qu’elle semble, la lignée présidentielle américaine n’a jamais modifié son éthique dès lors qu’il s’agit de défendre les intérêts suprêmes de cette « Ame­rica first » : Truman, Roosevelt, Kennedy, Johnson, Nixon, Ford, Carter, Reagan, Bush Senior, Clinton, George W.Bush, Obama et aujourd’hui Trump ne se sont jamais, à vrai dire, départis de cette ligne de conduite. L’arrivée du régime des Ayatollah à Téhéran en 1979, après avoir chassé le Shah, a porté un rude coup à la politique extérieure américaine et notamment à leurs intérêts au Golfe, la prise d’otages, quelques mois après, du personnel de l’ambassade améri­caine par les Pasdaran ( Gardiens de la Révolution islamique ) , la tentative ensuite lancée par Jim­my Carter pour les libérer par un commando de soldats américains, tous écrasés dans un hélicoptère, avaient constitué des motifs d’une rancoeur réciproque qui allait croissant.

Donald Trump a décidé de fa­çonner le Moyen Orient à sa guise et, invoquant les mêmes motifs de son lointain prédécesseur, Monroe en l’occurrence, il est enclin de redorer le blason d’une Amérique impériale sur fond d’un démantèlement méthodique de la région du Moyen-Orient, en faisant monter les enchères et creuser gravement les divisions. Jamais le Moyen Orient n’a été autant miné et menacé dans son existence, ni le sentiment d’in­justice et d’impunité prévaloir si gravement aux yeux de ses peuples. En rappelant, le 15 mai dernier, une partie du personnel de l’ambassade américaine en Irak, en renforçant également le dispositif militaire dans la région avec l’envoi du porte-avions et de missiles Patriot, Donald Tru­mp joint ainsi l’acte à la parole. Il a délibérément mis en place un processus de déstabilisation de l’Iran , avec la volonté d’em­pêcher même ses alliés – notam­ment la Chine, l’Inde et quelques six autres pays – d’acheter le pé­trole iranien, supprimant fin avril le système d’exemptions et se fai­sant plus pressant.

Ces mesures, outre la campagne de communication qui les pré­cède, sont accompagnées par la mise en index et la dénonciation de la présence militaire de l’Iran en Syrie, au Yemen voire en Irak et au Liban à travers les milices ch’iites et le Hezbollah. Israël, allié naturel de Washington, n’y va pas de main morte non plus pour souffler sur la braise et four­nir de faux renseignements aux Etats-Unis. Le sabordage par des milices Houties de quatre navires commerciaux au large des Emi­rats arabes unis, à Foujeira, ayant également visé deux tankers d’Arabie saoudite, ont fait mon­ter la tension d’un cran et donné lieu à toutes les hypothèses pos­sibles, dont celle d’une plausible confrontation militaire.

On se réjouit en effet que la guerre soit « finie » – au prix des centaines de milliers de morts et d’exilés – en Syrie et en Irak, on feint de proclamer la fin de l’Etat islamique, et de chasser ses combattants, mais paradoxalement on ne prend pas la réelle mesure du chaos qui en est résulté, des retombées colla­térales dans ce qu’il convient de nommer la « zone grise en feu », qui va de la Libye jusqu’au Bur­kina Faso, voire en Algérie. Vaste Sahel qui resurgit dans nos plans avec des cortèges d’atrocités et de menaces de déstabilisation immi­nentes. Un homme et un seul au coeur de ce dispositif planétaire, ambitieux jusqu’à la fougue, im­patient d’en découdre avec l’hu­manité tout entière, solitaire dans sa décision, il a pour nom : Do­nald Trump. Il est à la politique mondiale aujourd’hui ce que l’Argos fut à la mythologie, un incontrôlable géant qui ne s’en­combre d’aucun principe, fabu­leuse créature sans morale et peu enclin au respect des pauvres, des Noirs et autres ou de tout ce qui lui est différent et dissemblable.

Autrefois, les Conseillers du pré­sident américain étaient recrutés à Harvard, Stanford ou au sein de la Rand Corporation, ils comp­taient aux yeux de l’opinion au­tant que leur chef. Aujourd’hui, ils viennent des milieux d’af­faires de l’armée ou des cabinets d’avocats. Un John Bolton ou Mike Pompeo n’ont rien à voir avec Kissinger ou Brezinski , ils jouent à présent aux boutefeux et poussent à la roue un président, détenteur de tous les pouvoirs du monde, qui n’a comme langage que celui de la force et de la me­nace. La survie physique est à présent le propre de tous les petits Etats du monde, ils s’alignent au­tour de l’astre pour leur protection et en payent le prix fort. L’étrange alliance nouée par Donald Trump avec l’Arabie saoudite au prix de quelque 400 Milliards de dollars payés rubis sur l’ongle, et avec les Emirats arabes unis, le pos­sible envoi en Irak de nouvelles troupes américaines, la présence renforcée dans le Golfe ara­bo-persique, le soutien explicite à l’Egypte alliée et donc au général Haftar en Libye sont en train de changer la donne stratégique. Ce nouveau front fait objectivement le jeu d’Israël et « travaille » pour ses intérêts, entendu par là que le but est l’isolement pour ne pas dire la chute du régime de Téhé­ran, comme le proclament John Bolton, Mike Pompeo et, cela va sans dire, Donald Trump. L’autre but c’est aussi «suigeneris» le re­tour de cette «République impé­riale» des Etats-Unis…

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