2020, l’année de tous les spectres et défis
Par Hassan Alaoui
S’il fallait caractériser par un seul petit mot l’année 2020, on dirait qu’elle était la plus noire. Or, rien n’est moins sûr tant il est vrai que celle qui s’annonce, avec son cortège d’incertitudes, n’inspire aucunement la grande et pure sérénité d’il y a seulement douze mois. En effet, une année s’achève et une autre commence, un chapelet de paradoxes au cou, nous sommes à tout bout de champ pris de court, surpris, las même.
La pandémie de la Covid-19 nous pend au nez, elle nous rattrape même par la nuque à chaque fois que nous respirons l’espérance volatile et fugace que le combat mené depuis des mois contre elle en viendra à bout. « L’année la plus noire » par son cortège continu de morts, les ravages humains, le recul de l’économie mondiale, l’émergence d’une pauvreté inédite, le repli suprêmement individualiste , la déprime collective et la brisure de destins que l’on n’imaginerait nullement en d’autres temps.
Personne n’imaginait il y a seulement quelques mois que notre rage de vivre, cette vertueuse assurance de nous-mêmes, cette insouciance à nous croire si invincibles allaient fondre en quelques semaines comme neige sous le soleil, nous inclinant à battre notre coulpe devant l’inédite réalité qui, jour après jour, transfigure la planète d’un seul tenant et avec la même et triste force ténébreuse ? Les visages d’hommes et femmes proches, qui nous sont chers, ont vite fait de disparaître sous nos yeux, nous laissant dans l’horrible détresse et, au mieux, dans l’expectative la plus effrayante.
L’épidémie, devenue pandémie nous a tous surpris. Jusqu’à nouvel ordre, personne ne peut se prévaloir de situer ni connaître ses origines. Et la ville d’où elle s’est envolée a refermé ses portes, sans laisser aucune trace ni un écho, retrouvant son gigantisme, son rythme trépidant et ses habitudes de cité mirifique. En effet, Wuhan est devenue une citadelle, l’enclos qui encastre ses mystères, retrouvant le bruit et les fureurs dans lesquels le monde entier se bat. Mais de Wuhan, de cette cité chinoise peut aussi provenir l’espoir, peut ressurgir le miracle qui nous sauvera. En attendant, nous continuerons non seulement à vivre avec les fantasmagories secrétées par le mal et le sinistre souvenir d’un foyer pandémique, mais tâtonner en quête d’un parade de survie.
Et puis l’année 2019-2020 , avec son parallèle exhumé , celui de la grippe espagnole qui a frappé le monde en 1919 faisant plus de 60 millions de morts, a connu d’autres événements venus s’incruster dans la tragédie. Justifiant aussi cette prédiction selon laquelle « un malheur ne vient jamais seul » ! Les conflits ont continué un peu partout à embraser certaines régions du monde ou en menacer plusieurs autres. En Afrique, au Moyen Orient, en Asie voire en Europe centrale. Chacun des continents recèle ainsi sa part de violences : en Azerbaidjan , en Corée du nord, dans le Caucase, en Ethiopie, en Palestine pour ne citer que ces cas limites, ce sont en effet plus que des brasiers potentiels auxquels la communauté mondiale est confrontée et les Nations unies doivent trouver une solution. La Libye qui a renoué avec les démons de la violence et la guerre civile depuis la chute de Kadhafi en 2011 est toujours dans l’expectative , son peuple plongé dans l’angoisse terrifiante et les « deux gouvernements » rivaux qui s’y sont installés, l’un en Cyrénaïque et l’autre en Tripolitaine, se regardent dans l’œil comme deux chiens de faïence sur une commode. En Afrique où, bon gré mal gré, souffle un vent de renouveau démocratique, des élections libres sont organisées ici et là, certes, avec le relatif succès que l’on sait, néanmoins fragilisé par la pandémie de la Covid-19 et la crise économique et sociale qui lui tient de pendant logique.
