Tunisie : Crise de l’éducation nationale ou le spectre d’une année blanche

Gagnant en complexité, en ampleur et risquant de faire boule de neige, la crise qui oppose, depuis maintenant plus de quatre mois, la Fédération Nationale de l’Enseignement Secondaire (FNES) relevant de la puissance centrale syndicale, l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) et le ministère de l’Education nationale, fait de plus en plus planer le risque d’une année blanche.

Le sort de centaines de milliers d’élèves, pris en otage, pour la énième fois, fait l’objet d’un jeu de marchandage qui se distingue par son caractère excessif, écornant sérieusement l’image de l’école publique et du corps enseignant et attisant la colère des parents d’élèves qui n’ont trouvé mieux que de manifester leur dépit face à un dérapage syndical jugé incontrôlé et incontrôlable.

Manifestement, le retour aux classes, prévu le 11 février prochain, après une semaine de vacances dans le secondaire et l’enseignement de base, s’annonce tonitruant, incertain.

Dans leur quasi majorité, les élèves n’ont pas passé les examens du premier trimestre et le second trimestre est encore en ballottage défavorable. Bien plus, le ministère se trouve désarmé et à court d’arguments. Ce qui est certain, il ne pourra jamais satisfaire toutes les revendications matérielles et professionnelles mises sur la table, parce que tout simplement le pays n’a pas les moyens pour les financer ou supporter leur coût, jugé exorbitant, dans un contexte de grave crise des finances publiques.

Le bras de fer qui oppose le syndicat au ministère ne semble pas encore connaitre un répit. La solution de compromis à laquelle aspire tout le monde semble encore loin d’atteinte au regard de l’intransigeance du syndicat, dont le secrétaire général Lassaad Yaacoubi est résolu à troquer la satisfaction de la totalité des demandes, essentiellement matérielles, des enseignants contre l’évitement d’une année blanche.

Avec la grave tournure prise par les événements, la pression exercée par les parents d’élèves qui sont montés au créneau, le dossier est devenue une affaire d’Etat. Un conseil des ministres a été consacré le 30 janvier dernier à ce dossier et la réunion du conseil de sécurité nationale présidée le 1er février 2019 par le Président tunisien s’est penché sur la même question.

La sonnette d’alarme a été tirée dans la mesure où les rounds de négociations engagés jusqu’ici se sont souvent heurtés au mur de refus du syndicat, qui se montre inflexible et déterminé à aller jusqu’au bout d’un mouvement qui a fini par exacerber le mécontentement et des élèves et de leurs parents.

Pour débloquer la situation, le secrétaire général de la FGES, connu pour ses excès même au sein de la centrale syndicale, a fini par être écarté par l’UGTT des négociations de la dernière chance entamées en fin janvier dernier.

Face à la forte pression exercée sur la centrale syndicale, objet de critiques de plus en plus acerbes que ce soit lors des manifestations des parents des élèves, dans les médias ou chez l’opinion publique, le bureau exécutif de l’UGTT est entré en jeu pilotant les négociations engagées avec le gouvernement, afin de parvenir à un compromis qui arrange tout le monde où il n’y aura ni vainqueurs ni vaincus et qui permettra à la centrale syndicale, qui a décrété une grève générale dans la fonction publique les 20 et 21 février, de vaquer à d’autres dossiers autrement plus pressants.

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Afin de remettre de l’ordre dans son organisation et parvenir à une solution qui épargnerait l’UGTT de bien de critiques et de réactions hostiles des Tunisiens exaspérés par les dérapages répétés de ce syndicat, Noureddine Tabboubi, secrétaire Général de l’UGTT s’est porté personnellement médiateur entre les deux parties, évinçant au passage de la table de négociations le trublion secrétaire général de la FGES, dans l’espoir de parvenir à une solution de sortie de crise, avant le 11 février, date fatidique, après laquelle, l’année blanche deviendrait presque inévitable.

D’ailleurs, un optimisme mesuré a refait surface. Le ministre de l’Education, Hatem Ben Salem, qui a soutenu qu’il n’hésiterai pas à présenter sa démission s’il s’avère qu’il est le seul responsable du pourrissement de la situation, a affirmé que la première réunion tenue entre son département et l’UGTT a abouti à des résultats « très positifs », faisant savoir que les choses devraient rentrer dans l’ordre le lundi 11 février courant, juste après les vacances scolaires.

En effet, le ministre a réitéré, à plusieurs reprises, que le syndicat a rejeté toutes les propositions préférant l’escalade et refusant tout compromis susceptible de débloquer la situation. Pourtant, le ministère a accepté 6 des 9 revendications. « Nous avons dû imposer au gouvernement certaines propositions illégales, dans le but de satisfaire les demandes de la fédération. Que pourrait-on faire de plus », s’exclame-t-il.

Selon un certain nombre d’observateurs, dans le contexte difficile que connait le pays, les revendications de la fédération syndicale relèvent de « l’irrationnel ». Cette dernière exige l’augmentation des primes spécifiques, la réforme du système éducatif et le classement de l’enseignement en tant que métier pénible justifiant un départ à la retraite à 55 ans.

Cette dernière revendication est considérée dans l’état actuel des choses impossible à satisfaire. Avec un système de sécurité sociale au bord de la faillite, cette mesure coûterait annuellement plus de 1000 millions de dinars (1 Euro est égal à 3,5 dinars) à la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale (CNRPS) qui peine chaque mois à verser les pensions des retraités du secteur public.

Par ailleurs, on estime que le coût global des revendications sont estimés à plus de 500 millions de dinars par an dans un secteur qui compte pas moins de 84 mille enseignants du secondaire.

Optimisme prudent mais également une certaine fermeté que le gouvernement présidé par Youssef Chahed a réaffirmé sa résolution à clore ce dossier le plus rapidement possible, en poursuivant le dialogue mais également en faisant appliquer la loi.

Dans ce sens, la dernière réunion du conseil des ministres a été une occasion pour réaffirmer la nécessité d’appliquer la loi s’agissant des missions non effectuées et des dépassements enregistrés et de prendre les mesures nécessaires pour rétablir la situation dans les plus brefs délais et faire réussir l’année scolaire ainsi que les examens nationaux.

Face à cet imbroglio, le tout est de savoir si ce syndicat finira par entendre la voix des élèves et leurs parents, exaspérés et perdant tout repère, Lassaad Yacoubi, secrétaire général de la Fédération générale de l’enseignement secondaire ne semblant pas encore à baisser les armes en affirmant que les enseignants poursuivront leur boycott des examens du premier et du second trimestres et en les appelant à prendre part massivement à la journée de colère fixée ce 6 février. La partie est loin d’être terminée.

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