Zimbabwe : Retour sur l’après Mugabe

Après Mugabe, on prend les mêmes et on recommence

L’année 2017 marque une nouvelle aire pour le Zimbabwe, avec la démission forcée de Robert Mugabe, le père de la révolution (93 ans), au pouvoir depuis 37 ans. Si un nouveau vent d’espoir souffle sur le pays de 16 millions d’habitants, qui a observé le retour de nombreux exilés, l’économie, en état d’hyperinflation depuis 2000, demeure dans un état lamentable. D’où la priorité du nouvel homme fort du pays de remettre, rapidement, le Zimbabwe à flot.

Rupture avec le modèle Mugabe

Emmerson Mnangagwa, le nouveau Président du Zimbabwe, n’est pas un inconnu du paysage politique zimbabwéen. Anciennement bras droit de Robert Mugabe, il était le premier vice-président de la République, de 2014 à 2017, avant de prendre les rênes du pays, depuis le 24 novembre 2017. S’il hérite d’un pays avec une situation économique catastrophique, due à la politique menée par son prédécesseur, cible de nombreuses sanctions internationales, les premières mesures adoptées par le nouveau chef d’Etat marquent une nette rupture avec la gouvernance Mugabe. A peine investi, il s’est présenté comme le Président de tous les Zimbabwéens et a appelé les exilés à rentrer pour participer à la reconstruction du pays : «Je suis le Président de tous», déclarait-il dans son message à la nation, lors de la cérémonie d’investiture.

Pour atteindre ses objectifs, il prévoit, entre autres, de créer un environnement favorable à l’entrepreneuriat et au retour des investissements étrangers, mais promet surtout de s’attaquer à la pauvreté et à la corruption dans un pays marqué par une gestion opaque des affaires : «Nous allons créer des emplois pour notre jeunesse et réduire la pauvreté pour toute la population. Les actes de corruption doivent cesser sur-le-champ», a-t-il promis. Dans ce lot de promesses, celle qui porte le plus les germes de la réunification, est l’engagement pris par le Président du Zimbabwe d’indemniser les fermiers blancs expulsés de leurs propriétés, à l’occasion de la réforme agraire lancée en 2000, sous le régime de Robert Mugabe. «Mon gouvernement s’engage à compenser ces fermiers dont les propriétés ont été confisquées», a-t-il déclaré.

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Plusieurs observateurs de la scène politique africaine y voient une volonté de rassemblement, mais surtout une ouverture, amorcée par le pouvoir Harare, longtemps isolé de la scène politique internationale. Emmerson Mnangagwa ne s’en cache pas. Il a lancé un appel dans ce sens à la communauté internationale : «Notre pays est prêt à un réengagement rapide avec le reste du monde. Alors que nous bâtissons un Zimbabwe démocratique, nous demandons à ceux qui nous ont sanctionnés de revoir ces mesures, politiques comme économiques», a-t-il demandé.

Et cet appel semble avoir été entendu. Une politique d’ouverture payante Le Zimbabwe fait partie des pays les plus pauvres du monde. L’économie du pays est à genoux. Selon la Fédération des syndicats du Zimbabwe, le taux de chômage serait de 90% dans le pays. Avec un taux de pauvreté de 72% (chiffre de la banque mondiale-2011), près des 3 quarts des Zimbabwéens vivent avec moins de 1,90 dollar par jour.

Et selon un rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), publié en 2017, 4,1 millions de personnes sont en insécurité alimentaire au Zimbabwe. C’est donc, d’un chantier colossal, où presque tout est à refaire, qu’hérite le nouveau pouvoir d’Harare, qui a fait du redressement de l’économie une priorité parmi les priorités. Et la nouvelle orientation adoptée par Emmerson Mnangagwa porte ses fruits. Le Fonds monétaire international (FMI) s’est dit prêt à aider le Zimbabwe à sortir de la grave crise économique qu’elle traverse, soulignant, par ailleurs, l’impérieux besoin d’une aide internationale conséquente.

«Nous nous tenons prêts à soutenir les autorités dans leurs efforts pour s’attaquer au déficit budgétaire, mettre en place les réformes structurelles (…) Confronté à des défis dans un grand nombre de domaines, (le Zimbabwe) aura besoin d’un substantiel effort international», a précisé Gerry Rice, porte-parole du FMI, le jeudi 30 novembre dernier. La politique d’ouverture du Président zimbabwéen pourrait,  rapidement, remettre le pays sur de nouveaux rails. Mais cette ouverture semble, exclusivement, orientée vers l’extérieur. Au Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa fait du neuf avec du vieux.

Le pouvoir toujours à 100% aux mains de la ZANU-PF

La «révolution» au Zimbabwe n’a pas fait de vague. Robert Mugabe n’est plus à la tête du pays, mais sa formation politique garde la main-mise sur le pouvoir, sans partage. La composition du premier gouvernement d’Emmerson Mnangagwa, au sein duquel les militaires qui l’ont porté au pouvoir occupent une place importante, a été critiquée par de nombreux observateurs et organisations de défense des droits humains. Le gouvernement d’union nationale espéré par l’opposition et la société civile zimbabwéenne n’a pas vu le jour. En lieu et place, ce sont des visages déjà bien connus du paysage politique zimbabwéen qui ont repris les affaires.

Si le nouveau Président a fait la promesse d’organiser des élections démocratiques en 2018, pour l’heure, la ZANU-PF, parti majoritaire au Zimbabwe, reste le seul maître à bord, au grand dam des opposants. «Nous avions faim de changement, de paix et de stabilité pour notre pays. Nous nous sommes trompés», a déclaré Tendai Biti sur son compte twitter, en réaction à la formation du gouvernement d’Emmerson Mnangagwa. Passée l’euphorie de la chute de Robert Mugabe, les Zimbabwéens sont, de plus en plus, nombreux à exprimer leur déception.

En effet, alors qu’ils pensaient avoir tourné la page de 37 ans de dictature et de crise économique, nombreux sont ceux qui se disent déçus de ce gouvernement de transition, composé, majoritairement, d’anciens membres du régime de Robert Mugabe, dont certains traînent un lourd passé, comptables au même titre que l’ex-Président de son bilan et de l’état actuel du pays. C’est l’avis de Linda Masarira, militante des droits de l’Homme, pour qui ce gouvernement ne répond pas aux attentes des populations.

Elle remet en question le changement prôné par le numéro 1 Zimbabwéen. «Si le Président Mnangagwa avait vraiment voulu changer les choses, il se serait entouré de sang neuf, avec des gens qui ont de nouvelles idées, qui veulent faire les choses différemment. (…) On dirait que ces nominations ne servent qu’à remercier certains de leur loyauté. Il s’agit de népotisme, ce qui n’est pas bon pour le développement du Zimbabwe. Certains ministres qui ont été nommés (comme par exemple Obert Phofu) sont notoirement connus pour avoir pillé les caisses de l’Etat. Phofu est notamment accusé d’avoir détourné l’argent d’entreprises publiques alors qu’il était ministre des Mines. Cela montre qu’il n’y a aucune volonté de sa part de changer la vie des Zimbabwéens», a-t-elle dénoncé.

Cette situation n’est pas de nature à rassurer les Zimbabwéens, encore moins à encourager les potentiels investisseurs, séduits par un discours d’investiture empreint d’ouvertures et de réformes, mais qui, dans les faits, présente une toute autre facette.

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