A l’Algérie le pétrole, au Maroc les tomates
En Afrique du nord, disons au Maghreb, prédomine le sempiternel conflit du Sahara marocain , vaste escroquerie lâchée et déployée au beau milieu de la guerre froide des années soixante-dix par un Boumediene et ses services de renseignements . Cette « affaire » qui devait en principe être réglée en 1959-60, a été transformée explicitement par ce dernier pour justifier l’expansionnisme territorial – et plus tard idéologique – d’une Algérie forte de son pétrole et son gaz, aspirant à devenir le leader des pays du Tiers-Monde, c’est-à-dire de la moitié de la planète. Boumediene est arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire en renversant Ben Bella le 19 juin 1965. Au prétexte fallacieux que le pouvoir militaire algérien devait imposer son désastreux modèle, il ne cachait point son inclinaison , mâtinée de mépris, à vouloir dominer ses voisins et à les combattre. La Tunisie, la Mauritanie y ont résisté tant bien que mal. Un certain Belaïd Abdeslam, ministre de l’Industrie, et grand fabulateur à ses heures, n’hésitait pas à dire que dans cette configuration maghrébine, « l’Algérie était le pivot du développement, fer de lance industriel et le Maroc son jardin voué à produire les tomates… » !
C’était se méprendre sur l’intelligence d’un grand Roi appelé Hassan II. Un visionnaire qui a tablé sur l’agriculture, doté le Maroc de pas moins de 30 barrages, assurant notre autosuffisance et notre indépendance. Quarante ans plus tard, l’Algérie importe tous ses produits agricoles, et le prix du pétrole dégringolant, ne parvient plus à assurer le minimum vital à son peuple, qui paye la lourde facture du conflit artificiel du Sahara. Quelque huit chefs d’Etat , dont Ben Salah, ont succédé à Boumediene qui a « régné » pas moins de treize ans, laissant à ses successeurs l’héritage d’une haine incandescente du Maroc. Quand l’un d’entre eux, Mohamed Boudiaf, exilé des années durant à Kénitra, figure authentique et emblématique de la Révolution algérienne, a tenté de régler le conflit avec le Maroc, il a été vite et brutalement assassiné le 25 juin 1992 à Annaba par un sbire du DRS alors qu’il tenait un meeting populaire et qu’il était massivement applaudi. Depuis février 2017, en effet, l’Algérie est en pleine effervescence , secouée par le mouvement Hirak qui n’en démord point de « chasser » le pouvoir , celui de Bouteflika avant celui du général Gaïd Salah et aujourd’hui celui de Abdelmajid Tebboune, infecté en octobre dernier par la Covid-19 , hospitalisé ensuite pendant près de trois mois et, finalement de retour dans son pays fin décembre, affaibli et amaigri. Son retour n’a pas agité les foules pour autant, car au même moment un autre, général de son état celui-ci, a regagné le pays, je veux dire le général à la retraite et ci-devant homme fort des dernières années, Khaled Nezzar. Son fils, Lotfi, propriétaire du site électronique « Algérie patriotique », exilé également s’adonne à son exercice préféré : entretenir la haine du Maroc et de ses institutions, cultiver l’information mensongère, aller même jusqu’à oser écrire, la triste passion chevillée au corps, que « le Roi Hassan II a assassiné Boumediene… » !
L’année 2020 aura été de ce fait l’exemple triste de la confrontation par presse interposée entre le Maroc et l’Algérie et donc l’éloignement un peu plus de la perspective d’un rapprochement entre les deux pays. Tandis que le Roi Mohammed VI, tout à son urbanité de voisin fraternel, proposait au président algérien un mécanisme de dialogue qui eût pu instaurer un climat responsable d’échanges, le pouvoir militaire algérien n’a pas trouvé mieux que de pousser le polisario à entretenir un climat de tension extrême sur les frontières sud-ouest du Maroc, et notamment à Guerguerate. Rongeant son frein, le Maroc s’est résolu in fine à riposter le 13 novembre dernier méthodiquement et pacifiquement, à évacuer la zone tampon avec la Mauritanie, occupée et perturbée des semaines durant par des éléments du polisario. Sans coup férir, un épisode de « guerre des nerfs » a été franchi par les Forces Armées Royales qui ont donné l’exemple de l’efficacité et de la mesure.
