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Un fonds d’investissement trilatéral pour ancrer les Accords d’Abraham

Cinq ans après leur signature, les Accords d’Abraham, salués comme une percée diplomatique majeure au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, peinent encore à produire des résultats tangibles à la hauteur des ambitions affichées. Si la normalisation a permis des avancées symboliques et sectorielles, le partenariat reste, selon les analyses de l’Atlantic Council, « structurellement fragile » et dépourvu de leviers stratégiques pérennes. C’est dans ce contexte que germe une initiative audacieuse : la création d’un fonds d’investissement trilatéral Maroc–Israël–États-Unis, couplé à un forum de coordination stratégique. Objectif : transformer une entente diplomatique en architecture géoéconomique durable.

Depuis 2020, quelques acteurs des accords ont multiplié les gestes de rapprochement : accords sectoriels, visites de haut niveau, projets communs dans les technologies et l’innovation. Mais cette dynamique, bien que prometteuse, reste marquée par un déséquilibre structurel. L’Atlantic Council pointe un déficit d’ancrage institutionnel, un manque de mécanismes de coordination et une absence d’outils capables de garantir la continuité des engagements, au-delà des aléas politiques.

Dans un environnement régional instable — tensions au Sahel, rivalités en Méditerranée, pressions migratoires —, cette fragilité pourrait se transformer en inertie. « Sans plateforme intégrée, le rapprochement risque de rester superficiel, éclaté et peu lisible pour les investisseurs », souligne un rapport de l’Atlantic Council publié ce printemps.

La réponse proposée est ambitieuse : créer un fonds souverain, cogéré par les trois pays, afin de financer des projets à forte valeur ajoutée dans des domaines clés — énergie, infrastructures critiques, industrie de défense, technologies maritimes ou logistique. Contrairement aux aides traditionnelles, il ne s’agirait pas d’un outil d’assistance, mais d’un instrument d’investissement stratégique, calibré pour produire des retours économiques, géopolitiques et sociaux.

Ce mécanisme reposerait sur une gouvernance partagée incluant, outre les représentants étatiques, des acteurs privés et les diasporas, avec une sélection rigoureuse des projets. Les critères sont clairs : viabilité économique, pertinence stratégique et visibilité sur les résultats. En alignant les atouts respectifs de chaque partenaire — puissance de financement américaine, industrie marocaine en croissance, savoir-faire technologique israélien —, le fonds entend catalyser une transformation systémique.

Lire aussi : Accords d’Abraham : Le Congrès américain pousse pour une nouvelle vague de normalisation

Pour Washington, ce projet prend un relief stratégique particulier. Face à l’activisme économique de la Chine, de la Russie et de l’Iran en Afrique du Nord et en Méditerranée — investissements massifs dans les ports, l’énergie ou la sécurité —, les États-Unis cherchent une riposte crédible. Le fonds trilatéral constituerait, selon l’Atlantic Council, « un contre-modèle efficace, capable de structurer l’influence américaine autour de résultats mesurables et d’un ancrage régional ».

Trois bénéfices sont mis en avant par les stratèges américains : offrir une alternative au financement rival, démontrer les « dividendes concrets de la normalisation » via les Accords d’Abraham, et générer une valeur économique directe pour les entreprises et les contribuables américains. Ce dernier point n’est pas anodin : à l’heure des arbitrages budgétaires, une diplomatie alignée sur le retour sur investissement devient un argument de poids à Washington.

Du symbole à l’institution : l’impératif d’une feuille de route

La mise en place du fonds reposerait sur une stratégie par étapes. La première phase, déjà amorcée selon plusieurs sources proches du dossier, consiste en des discussions trilatérales pour définir le cadre institutionnel et politique. Suivra une phase pilote avec des projets concrets, financés via la Société de financement du développement des États-Unis (DFC) ou ses équivalents. L’objectif ultime : créer une institution permanente, dotée de moyens stables et d’une gouvernance autonome, à l’image d’un véritable fonds souverain trilatéral.

Pour être crédible, l’outil devra produire des indicateurs clairs : montants mobilisés, emplois créés, projets structurants réalisés, mais aussi influence diplomatique accrue et une capacité à reproduire le modèle dans d’autres partenariats régionaux.

Au-delà du bilatéralisme, l’enjeu est de faire émerger une nouvelle architecture de coopération, alignée sur les priorités stratégiques communes. Le forum trilatéral offrirait une plateforme inédite d’interconnexion entre sécurité, innovation et développement, à l’échelle de l’arc afro-méditerranéen.

Pour le Maroc, c’est aussi un levier pour renforcer son positionnement en tant que hub régional entre l’Afrique, l’Europe et le Moyen-Orient. Pour les États-Unis, c’est l’occasion de renouveler leur présence stratégique avec des outils plus souples, plus efficaces et mieux perçus que l’assistance classique.

Comme le résume l’Atlantic Council, « l’avenir des Accords d’Abraham dépend de leur capacité à se matérialiser dans la vie réelle des peuples, des marchés et des territoires. Le fonds trilatéral est la pièce manquante d’un puzzle géopolitique en mutation ». Encore faut-il que la volonté politique se traduise rapidement en décisions concrètes. Les fenêtres de transformation ne restent pas ouvertes indéfiniment.

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