Vivre avec le terrorisme et la peur panique
Qu’y a-t-il d’anormal à voir un hélicoptère survoler le ciel de Casablanca ? Rien en principe. Et pourtant, la semaine dernière, cela n’est pas passé inaperçu et les regards des habitants de la métropole s’y sont suspendus pendant trois jours, leurs mains sur le cœur. Et pour cause, un hélicoptère des Forces Armées Royales qui a tournoyé à plusieurs reprises dans les hauteurs de la ville. Entre curiosité et panique, les investigations sont allées bon train pour élucider l’intrigue de cet événement que des sites d’info ont surnommé « l’hélicoptère mystérieux ». Loin d’être Kaboul, Casablanca n’a pas l’habitude d’être survolée de la sorte par un appareil et plusieurs fois pendant la journée. Les jours suivants apportèrent la réponse aux questions et aux craintes des Casablancais qui se voyaient déjà assaillis par les terroristes. L’hélicoptère « militaire » faisait partie du scénario d’un film américain ! Et le soulagement se fit !
C’est dire que, de nos jours, la peur se conjugue au pluriel et devient contagieuse. C’est dire à quel point nos entrailles sont assaillies par la panique et tout geste infime soit-il, est susceptible d’alerter nos sens et nous plonger dans une terreur qui paralyse les êtres. Depuis quelque temps, nous vivons avec cette peur latente qui ne s’exprime pas mais qui nous suspend à quelque chose qu’on attend, qui annonce son arrivée ou plutôt qui menace de s’abattre sur nous. Cette peur n’a pas de nom mais elle est là.
Daech, épée de Damoclès
Rappelons-nous que notre confrère Al Massae a relayé une information selon laquelle la police internationale Interpol a prévenu le Maroc des risques imminents d’une invasion de terroristes venant d’Europe. D’ailleurs, ce n’est un secret pour personne, le Royaume figure en tête de liste des pays ciblés par les terroristes en raison de ses efforts déployés dans la lutte contre ce fléau, qui fait de son approche globale et de sa détermination en matière de lutte contre l’extrémisme dans toute ses formes, un modèle sollicité par plusieurs pays. Il est vrai que les services marocains sont connus pour leurs compétences et l’excellence de leur travail. Il est vrai qu’on ne doit pas succomber à la peur du terrorisme qui constitue son principal pouvoir. Mais on se dit tout de même que l’ennemi est partout, invisible, il peut frapper n’importe où et à n’importe quel moment avant de se fondre dans la population. Sonnés par les événements, par l’état d’urgence dans le monde, ce climat d’insécurité nourrit et accentue cette phobie qui s’est emparée de nous et que nous transmettons à nos enfants qui grandissent vite et dans la peur. Aujourd’hui, leur insouciance les quitte, ils ont peur d’être tués, craignent un acte de violence contre un membre de leur famille puisque les médias offrent à leurs regards des images horribles de ce qui se passe dans le monde.
Et pourtant, comment vivre avec une peur qui se généralise guettant un malheur qui s’annonce ? On ne sait plus de quoi ou de qui a-t-on peur. Mais ce dont on est sûr par contre c’est que ces terroristes ont un pouvoir de nuisance énorme et qu’on a tout à craindre quand on pense à leurs prises d’otages, à leurs attaques qui n’épargnent ni représentations diplomatiques, ni écoles, ni même lieux de culte. Ceci les médias nous le rappellent tous les jours que Dieu fait.
Sommes-nous donc condamnés à vivre dans l’horreur et la peur du pire? La peur nous paralyse et la barbarie nous empoisonne la vie. La quiétude nous quitte à grandes enjambées cédant la place à l’état d’urgence qui gagne du terrain dans le monde! On peut tous se trouver à un moment ou à un autre au mauvais moment et au mauvais endroit si les origines du mal ne sont pas éradiquées.
L’islamophobie ou l’autre visage du terrorisme
Un peu partout dans le monde, et notamment depuis les attentats de Charlie Hebdo de janvier 2015, on a l’étrange impression que l’islamophobie trouve, enfin, un motif longtemps recherché et convoité. Et un terrain fertile ! C’est un peu sa « légitimité » étalée au grand jour et à visage découvert ou du moins une justification aux agressions répétitives dont font l’objet tous ceux qui ont le malheur d’afficher un faciès « identitaire » ou un quelconque aspect apparent ayant trait à l’islam.
Cependant, n’oublions pas que le terrorisme n’a pas épargné les pays musulmans qui en sont les premières victimes d’ailleurs. En revanche, on assiste, depuis quelque temps, à une guerre de religions qui entraîne tout sur son chemin nous faisant trembler devant les prémices d’une troisième guerre mondiale qui s’annonce imminemment et dont les motivations dépassent et de loin la pancarte qu’on brandit d’une « religion » instrumentalisée par la politique.
Force est de constater que les agressions islamophobes recensées se multiplient de manière inquiétante. Multiples exactions verbales ou attaques physiques ont été dénombrées et les victimes n’étaient, bien entendu, autres que des femmes musulmanes voilées, violentées, principalement, par des hommes blancs.
