Une révolution verte au cœur du nouveau modèle de développement, post covid-19

Par Dr. Hajar Bennar*

La propagation du Covid 19 à travers le monde a mis à rude épreuve la capacité des pays à se montrer résilients. La montée du risque sanitaire fait écho à celle du risque climatique après le déconfinement avec la reprise de l’activité économique. Un autre point d’intersection réside dans la sécurité de l’approvisionnement alimentaire et énergétique que la matrice socio-économique nationale devrait être en mesure d’assurer.

La propagation à vitesse vertigineuse de la pandémie a provoqué un état de crainte, de repli, de fermeture des frontières brandissant un éventuel retour au protectionnisme national menaçant cette sécurité et ébranlant nos acquis. Pareillement, et d’un autre côté, le manque de ressources les plus basiques pour nos besoins primaires tels que la nourriture ou l’énergie pourrait être aussi caractéristique d’une dégradation de l’environnement. Ces risques provoquent des perturbations intersectorielles au niveau des politiques publiques et exigent une mise à jour, voire une redéfinition de notre vision du nouveau modèle de développement.

L’environnement n’a pas de prix

Pendant la crise actuelle, de par le monde, l’activité ralentit en même temps que la croissance. Selon le FMI, le produit intérieur brut (PIB) du Maroc reculera de 3,7% en 2020. Toutefois, cette baisse du PIB n’est pas sine qua none d’une réduction des émissions polluantes, dans le même sens que son augmentation n’entraîne pas automatiquement une relance des activités vertes. Pourtant, la pollution coûte au Maroc l’équivalent de 33 milliards de dirhams par an, soit 3,5% pu PIB, dont le un tiers relatif à l’air. La pollution atmosphérique représente, de surcroît, le 8ème facteur de mortalité du Royaume selon la Banque Mondiale.

Malheureusement, le modèle de développement actuel ne prend pas en compte la valeur de l’environnement ou de sa dégradation (externalités négatives). Car bien qu’il existe des bénéfices pécuniaires au passage à une économie « écolo » leur valeur monétaire reste inférieure aux gains réalisés par les industries et les modes de consommation polluants dont la rentabilité annuelle dépasse de 8 points en moyenne celle de la première catégorie. Le gain à court terme et la suprématie du marché l’emportent sur la dégradation de la nature et la biodiversité, de la qualité de vie et de la santé des citoyens sur le long-terme.

Si aujourd’hui le coût de la dégradation de l’environnement est de 3,5% du produit national, il s’élargira dans les années à venir avec certainement des effets irréversibles sur notre espace de vie. Au lieu de subir ce coût exorbitant, investissons-le. Reversons 3,5% du PIB supplémentaires, cette fois-ci pas uniquement pour la lutte contre les effets du changement climatique, mais davantage pour le développement de moyens d’adaptation et de résilience et dont 1% serait destiné à la recherche dans le domaine des technologies vertes.

D’une révolution verte…

Dans un effort d’adaptation et de mitigation au contexte actuel menacé par deux faits majeurs, la crise sanitaire et la crise environnementale, nous préconisons dès lors un renforcement de notre capacité de résilience à travers une révolution écologique verte basée sur quatre piliers majeurs :

  1. Développement de l’industrie d’énergies propres et décarbonées

Afin d’atteindre l’objectif de 1,5°C fixé par l’accord de Paris tout en assurant une indépendance énergétique nationale, il serait judicieux d’adopter de poursuivre une stratégie d’efficacité énergétique généralisée afin d’éviter les passoires énergétiques tout particulièrement au niveau du bâti neuf et dans les secteurs les plus polluants tels que la production d’énergie, l’agriculture et l’industrie qui détiennent à eux seuls plus des trois quarts des émissions de CO2 au Maroc – avec respectivement 28%, 27% et 21%.

Ensuite, et dans la perspective d’expansion de la production d’énergie à partir de sources décarbonées, promouvoir la production de panneaux solaires et de turbines à éolien au niveau national afin de compléter la chaîne de valeur et obtenir de l’électricité à plus bas prix, d’autant plus que cette mesure donnerait naissance à des ‘champions nationaux’ en la matière eu égard de l’expérience cumulée par nos cadres, ingénieurs et techniciens dans le domaine. Par ailleurs, l’augmentation de la capacité installée en énergies propres pourrait profiter à l’économie nationale en améliorant la compétitivité de nos secteurs industries énergivores (ex. acier, textile, etc) via la mise en place d’incitations financières à l’autoproduction et consommation d’électricité provenant d’énergies renouvelables tels que les tarifs de rachat (feed-in-tariffs).

La dernière partie de ce triptyque est en conjointe relation avec une particularité des énergies renouvelables, l’intermittence. En effet, l’intégration de plus grandes quantités d’électricité propre implique un mode de transmission à plusieurs sens, différent de celui de l’énergie classique (ex. fossile, nucléaire, etc) opérant en sens unique. Ceci exige donc une amélioration de la qualité du réseau de distribution (smart grid).

