Un nouveau modèle de développement, oui, mais …

 Serions-nous en train de vivre les prémices d’une période porteuse d’espoir, d’enthousiasme et de chan­gements comme celle qu’a connue le pays à la veille de la nomination du gouvernement de l’al­ternance ? Faut-il rappeler que dans son discours du 20 août 2019, S.M. le Roi Mohammed VI a jeté à la face du monde son constat amer : «Au point où nous en sommes, toute réticence ou erreur est inadmissible. Il est donc plus que jamais nécessaire de remédier aux problèmes qui entravent le développement de notre pays.» ?

Nul autre chef d’Etat n’aurait le cou­rage d’avouer, publiquement, l’échec du modèle de développement de son pays, mais le Roi Mohammed VI l’a fait sans concession. Et si l’histoire est là pour nous rappeler que feu le Roi Hassan II l’avait fait aussi, en 1995, en disant de­vant le Parlement que « Le Maroc est au bord de la crise cardiaque », les choses ont fait leur temps et les circonstances ne sont plus les mêmes. Le rapport alar­mant de la Banque mondiale qui avait provoqué cette réaction du défunt Roi pointait du doigt des problèmes de tout ordre mais, aujourd’hui, toute comparai­son n’est pas raison. Dès lors, de grands chantiers politiques et économiques ont été lancés.

Aujourd’hui, un peu plus de deux dé­cennies plus tard, en dépit des avancées réalisées donnant au pays un nouveau visage, le Roi Mohammed VI exprime son mécontentement et sa frustration quant au modèle de développement dont l’échec est flagrant. Aussi le 13 octobre 2017, lors du discours d’ouverture de la session parlementaire d’automne, le Roi Mohammed VI avait-il appelé à l’adop­tion d’un nouveau modèle de dévelop­pement mieux adapté aux évolutions en fixant des mesures concrètes pour réaliser les priorités économiques et so­ciales. Pour ce faire, Sa Majesté le Roi a appelé à une réévaluation du modèle de développement national en vue d’établir une nouvelle approche centrée sur les ci­toyens, leurs besoins, leurs attentes afin de réduire les disparités et les inégalités existantes, et instaurer la justice sociale et territoriale. Il a ainsi appelé à la mobili­sation générale pour apporter les correc­tions nécessaires à cette situation faite à chaux et à sable.

«Les dernières années ont révélé l’in­capacité de notre modèle de développe­ment à satisfaire les besoins croissants d’une partie de nos citoyens, à réduire les inégalités sociales et les disparités spatiales», dira le Souverain dans son discours, à l’occasion du 20e anniver­saire de son accession au trône, exigeant à ce titre, de la part du gouvernement «sa réévaluation et sa réactualisation». C’est dire que l’année 2019 est l’année qui augure un changement pour notre pays. Dans ce sens, le Roi, bien qu’il ait salué les « réformes profondes enga­gées » ces dernières années, ainsi que le « bond qualitatif » du pays en matière d’infrastructures, est persuadé qu’il reste encore beaucoup à faire et souligne l’ur­gence de pallier cette situation en invitant l’ensemble des Marocains à un sursaut national pour sortir le pays de la crise économique et sociale. C’est dans ce sou­ci que le Souverain a nommé une com­mission qui aura pour charge d’élaborer un nouveau modèle de développement susceptible d’améliorer le quotidien des Marocains pour que le Royaume « ac­cède au club des nations avancées ».

Chakib Benmoussa, l’homme providentiel ?

Des noms qui circulaient depuis plu­sieurs semaines déjà pour présider aux destinées de la commission, c’est celui de Chakib Benmoussa qui est annoncé, à la bonne heure. Il est l’un des profils les plus aguerris dans les grands dossiers, et sa compétence et sa probité sont recon­nues dans les secteurs public et privé. La mission de l’ancien ministre de l’Inté­rieur n’est pas du tout aisée d’autant plus que dans son Discours du 20 août 2019, à l’occasion de la Fête de la Jeunesse, le Roi Mohammed VI a évoqué la mission de ladite Commission en ces termes : «Notre souhait est que cette Commission remplisse une triple mission de réajus­tement, d’anticipation et de prospective pour permettre à notre pays d’aborder l’avenir avec sérénité et assurance ». In­vestie donc d’une mission dans le temps et qui devra prendre en considération les grandes orientations des réformes enga­gées, ou en passe de l’être, dans des sec­teurs vitaux, tels l’enseignement, la san­té, l’agriculture… la Commission devra remplir son mandat avec « impartialité et objectivité en portant à sa connaissance un constat exact de l’état des lieux, aus­si douloureux et pénible puisse-t-il être ». Elle devra être dotée de l’audace et du génie nécessaires pour proposer des solutions adaptées et regroupera «diffé­rentes disciplines académiques et diverses sensibilités intellectuelles, en y faisant siéger des compétences nationales issues du public et du privé. Outre l’expérience et une exigence d’impartialité, ces profils doivent être suffisamment outillés pour comprendre les dynamiques à l’oeuvre au sein de la société et al­ler au-devant de ses attentes, sans jamais perdre de vue l’intérêt supé­rieur de la Nation». Croisons donc les doigts !

