Tunisie : Quand sonne l’heure de vérité

La Tunisie termine l’année 2021 comme elle l’a entamée. En dépit du séisme politique survenu le 25 juillet dernier qui a signé l’arrêt de mort de l’islamisme politique dans le pays, le doute, le manque de vision et un lancinant questionnement sur l’avenir du pays demeurent présents.

De la gabegie qui a caractérisé la gouvernance des affaires du pays pendant plus de dix ans, le pays a observé un tournant qui a suscité beaucoup d’espoirs.

En chassant du pouvoir le mouvement islamiste « Ennahdha » et ses alliés, en gelant les activités du parlement, levant l’immunité sur les élus et en poursuivant hommes politiques et hauts cadres de l’Etat pour faits de corruption à la faveur des pouvoirs exceptionnels qu’il a décrété, la Tunisie semble encore loin de retrouver les chemins de la stabilité et de la croissance.

D’après les observateurs, la persistance des divisions politiques, l’exacerbation des difficultés économiques et financières et l’accroissement des tensions sociales, augurent d’une nouvelle année encore plus incertaine que celle qui l’a précédée.

Si le pays attend depuis plus de cinq mois des réponses aux questions épineuses sur la trajectoire que prendra son système politique, sur les solutions à trouver à ses difficultés économiques et financières inextricables et à ses problèmes sociaux de plus en plus complexes, le Président Kaïs Saïed a levé le 13 décembre 2021 dans un discours surprise le voile sur les conditions de la fin des mesures exceptionnelles.

La feuille de route qu’il a annoncée, comporte notamment l’organisation d’un référendum le 25 juillet sur des amendements de la Constitution, la loi électorale qui régira les législatives et la loi sur les partis ainsi que des élections législatives le 17 décembre 2022.

En dépit de l’accueil mitigé de ces mesures, l’on sait que le parlement est dissous de facto et que les mesures exceptionnelles resteront en vigueur pendant toute une année.

Il n’empêche que les Etats-Unis ont salué l’annonce d’un nouveau scrutin législatif pour décembre 2022.

Si sur le plan politique une éclaircie s’est enfin dessinée, c’est au niveau économique que les choses ne semblent pas évoluer d’un iota. Alors qu’on craignait il n’y pas longtemps le scénario grec, aujourd’hui experts et spécialistes avertis n’écartent plus le scénario libanais dans ce pays maghrébin qui se retrouve confronté à trois grands défis.

Primo, la résorption de la crise politique qui paralyse les institutions du pays. Ensuite, la marge de manœuvre dont dispose le gouvernement pour concevoir un plan de relance économique qui éviterait au pays le scénario du pire et enfin, quelles solutions à la situation intenable de « mur de la dette », à la fois publique et extérieure, équivalentes chacune à 100% du PIB et à la mobilisation de nouvelles ressources pour financer le budget de l’Etat pour l’année 2022 ?

→ Lire aussi : Le président tunisien lance une « Feuille de route » pour sortir le pays des mesures exceptionnelles

Depuis le coup de force Kaïs Saïed de juillet dernier, plusieurs voix s’élèvent pour réclamer l’organisation d’élections législatives anticipées et d’une feuille de route claire pour mettre fin à l’épais brouillard actuel.

Toutes ces voix considèrent que c’est le régime politique actuel qui est la source de tous les dysfonctionnements et défendent la nécessité de passer à la troisième république avec une nouvelle Constitution et un nouveau régime politique qui neutralisent les dérives de la « décennie noire ».

Sur le plan économique, l’éclaircie souhaitée n’était pas au rendez-vous. La reprise a été paralysée par les effets catastrophiques de la troisième vague du COVID-19.

Après une contraction historique de la croissance en 2020 à 8,6%, les perspectives pour 2021 ne sont pas très optimistes.

Le PIB réel de la Tunisie devrait rebondir et augmenter à 2 % en 2021 puis à 3,9 % en 2022, à condition que la pandémie se tasse et permette une reprise de l’économie mondiale, notamment européenne dont dépend fortement la Tunisie. Les autres indicateurs ont viré au rouge. Les taux d’investissement et d’épargne bruts se sont effondrés respectivement à 7,8% et à 4%.

Si le secteur industriel profite quelque peu de la reprise européenne, que la production de phosphate repart et que la production pétrolière bénéficie de l’exploitation de nouveaux sites, les services continuent de pâtir à l’instar du tourisme qui poursuit une chute brutale, tandis que le secteur agricole, résilient en 2020, est mal orienté cette année.

La crise a entraîné un dérapage budgétaire sans précédent. Le déficit a explosé de 3,4% du PIB en 2019 à 9,6% du PIB en 2020 et devrait atteindre 8,1% du PIB en 2021, bien au-delà des projections initiales de 6,6%.

La masse salariale a explosé à un rythme annuel moyen de près de +12% depuis 2010 pour atteindre 16,4% du PIB en 2020, tandis que les transferts et subventions ont atteint 9,6% du PIB en 2020.

La trajectoire d’endettement est désormais jugée insoutenable sans réformes. La dette publique est passée de 74,2% à 89,7% du PIB en 2020 et devrait dépasser 90% en 2021.

Elle ne comprend pas l’endettement des entreprises publiques, qui atteindrait en sus 40% du PIB, dont plus de 15% du PIB serait garanti par l’Etat.

Le FMI a conclu à l’issue de l’article IV de février 2021 que la trajectoire de la dette est insoutenable à moins que les autorités n’adoptent un programme de réformes structurelles fort et crédible.

En l’absence de programme FMI, et compte tenu des craintes croissantes sur la soutenabilité de sa dette, la Tunisie fait face à de très grandes difficultés pour emprunter et financer ses besoins.

Les besoins de financements par emprunt ont doublé de 10 à 20 Md TND en 2020, et sont évalués à 21,1 Md TND (6,6 Md EUR) en 2021, bien au-delà des 18,5 Md TND (5,8 millions d’Euros) retenus initialement.

En l’absence d’accès aux financements extérieurs, les recours à la banque centrale se multiplient. La Tunisie a de nouveau accepté de recourir à un financement indirect du budget en 2021 pour permettre le remboursement de deux échéances d’eurobond.

En même temps, les pressions inflationnistes ont refait surface, s’accompagnant de la dégradation de la situation sociale et de l’emploi.

Retombée de 6,7% en 2019 à 4,9% fin 2020, l’inflation est remontée à 6,3% en octobre, alimentée à la fois par les tensions sur les prix mondiaux et l’évolution de prix administrés et touchant plus particulièrement les prix alimentaires.

Les indicateurs sociaux se sont fortement dégradés et les obstacles à l’emploi se sont accrus, alimentant les frustrations : le taux de pauvreté est passé de 14 à 21% en un an et le taux de chômage atteint 18,4% de la population active, le plus haut taux de chômage observé depuis 2011, avec un taux de plus de 42% chez les jeunes.

Tous ces chantiers titanesques attendent réponses, réformes et une vision qui font encore cruellement défaut.

(Avec MAP)

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