L’implacable reconnaissance de la souveraineté marocaine
A peine un mois plus tard, le 10 décembre exactement, le monde entier – c’est le cas de le dire – assiste à un coup de théâtre, en provenance de la Maison Blanche : la signature par le président des Etats-Unis, Donald Trump, d’un document officiel reconnaissant la marocanité du Sahara par son pays. Et dans la foulée, l’annonce de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. S’il était un événement aussi spectaculaire ayant marqué l’année 2020, avec sa double dimension politique et symbolique, c’est bel et bien c’est bien cette décision des Etats-Unis de reconnaître solennellement la marocanité du Sahara, d’annoncer l’ouverture d’un Consulat à caractère économique à Dakhla et de parrainer avec tout leur poids les retrouvailles maroco-israéliennes. Cette double décision recueillera l’unanimité de la planète, saluée ainsi de partout, hormis le très peu de gouvernements qui y ont trouvé à redire. Les voix rares et discordantes au sein du PJD marocain, en dépit de quelques critiques, ont fini par rallier la raison et faire preuve de réalisme, notamment après que Abdelilah Benkirane, ancien chef de gouvernement, ancien secrétaire général du PJD eût mis en garde contre toute dérive des ultras de ce dernier et appelé à soutenir le Roi Mohammed VI.
Le soutien des Etats-Unis au Maroc est venu conforter notre pays dans la défense de sa cause sacrée tout en mettant nos adversaires dans une posture inconfortable. C’est un véritable tournant – le mot n’est pas fort – qui renverse la vapeur et rétablit à la fois la vérité historique et la légitimité de notre cause. La carte officielle du Royaume, comme elle l’a toujours été par le passé lointain – a été rétablie derechef par l’Administration américaine à la barbe des stipendiés du polisario et de leurs commanditaires algériens. Les esprits chagrins ont cru établir un lien causal entre le soutien des Etats-Unis au Maroc et la normalisation des relations de ce dernier avec Israël, le qualifiant de « deal » ou, pire, de marchandage et de troc. C’est bien évidemment une analyse très courts voire caricaturale, tant il est vrai que des relations entre ces deux Etats existent depuis belle lurette, notamment dans les années quatre-vingt-dix, illustrées par la mise en place de Bureaux de liaisons actifs sur le plan économique et humaine, sans compter la présence en Israël même de près de 1 million de citoyens juifs originaires du Maroc.
En vérité, l’événement avec toute sa force et sa symbolique, ce sont l’audience accordée par le Roi Mohammed VI à l’importante délégation israélienne à Rabat et l’acte d’allégeance – il n’est pas d’autre mot – que cette dernière a prêté au Souverain . Les Juifs marocains sont autant attachés à leur pays d’origine qu’à l’Etat d’Israël qui les a accueillis, ils pèsent d’un poids particulier sur l’échiquier politique, sachant que pas moins de 10 ministres du gouvernement de coalition sont originaires du Royaume du Maroc. La tentation est grande d’affirmer que le mouvement de rapprochement israélo-arabe est désormais irréversible, sauf qu’il ne devrait pas oublier que les Palestiniens ne sont pas des laissés pour compte, qu’ils ont droit à un Etat souverain reconnu internationalement. Le Roi Mohammed VI reste d’autant plus attaché à la défense des droits palestiniens qu’il a tenu , dans sa communication après la normalisation avec l’Etat hébreu, à réitérer son soutien au président palestinien Mahmoud Abbas et à rappeler l’impératif de deux Etats, israélien et palestinien.
Les affrontements par procuration entre les Grands
L’année 2020 aura été aussi tout au début celle, bien entendu, de l’affrontement entre la Chine et les Etats-Unis, ceux-ci dénonçant par la voix de Donald Trump le dumping de Pékin et la gestion de la Covid-19. Aussi, ce que Raymond Aron désignait comme la République impériale a-t-elle commencé à assister à un relatif déclin , dont la difficile maîtrise de la pandémie a révélé les secrets au dépens de Trump. Les élections présidentielles de novembre ont accordé la victoire à Joe Biden, certes, alors que paradoxalement son adversaire républicain a eu plus de voix qu’en 2016 lorsqu’il avait été élu contre Hillary Clinton. Face à la Chine redéployée et à la Russie de Poutine, Joe Biden aura-t-il la suprême audace de restaurer l’Impérium américain de jadis ? Car, il est dit ici et là que, la crise sanitaire et économique aidant, le monde entre peu à peu dans une nouvelle guerre froide multipolaire. Et le temps de la rhétorique, à l’âge nucléaire, est désormais révolu. Le nouveau contexte planétaire interpelle les uns et les autres qui s’engouffrent et s’emmitouflent dans le néo-protectionnisme archaïque. Mais aussi s’installe dans une récession aggravée, l’utopie d’une sortie de la pandémie n’étant pas pour demain…