A rappeler que juste après le dis­cours royal, les propositions d’un nouveau modèle économique ont commencé à affluer en centaines, centrées sur la croissance économique comme si la clé de Salomon y était.

Or on peut lancer tous les grands chan­tiers de réformes économiques qu’on veut et assainir l’économie, cela ne ré­soudra certainement pas nos problèmes qu’on traîne depuis de longues années. D’ailleurs, Sa Majesté le Roi l’a souli­gné lui-même : «Nous savons que les infrastructures et les réformes institution­nelles, si importantes soient-elles, ne sont pas suffisantes».

La gangrène est bien profonde et le traitement doit être conséquent pour arrê­ter les dégâts. Il faut repenser un nouveau modèle social avant tout et pour cela il faut réformer la pensée et reformer l’hu­main qui est le secret de tout développe­ment.

Quel élan donner au nouveau gouvernement ?

Nous sommes à la mi-mandat du gou­vernement investi fin avril 2017 et au lendemain du remaniement où le chef de gouvernement a renouvelé son équipe, en réduisant le nombre du staff qui est désormais de 23 ministres au lieu de 39. En cela, Saâdeddine El Othmani peut se targuer de son « coup de maître » d’avoir formé l’Exécutif le plus resserré depuis 1979. Bien évidemment, une équipe per­dante, il faut bien la changer. Or à moins de deux ans avant la date des prochaines élections législatives, les nouveaux mi­nistres ont besoin d’une baguette ma­gique pour pouvoir s’attaquer à des dossiers de grande urgence et s’acquit­ter de leurs missions, à moins qu’ils ne veuillent aller plus vite que la musique. Rien que pour asseoir ses bases, ses équipes, sa stratégie et son plan d’action, un ministre a besoin d’au moins six mois pour le faire, nécessité faisant loi. J’en veux pour preuve que l’agenda ne joue donc pas en faveur des nouveaux entrants qui auront certainement à endosser la res­ponsabilité de projets initiés et non fina­lisés par leurs prédécesseurs. Autre hic : des portefeuilles fusionnés, de grands pôles ministériels, créés pour chapeauter plusieurs secrétariats et des prérogatives intégrées à des ministères en plein exer­cice qui sont encore en train de se cher­cher et de se constituer. Tout cela se joue­ra au détriment des citoyens dont le sort se fait et se défait à leur insu et selon les humeurs ou plutôt les intérêts de certains. Ceci étant, la mauvaise gouvernance ag­grave bien les choses. La gestion des af­faires de l’Etat n’est pas toujours entre les mains de responsables consciencieux, en dehors des clous, des partis politiques qui volent en éclats ou du moins s’effritent quand ils n’en arrivent pas aux mains, des commissions créées et dont on ne connaît plus les missions ni le sort, d’où la crise de confiance qui creuse une excavation entre les citoyens et les politiques.

Le changement ne peut se limiter à de nouvelles têtes dans l’Exécutif bien qu’elles aient toutes les bonnes intentions du monde. Le changement doit commen­cer par le « Marocain » lui-même qui est en galère de modèle. L’éducation, la parité et la culture sont indispensables et tant qu’on ne prend pas à bras le corps la défaillance de l’école publique et notre système éducatif, les choses iront à vau-l’eau et les dommages collatéraux seront à collectionner. Parvenir à la satisfaction des attentes pressantes des Marocains pour une justice sociale et territoriale afin d’achever l’édification d’un Maroc por­teur d’espoir et d’égalité pour tous est un défi majeur pour les temps à venir.

Lors d’un discours commémorant la Marche verte le 6 novembre 1993, feu Hassan II affirme : «En me rappelant la Marche verte, j’aurais aimé, cher peuple, t’apporter la nouvelle d’une autre marche. Une marche politique» c’est ce dont on a aujourd’hui besoin pour sauver le pays. Notre pays a besoin, aujourd’hui, plus que jamais, de vrais patriotes qui connaissent leur partie et qui sont en prise directe pour défendre les intérêts de leur pays, engagés à assumer avec abné­gation et désintérêt les responsabilités qui leur incombent.

D’ici là, une question se fait pressante : Quelle sera alors la situation en 2020? Seul l’avenir nous le dira.

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