Tunisie : Exode massif des jeunes et multiplication des drames en haute mer

Jamais le phénomène de la migration clandestine au départ des côtes tunisiennes n’a connu une telle ampleur. Jamais le pays n’a observé la succession de drames dus au naufrage d’embarcations de fortune sur lesquelles s’entassent des centaines des jeunes tunisiens et de l’Afrique subsaharienne, déterminés à fuir le pays, quoi qu’il en coûte, même au péril de leur vie.

Dans certaines régions côtières, notamment du sud, les morgues n’arrivent pas à accueillir tous les cadavres et les images diffusées trahissent une impuissance manifeste des pouvoirs à maîtriser un flux qui ne cesse de s’amplifier.

Manifestement, ce qui nourrit cette fuite organisée chez les jeunes, ce sont la forte déception et une inquiétude latente.

Dès lors, la traversée de la Méditerranée, devenue une sorte de tombeau à ciel ouvert, se profile comme le seul moyen pour fuir un pays qui ne présente pas de perspectives à ses jeunes qui ont, il y a plus de 12 ans, pourtant cru en la possibilité d’une vie meilleure.

Ces derniers jours, les statistiques publiées par les autorités donnent le tournis et chaque jour apporte son lot de naufrage d’embarcations, de dizaines de disparus et les images insoutenables de corps rejetés par les vagues rebelles.

En l’espace de 48 heures, les autorités ont annoncé, le 25 avril dernier, le repêchage d’au moins 58 corps et le sauvetage de 1.242 migrants en situation irrégulière, dont la plupart sont originaires d’Afrique subsaharienne, outre l’interception de 51 embarcations de migrants.

Le 24 avril, au large de Sfax, Kerkennah (sud) et Mahdia (centre), 39 opérations de migration clandestine ont été déjouées, 30 corps repêchés et 773 migrants ont été secourus. Le même jour, les garde-côtes italiens à Lampedusa ont réussi à arrêter 640 migrants en provenance de la Tunisie.

Devant cette cacophonie, les autorités régionales dans la ville de Sfax, par exemple, ont avoué leur impuissance. La morgue de Sfax est totalement débordée.

M. Hatem Cherif, directeur régional de la Santé à Sfax soutient que « la semaine dernière, la morgue a compté 70 corps » pour seulement 35 places.

Une situation qui est loin d’être nouvelle, elle est, toutefois, inédite « au regard de la fréquence et du nombre de victimes disparues, notent certains observateurs.

Ces derniers signalent que les dépouilles y restent quelques semaines, voire quelques mois, avant d’être enterrées dans les cimetières, dans des zones réservées aux inconnus.

Fait inédit, on vient d’apprendre, non sans stupéfaction, qu’un club de football évoluant en quatrième division du championnat de Tunisie a suspendu ses activités après l’émigration clandestine de la majorité de ses joueurs vers l’Europe.

Au cours des trois dernières années, pas moins de 32 joueurs du club amateur de Ghardimaou (nord-ouest) ont émigré clandestinement vers l’Europe, s’est lamenté son président, Jamil Meftahi qui précise que « Nous avons arrêté l’activité et suspendu toute compétition ».

La justice a été mise à profit notamment à Sfax, considérée la plaque tournante de la migration clandestine, à l’effet d’arrêter cette spirale infernale.

Le porte-parole du Tribunal de première instance de Sfax 1, Faouzi Masmoudi, a affirmé, le 25 avril, qu’une enquête a été ouverte pour traite d’êtres humains à l’encontre des plus grands organisateurs d’opérations de migration clandestine dans la région.

Le juge d’instruction a émis des mandats de dépôt contre quatre personnes tandis que cinq autres sont recherchées.

Il faut noter que les quatre premiers mois de l’année 2023 ont été particulièrement éprouvants, le naufrage d’embarcations étant devenu quotidien, le nombre de morts et de disparus se comptant par centaines et les gardes côtes tunisiennes, visiblement peu équipées et débordées par un flux inhabituel, ne faisant que constater les dégâts.

D’ailleurs, les données du ministère italien de l’Intérieur laissent pantois. Plus de 36.600 migrants sont arrivés en Italie dont 18.000 tunisiens depuis 2022.

Le 24 avril, les autorités italiennes ont annoncé que plus de 1.200 migrants ont débarqué sur la petite île italienne de Lampedusa, située à 80 kilomètres des côtes tunisiennes, tandis que plusieurs autres sont portés disparus en mer.

Les garde-côtes italiens indiquent qu’ils avaient répondu à 35 cas d’embarcations ayant appareillé de Tunisie.

De son côté, le ministère italien de l’Intérieur soutient que plus de 14.000 migrants ont débarqué en Italie depuis le début de l’année, contre un peu plus de 5.300 durant la même période l’an dernier et 4.300 en 2021.

Le vice-Premier ministre et ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Tajani, a déclaré que la migration irrégulière a augmenté de 100% en provenance de la Tunisie, ajoutant que « l’Union européenne n’a pas montré assez de solidarité jusqu’à présent … Mais elle commence à comprendre la nécessité de faire preuve de plus de solidarité parce que ces gens ne restent pas sur l’île de Lampedusa ».

Qui pourra arrêter ce phénomène grave ? Faute de perspectives, et au regard de l’aggravation de la crise que traverse le pays, notent certains observateurs, il y aura toujours plus de Tunisiens à tenter de fuir leur pays et à opter pour les voies clandestines.

Hassen Boubakri, chercheur spécialiste des migrations, estime qu’à un moment où « les services publics essentiels ne sont plus assurés, il est tout à fait normal que les jeunes cherchent à partir, puisqu’ils ne trouvent plus les moyens de survivre dans leur pays ».

Avec MAP

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