  1. Préservation des ressources en eau

80% des ressources en eau du Maroc disparaîtront d’ici 25 ans si aucune mesure n’est prise. A ce jour, ces ressources sont estimées à 650 m3/hab/an et baisseront à moins de 500 m3 en 2030[1], mettant le pays en situation de stress hydrique[2] sévère. Ce phénomène est encore plus accru dans la plaine de Ichtouka Ait Baha dans la région de Souss-Massa où le stress hydrique atteint un niveau critique.

Au niveau agricole, l’absence d’un cadre réglementaire rationalisant l’utilisation des eaux souterraines, avec un système de compteur, et condamnant la construction et l’utilisation abusive des puits participe au pompage effréné des nappes phréatiques. Un tableau prohibitif précisant les quotas d’extraction des eaux souterraines et mis à jour tous les deux ans pourrait être un moyen efficace de contrôle et de rationalisation de la consommation. Une refonte de la loi n°36-15 relative à l’eau serait donc bénéfique si basée sur une vision prospective prenant en considération la disponibilité des ressources hydriques comme pierre angulaire, conjuguée à une accélération des activités du Conseil supérieur de l’eau et un octroi de plus de prérogatives à la police nationale de l’eau afin de veiller au respect de l’application de ladite loi.

Finalement, l’accélération de la mise en place de centrales de désalinisation de l’eau de mer qui soient respectueuses de l’environnement (ex. utilisant des énergies renouvelables, ne déversant pas de saumur dans l’océan, etc) pourrait aider à combler ce manque en ressources hydriques. A ce titre, la mise en place de projets PtX serait extrêmement.

  1. Aménagement territorial durable

L’aménagement du territoire national, de son maillon le plus grand au plus petit, représente un pilier majeur d’intégration des normes de durabilité au niveau des collectivités. A cet égard la régionalisation avancée, mise en place effectivement il y a cinq ans[3], participerait énormément à la transposition des politiques publiques écologiques au sein de ces collectivités chacune selon ses compétences propres.

En effet, la ville par exemple qui gère le transport et la gestion des déchets serait dans l’obligation de mettre en place un circuit de transports en commun qui desserve de manière régulière tous les arrondissements et surtout la banlieue et le centre-ville (lieu de travail en général) afin de limiter l’usage de la voiture. Dans certaines villes très polluées, telles que Casablanca, un péage urbain journalier adressé aux automobilistes devrait être mis en place et serait ainsi du ressort du maire de la ville. En termes de déchets, les élus ainsi que le vice-président du maire chargé de la ‘propreté’ est chargé de la récolte des déchets et devrait participer activement à leur tri via la création de sociétés publiques ou semi-publiques qui aideraient le secteur privé dans cette tâche. A noter qu’au Maroc, seulement 10% des déchets passent au tri alors que leur volume a été multiplié par deux entre 2014 et 2020 atteignant 12 millions de tonnes[4].

  1. Protection de la biodiversité

Toujours dans l’objectif d’une recapitalisation environnementale pour assurer le bien-être du citoyen de la génération actuelle et de celle future, il est important de protéger les espèces menacées telles que la grande nacre, le diable de mer et le phoque moine de Méditerranée, la gazelle dama ou encore l’ibis chauve. Le Maroc compte plus de 600 espèces menacées et 1700 plantes menacées d’extinction, un chiffre élevé comparé à nos voisins méditerranéens, avec un taux d’endémisme total de plus de 20% pour les plantes vasculaires et de 11% pour la faune[5].

…à un nouveau modèle de développement durable

La révolution verte post Covid-19 est non seulement bénéfique pour l’écologie et l’économie marocaines mais s’accompagne également d’une série d’effets d’entraînement (spin off effets) au niveau social, aux niveaux de l’innovation, de la recherche & développement ainsi que de la gouvernance. En effet, la création d’un emploi dans le secteur industriel et énergétique en engendre quatre connexes en matière de services. La qualité de vie des citoyens, tout particulièrement dans les milieux ruraux s’améliore remarquablement à travers l’introduction du pompage solaire, de l’électricité dans les maisons et les écoles, et d’une meilleure gestion de l’eau utilisée en agriculture donnant lieu à une indépendance alimentaire et énergétique et à une meilleure équité territoriale dont souffre les zones enclavées. L’innovation et la recherche profitent également à de nombreuses filières telles que la chimie non thermique, l’ingénierie organique et biomimétique ainsi qu’aux technologies d’énergies décarbonées à l’instar de l’hydrogène ou des énergies renouvelables. Cette vision écologique, que nous proposons du nouveau modèle de développement, est finalement aussi éthique, sociale et économique. Elle est inclusive, multisectorielle et quasi-exhaustive prônant un nouveau modèle de développement durable et plaçant l’humain au cœur des politiques publiques.

*Experte en Développement Durable & ministre jeune chargée de l’Energie, des Mines et de l’Environnement auprès du Gouvernement Parallèle des Jeunes (GPJ)

[1] https://www.medias24.com/MAROC/Agriculture/185891-Le-Maroc-peut-il-faire-face-au-stress-hydrique.html

[2] Stress hydrique : lorsque la disponibilité en eau est inférieure à 1000 m3/hab/an

[3] 2015 : vote des douze présidents de régions.

[4] https://www.aljazeera.net/news/arabic/2016/12/12/

[5] https://www.leconomiste.com/article/1045633-biodiversite-600-especes-animales-et-1-700-plantes-menacees-d-extinction

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