Algérie: le ministre des Finances quitte libre le Parquet
Le ministre algérien des Finances Mohamed Loukal, ancien gouverneur de la Banque centrale, est ressorti libre lundi d’un tribunal d’Alger, où, selon la télévision nationale, il a été entendu par le Parquet sur des soupçons notamment de « dilapidation » de fonds publics.
M. Loukal est le premier responsable gouvernemental auditionné par la justice algérienne depuis l’ouverture médiatisée d’enquêtes judiciaires sur des affaires de malversations et de corruption, sur fond de contestation populaire dénonçant notamment les liens entre le pouvoir et de puissants hommes d’affaires.
Gouverneur de la Banque centrale de 2016 jusqu’à sa nomination au gouvernement fin mars, Mohamed Loukal a quitté à la mi-journée le tribunal de Sidi M’hamed, dans le centre d’Alger, sans faire de déclaration, s’engouffrant rapidement dans une voiture noire qui a quitté les lieux en trombe, selon un journaliste de l’AFP.
Il n’était pas possible de dire dans l’immédiat sous quel régime, témoin ou suspect, M. Loukal a été interrogé et s’il a été ou non inculpé.
Dans un bandeau défilant, la télévision nationale avait annoncé dans la matinée la comparution de Mohamed Loukal « devant le Procureur de la République » souhaitant l’entendre sur « des accusations dans des affaires de dilapidation des deniers publics et d’avantages indus« .
Une dizaine de personnes étaient rassemblées devant le tribunal de Sidi M’hamed et scandaient « Voleurs, vous avez pillé le pays!« , un des slogans du mouvement de contestation qui a débuté le 22 février et qui a poussé le président Abdelaziz Bouteflika à démissionner le 2 avril.
La justice avait annoncé le 20 avril la convocation de M. Loukal en compagnie de l’ex-Premier ministre Ahmed Ouyahia, sans préciser si elle souhaitait les entendre comme témoins ou suspects. La date de comparution de M. Ouyahia n’a pas été annoncée pour l’immédiat.
Depuis le départ du pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika, la justice algérienne a ouvert une série d’enquêtes sur des faits de corruption contre plusieurs puissants hommes d’affaires et contre de hauts responsables de l’Etat.
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L’ex-puissant chef de la police Abdelghani Hamel, limogé en juin 2018, a lui aussi été entendu lundi dans d’autres affaires, en compagnie d’un de ses fils, au tribunal de Tipaza, à 60 km à l’ouest d’Alger.
Les deux hommes ont eux aussi quitté libres le tribunal, selon des télévisions privées qui n’ont pas donné d’autres détails.
La télévision nationale avait indiqué, dans un autre bandeau, que le général Hamel et son fils « font face à des accusations d’activités illégales, de trafic d’influence, de détournement de biens fonciers et d’abus de fonction« .
Les manifestants, qui réclament toujours le départ de l’ensemble du « système » au pouvoir, dénoncent aussi les liens troubles entre la présidence Bouteflika et les « oligarques« , hommes d’affaires ayant fait fortune grâce à d’énormes contrats publics.
Trois frères de la famille Kouninef, propriétaire d’un important groupe de BTP et proche de M. Bouteflika, ont été récemment placés en détention préventive.
L’ancien chef du patronat Ali Haddad, PDG du plus important groupe de BTP d’Algérie ayant bâti sa fortune sur de gigantesques contrats publics, a lui été écroué début avril, quelques jours après son arrestation nocturne à un poste-frontière avec la Tunisie.
Ali Haddad est un proche de M. Bouteflika et de son frère et conseiller Saïd.
La justice a également indiqué ces derniers jours rouvrir des enquêtes contre Chekib Khalil, ex-ministre de l’Energie et très proche de M. Bouteflika.
M. Khalil a un temps été poursuivi en Algérie pour corruption, ce qui l’avait contraint à s’installer aux Etats-Unis entre 2013 et 2016, jusqu’à ce que les poursuites soient abandonnées.
Par ailleurs, Issad Rebrab, première fortune du pays connue pour ses relations tendues avec la présidence algérienne, a lui été placé en détention préventive. Il est à la tête de Cevital, plus important groupe privé d’Algérie.
Son incarcération a semé le doute chez les contestataires sur les objectifs réels de ces enquêtes.
Dans une note publiée vendredi, le centre de réflexion International Crisis Group (ICG) voit dans l’actuelle campagne anticorruption un moyen pour le régime d’essayer de « diviser » le mouvement de contestation, tout en « réglant des comptes internes« .
Avec AFP