Les actes antimusulmans se propagent se présentant sous forme de menaces, d’humiliation, d’inscriptions haineuses, d’agressions verbales ou physiques quand il ne s’agit pas de dégradations de mosquées. Bref, il est urgent d’être solidaires surtout dans ce contexte trouble où la barbarie gagne du terrain. Lutter contre le radicalisme sous toutes ses formes devient une nécessite. Ces attentats immondes et abjects sont perpétrés par des barbares qui détruisent le monde et le mettent en guerre contre lui-même. Le terrorisme n’a ni couleur, ni religion, ni nationalité, ni visage. Il porte le masque de l’horreur, de la violence, du sang et de la haine.
Série noire
Depuis les actes terroristes qui ont visé Paris du 7 au 9 janvier 2015, s’attaquant au comité de Rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, puis la supérette Cacher, une avalanche d’attentats s’est abattue sur les quatre coins du monde. Boko Haram attaque la ville de Baga au nord du Nigéria faisant 200 morts et 2000 personnes portées disparues. Un commando de « jihadistes » attaque l’hôtel Corinthia à Tripoli faisant dix morts. Le même mois, une mosquée chiite dans le sud du Pakistan est attaquée par un terroriste faisant au moins 55 morts. Le 3 février, Coulibaly poignarde trois militaires à Nice. La fusillade de Copenhague a lieu le 14 février 2015. Une vingtaine de jours plus tard, Bamako n’échappe pas à l’horreur. Dix jours après, c’est l’attaque du musée du Bardo près de Tunis causant la mort de 24 personnes et 45 blessés. Et depuis, la série noire ne s’arrête plus touchant Sanaa, Kenya, l’aéroport d’Orly, le Curtis Culwell Center au Texas, le Koweït, le consulat d’Italie au Caire, le Cameroun, la Turquie, Beyrouth, Paris, Bruxelles, Tunis, San Bernardino en Californie, le Tchad, Kaboul sans parler de Bagdad, et dernièrement Lahore, la liste s’allonge n’épargnant pas le moindre carré de la Terre.
La tension est toujours au pic et la panique est à son paroxysme. Le calme et le sang-froid cèdent la place, aisément, à l’état d’alerte élevé au niveau maximal qui se fait sentir un peu partout dans le monde. La hantise des attaques est de plus en plus installée provoquant une peur panique qui a fait qu’on commence à voir le mal partout.
D’ailleurs, plusieurs incidents témoignent de l’obsession et de la nervosité qui règnent, ces derniers jours. A titre d’exemple, des passagers ont été empêchés d’embarquer, à bord de leur vol et pour cause … ils sont musulmans!
C’est dire que la peur du terrorisme engendre une autre facette du terrorisme destructeur, celle de la peur et de la haine de l’autre surtout quand il a le faciès qui titille le racisme et l’islamophobie.
Descente aux enfers
Et comme si cela ne suffit pas à hypothéquer nos vies, on sent comme un vent de folie qui souffle sur le pays. Tel un sirocco, il brûle et opprime les personnes qu’il touche les amputant de leur air de liberté qu’il rase d’un revers, anesthésiant les esprits obscurantistes qu’il égare de telle sorte qu’ils s’improvisent justiciers et dresseurs de tort et s’octroient le droit de faire la loi. Les libertés individuelles se réduisent en peau de chagrin sous l’effet d’une marée de fanatisme rétrograde, d’intolérance extrémiste et d’obscurantisme ravageur.
Lynchage, homophobie, intolérance, haine et rejet de l’autre sont devenus des « faits divers » qui ponctuent notre quotidien nous plongeant dans la hantise de cette Vox Populi qui fait à présent la loi.
Rappelons-nous l’affaire des deux jeunes filles d’Inezgane, du jeune homosexuel de Fès traqué par une horde de personnes déchaînées. Ces scènes d’humiliation et de violation ont donné un coup dur aux droits de l’homme au Maroc. Or ces derniers jours encore, les réseaux sociaux ont relayé une vidéo horrible de deux homosexuels de Béni-Mellal qui se sont fait battre jusqu’au sang par la foule enragée. Seulement quelques jours après, une autre vidéo circule et cette fois-ci il s’agissait d’un homme pris en flagrant délit d’adultère. Bien sûr son crime est impardonnable ! On lui ligote les mains, le frappe, l’humilie, et … on le filme. Sans parler de la chasse aux sorcières à laquelle on a assisté et là encore via les réseaux sociaux.
Au nom de quoi ? D’une moralité religieuse ? Loin s’en faut ! La religion est avant tout une affaire personnelle intime. Elle n’a besoin de personne pour la défendre. Rien ne peut justifier cette rage et cette violence affichées.
Ce qui est grave et inquiétant c’est ce qui se trame dans le silence et l’absence des autorités qui assistent passives au lieu d’arrêter de manière ferme ces débordements sociétaux qui veulent nous projeter dans une ère révolue.
Des fanatiques qui se constituent en brigades de mœurs répandent l’anarchie et le chaos émerge.
Quand la loi ne protège pas les plus faibles, quand on se substitue aux autorités, quand la rue fait la loi, quand l’être humain se déshumanise et trouve son plaisir dans son machiavélisme, et quand on affiche ostentatoirement ces comportements sadiques, au vu et au su des autorités, c’est que notre société va mal. Très mal! Que reste-t-il de nos repères, de nos valeurs et surtout de notre humanisme?
Comment pourrait-on résister – puisque c’est de cela qu’il s’agit – dans un monde en manque d’harmonie et de sécurité quand le moindre pas derrière nous nous fait sursauter, quand on sait que la rue peut s’ameuter au moindre geste, au moindre propos et s’improviser juge et bourreau ?