45e anniversaire de la Marche verte : Mohammed VI met l’accent sur les enjeux géopolitiques du Sahara marocain
Par Christophe Boutin*
En cette date anniversaire (11 novembre) de la victoire de 1918, il faut se souvenir que ce mois marque aussi la célébration de la Marche verte (6 novembre 1975) qui permit la récupération du Sahara marocain par le Royaume.
Dans le discours prononcé par le roi Mohamed VI, à l’occasion du 45e anniversaire de cette Marche verte, initiative par laquelle, à la demande du roi Hassan II, les citoyens marocains ont paisiblement reconquis les territoires de leurs provinces du Sud, à l’époque encore sous domination coloniale espagnole, le souverain a fort bien ciblé les enjeux géopolitiques qui concernent aujourd’hui cette partie du Sahara.
Le premier enjeu est très certainement l’enjeu sécuritaire. On sait que la zone fait toujours l’objet d’une contestation de la part d’éléments séparatistes basés sur le territoire algérien, et que le Maroc estime que c’est dans le cadre d’une négociation multipartite, engageant aussi les deux États voisins, la Mauritanie, et à plus forte raison une Algérie particulièrement impliquée dans le soutien au Polisario, qu’une solution peut se dégager.
Cette négociation, comme l’a rappelé le souverain marocain, a vocation à se placer dans le cadre onusien et à se fonder sur l’Initiative marocaine d’autonomie, un plan d’autonomie (de 2007) qui offrirait à ces provinces, au sein du Royaume, une réelle prise en compte de leurs spécificités, d’abord, mais aussi, dans le cadre d’une décentralisation poussée, les moyens de faire vivre cette identité. C’est cette approche, plusieurs fois qualifiée dans les documents diplomatiques onusiens d’approche « réaliste », qui attend donc aujourd’hui la reprise des négociations hier entamées à Genève.
On comprendra que, dans ce cadre, le souverain marocain ait pu regretter dans son discours certains agissements du front Polisario. En effet, depuis maintenant des années, pour exister sur la scène internationale et fidéliser les quelques rares soutiens dont il bénéficie encore – on rappellera que 85 % des États membres des Nations unies ne le reconnaissent pas comme un acteur international étatique – le front Polisario multiplie les provocations dans la zone démilitarisée comprise entre le mur de défense établi par le Maroc pour empêcher les incursions sur son territoire et les frontières de ses États voisins, Mauritanie ou Algérie, une « zone-tampon » délimitée comme telle dans le cadre des accords de cessez-le-feu.
Mais depuis quelques années donc, le front Polisario effectue, par exemple, de manière régulière, des blocages dans la partie de la zone située entre le poste-frontière marocain de Guerguerat et la frontière mauritanienne, soumettant les véhicules qui empruntent la route reliant les deux États à des contrôles qui n’ont pas lieu d’être – voire interdisant temporairement le passage. Le souverain marocain s’est toujours refusé à répondre à de telles provocations, d’ailleurs condamnées par la communauté internationales, et la seule action des forces armées royales sur ce passage, ces dernières années, a consisté à tenter d’améliorer le réseau routier et à enlever des carcasses de véhicules abandonnés qui servaient à divers trafics. Dans cette ligne de conduite, le souverain rappelle dans son dernier discours qu’il appartient aux forces des Nations unies présentes sur la zone pour faire appliquer l’accord de cessez-le-feu, la Minurso, d’intervenir pour rétablir l’ordre.
Alors que la zone sahélienne est, on le sait, une zone où se mêlent trafics en tout genres et terrorisme, et ce de manière particulièrement imbriquée, on peut se féliciter de voir sa façade atlantique contrôlée de manière efficace par le Maroc. En ce sens, interdire que se perpétuent des provocations qui n’aboutiront qu’à créer un sentiment d’instabilité devrait être une priorité, non seulement des forces onusiennes de maintien de la paix, mais aussi pour tous les États de la zone et, au-delà, pour tous ceux qui ont intérêt à sa stabilité.
Le deuxième point important du discours du souverain marocain concerne la prise en compte, plus encore qu’elle ne l’était, de la dimension maritime du sud de la façade atlantique du royaume. Le Maroc envisage par exemple d’y créer, à proximité de la ville de Dakhla, un port de réception et d’éclatement de containers qui sera l’équivalent de celui mis en place sur la façade méditerranéenne, Tanger-Med. Parce qu’il générera nécessairement une arrière zone ouverte aux entreprises, parce qu’il aura des conséquences qui se prolongeront sur un hinterland africain à développer, il s’agit d’un projet qui concerne, au-delà du Maroc, toute la partie ouest d’une zone sahélienne dont on connaît les fragilités économiques. Par ailleurs, le souverain a rappelé l’importance que revêt la pêche, dans une mer effectivement très convoitée, ou celle que peut revêtir à l’avenir la production d’énergies marines renouvelables, qu’il s’agisse d’éolien posé, d’éolien flottant ou d’hydrolien.
Encore faut-il, pour agir de manière efficace, que cet espace maritime soit clairement défini, et le Royaume s’est lancé pour cela depuis le mois de mars dans une politique de délimitation de ses eaux territoriales et de sa zone économique exclusive. La présence à faible distance des îles espagnoles des Canaries pose ici un problème, puisqu’en raison de cette proximité géographique des chevauchements des zones respectives sont inévitables. Là encore, loin de chercher, comme certains États peuvent le faire, à imposer une délimitation unilatérale de son domaine maritime, le souverain a rappelé qu’une telle délimitation ne pourra se faire que dans le cadre du droit international de la mer, et en partenariat, dans un dialogue ouvert, avec ce « pays ami » qu’est pour lui l’Espagne.
Si l’on tient compte de la recrudescence constatée ces derniers temps d’une immigration illégale à destination des îles Canaries, on ne peut que constater l’importance du dialogue qui doit effectivement se nouer entre les deux États en matière de coopération sur ces zones maritimes. Et là encore, comme dans le cas de l’effort fait par le Royaume marocain pour contrer l’immigration illégale partant de ses côtes méditerranéennes à destination de l’Espagne, nous sommes en face d’un partenariat essentiel pour la sécurité de la zone, d’un dialogue qui dépasse d’ailleurs les deux seuls royaumes du Maroc et d’Espagne et dans lequel l’Union européenne se trouve très logiquement impliquée.
Apportant des solutions claires pour la stabilité et le développement d’une zone particulièrement sensible, le dernier discours souverain marocain, qui tire le bilan de plusieurs années de politique saharienne du Maroc et ouvre des perspectives pour l’avenir, est celui d’un partenaire ancien et fiable en matière de sécurité, et d’un chef d’État qui entend laisser à la négociation et au dialogue toutes leurs chances, respectueux des principes de la diplomatie internationale. En 2020 plus que jamais, dans un monde où se multiplient les conflits et les risques, nous avons collectivement besoin de telles approches.
*Professeur des universités
Directeur des programmes de l’Observatoire d’études géopolitiques