QUEER MAROC : Sexualités, genres et (trans)identités dans la littérature marocaine
Depuis longtemps, le sexe est perçu comme l’un des grands tabous de la société marocaine. Pourtant, il est présent dans de nombreuses productions culturelles. À partir de l’étude d’un certain nombre de romans et nouvelles, il s’agit ici de rendre compte de la place des sexualités et des genres au sein de la littérature marocaine. Celle-ci met la lumière sur quatre grands enjeux politiques : le renversement des rapports de domination des hommes sur les femmes ; les formes de sexualités non normatives ; la présence du désir homosexuel ; la beauté des corps transidentitaires.
Postface inédite : Repenser les assignations identitaires, repenser le rapport de la fiction à l’expérience vécue.
Extrait :
« La dépersonnalisation queer passe-t-elle nécessairement par la sexualité, par une position vis-à-vis de l’hétéronormativité ? Nous ne pensons pas. Pour paraphraser de manière ludique le célèbre contre-révolutionnaire Joseph de Maistre, le queer n’est pas tant une identité contraire mais plutôt le contraire d’une identité. Si les ruptures avec les assignations identitaires, notamment au niveau des rôles de genre, ne sont pas forcément des rejets du contexte culturel ou cultuel d’appartenance, elles incarnent néanmoins des façons de positionner à travers l’écriture littéraire un nouveau rapport au monde. C’est de cela qu’a voulu rendre compte cet ouvrage, en évoquant le caractère composite et métissé du social et en prenant ses distances avec certaines rhétoriques parlant de « racialisation » et de « blanchité ».
En nous appuyant sur un terrain empirique constitué de textes littéraires, des entretiens réalisés, des présentations publiques d’ouvrages auxquelles nous avons assistées ou lors des échanges informels dans ces lieux de socialisations que sont les salons, les festivals du livre ou les dîners entre pairs, le but était de comprendre de quelle façon le sexe pouvait être présent dans la société marocaine. Il ne s’agit pas de réduire les romans ou les nouvelles à des histoires inventées ou à l’inverse les considérer comme des descriptions sociologiques de la réalité mais de comprendre de quelle façon, pour reprendre une idée d’Edouard Louis[3], les écrivaines et les écrivains parlent des expériences vécues, de certains événements qui ont eu lieu ou sont inspirés par des choses qui se sont passées. C’est en ce sens que nous avons décidé dans cette publication de laisser de côté les restitutions des trajectoires biographiques ou bien les questions relatives aux positions dans le champ littéraire marocain et de focaliser l’attention sur les discours écrits et oraux parlant de sexualité.
Dans un pays défini bien souvent par tout un ensemble de tabous sur le sexe, notre ouvrage a voulu saisir les raisons pour lesquelles la sexualité était aussi présente et aussi explicite dans les discours de certains auteurs, que cela soit au niveau de leurs écrits ou de leurs paroles prononcées publiquement. Pourquoi y-a-t-il autant de textes littéraires évoquant la sexualité dans des pays où elle est censée être censurée en vertu d’un certain traditionalisme, quand bien même ceux-ci sont diffusés en français et dans un marché très réduit ? Quelle est la nature de ces discours ? Comment parlent-ils de la sexualité, des féminités, des masculinités, des transidentités ? Voilà les questions qui avaient animé la rédaction de ce travail. »
Parmi les nombreux auteurs cités dans ce livre figurent Rajae Benchemsi, Tahar Benjelloun, Mahi Binebine, Lounja Charif, Mohamed Choukri, Abdelkébir Khatibi, Ghita El Khayat, Mamoun Lahbabi, Mohamed Leftah, Fatima Mernissi, Mohamed Nedali, Sonia Terrab, Abdellah Taïa…
Jean Zaganiaris est enseignant-chercheur à l’EGE Rabat, Université Mohammed VI Polytechnique. Parmi ses publications, Penser l’obscurantisme aujourd’hui (2009), Un printemps de désirs, Représentations des genres dans la littérature et le cinéma marocains à l’heure des Printemps arabes (2014) et Parlez-moi de Littérature. Pour un autre regard sur le champ littéraire marocain (2017).