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Viande rouge : des milliards injectés, mais la crise persiste

Le Maroc a pris une décision inédite et symbolique cette année : annuler la célébration de l’Aïd Al-Adha, officiellement pour alléger la pression économique sur les ménages. Cette mesure, lourde de significations sociales et religieuses, visait à réduire la demande de viande rouge et à faire baisser les prix, lesquels ont continué d’exploser, mettant à mal les budgets des familles. Cependant, malgré l’ampleur des aides publiques massives, le prix de la viande reste inaccessible, et la crise persiste.

L’annulation de l’Aïd Al-Adha, bien que présentée comme une réponse stratégique à la flambée des prix, n’a pas permis de réduire les coûts. Cette fête, traditionnellement marquée par une forte demande en ovins, aurait dû voir une diminution de la pression sur le marché. Pourtant, au lieu d’observer une baisse des prix, ceux-ci ont continué d’augmenter, atteignant des sommets historiques de 100 dirhams le kilo dans certaines villes. Une réalité qui dénonce l’incapacité du gouvernement à maîtriser une crise qui semble de plus en plus hors de contrôle.

Sous l’initiative de la stratégie « Génération Green 2020-2030 », plus de 2 milliards de dirhams ont été alloués en deux ans pour soutenir la filière de la viande rouge. Ces fonds ont été utilisés pour des exonérations fiscales, des primes à l’importation de bovins, ainsi que pour des subventions à l’amélioration génétique du cheptel. En 2023, le gouvernement a autorisé l’importation de milliers de têtes de bétail, avec des subventions de 2 000 dirhams par tête importée, dans le but de casser les prix et garantir un approvisionnement suffisant à l’approche de l’Aïd.

Cependant, l’absence de la fête n’a pas modifié la dynamique des prix. Le marché de la viande continue de souffrir d’un déséquilibre profond entre l’offre locale et les importations, exacerbées par une gestion opaque des aides publiques. Cette situation dévoile l’inefficacité des politiques mises en place et leur déconnexion des réalités économiques du secteur.

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Les petits éleveurs, en particulier ceux touchés par la sécheresse, sont les premières victimes d’un système défaillant. Incapables de rivaliser avec les importations subventionnées, beaucoup sont contraints de vendre leur cheptel à perte, ou de quitter définitivement la profession. Loin des projets d’amélioration et des subventions massives, ces éleveurs se retrouvent marginalisés, dans l’incapacité de soutenir leur activité face à des prix qui ne cessent de grimper.

Le système de distribution des subventions, pourtant censé bénéficier à l’ensemble des acteurs de la filière, est loin d’être équitable. En effet, une majorité des aides semble concentrée entre les mains d’un petit nombre d’opérateurs influents qui contrôlent les circuits d’importation. Selon certains médias, moins de 20 entreprises captent plus de 70 % des subventions liées à l’importation de bovins en 2023, souvent en lien avec des figures politiques ou économiques, nourrissant ainsi des soupçons de clientélisme.

L’opacité du système de subventions

La gestion des aides publiques dans le secteur reste opaque. Aucun registre officiel ne détaille la liste des bénéficiaires, les volumes importés ou encore les critères d’éligibilité aux subventions. Ce manque de transparence suscite des critiques, notamment à l’encontre des organismes de contrôle tels que l’ONSSA ou l’ONICL, accusés d’être inefficaces et de manquer d’impartialité.

Cette opacité renforce le sentiment de méfiance parmi les consommateurs et les petits éleveurs, qui se sentent victimes d’un système où l’intérêt privé prime sur l’intérêt général. Dans un contexte de hausse généralisée des prix alimentaires, la population voit dans ce dispositif une manière d’enrichir une élite au détriment du bien-être collectif.

L’échec de la politique de l’Aïd Al-Adha, pourtant présentée comme un soulagement temporaire, révèle la nature structurelle de la crise. Ce n’est pas la demande exceptionnelle liée à la fête religieuse qui crée la crise de la viande rouge, mais un déséquilibre persistant entre l’offre locale, les importations incontrôlées, et une gestion mal pensée des subventions. En l’absence de réformes substantielles et d’une réelle volonté de régulation, les prix continueront d’augmenter, et les éleveurs locaux resteront à la merci d’un système économique inadapté et inéquitable.

Au-delà de la décision symbolique d’annuler l’Aïd Al-Adha, le Maroc doit impérativement repenser sa politique agricole et commerciale. Si l’objectif est de garantir un approvisionnement stable et équitable en viande rouge, il est urgent de mettre en place un système transparent, qui mette fin à la concurrence déloyale et soutienne véritablement les petits producteurs. Sans une véritable réforme du secteur, l’espoir de faire face à cette crise de la viande rouge restera un mirage.

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