Le navire du mensonge
Hassan Alaoui
La scène médiatique nationale – à l’instar des autres dans le monde -, comme une baudruche, enfle de mensonges et de démentis. Les sites, puisqu’il s’agit surtout d’eux, n’en peuvent plus de nous faire l’effet d’une montagne qui s’écroule, une crue de « nouvelles », suivie d’une décrue de démentis. Les sites électroniques qui ont crié vite un avantage sur la presse écrite en sont à déchanter.
La course à la nouvelle, le traitement hâtif de cette même nouvelle, l’absence de « filet » précautionneux au nom du « scoop » et de l’exercice nécessaire de recoupement et de contrôle, ce qu’on appelle dans le jargon le sourcement, le style d’écriture qui laisse beaucoup à désirer, et j’en passe….Tout cela participe d’une chaotique démonstration équivalente à cette image sirupeuse « d’auberge espagnole ». Est journaliste ou devient journaliste n’importe qui se découvre un talent de manieur de verbe, enclin à brûler en herbe son blé, ah ! je voulais dire son talent.
Depuis quelque temps maintenant, on nous abreuve de fausses nouvelles et de mauvais scoop. Sur le Roi, sa famille, sur Hassan II décédé il y a 20 ans et dont on s’amuse à déranger le repos éternel , sur les vies privées des personnalités politiques ou autres figures emblématiques, on nous gave de « détails croustillants » propres à nous entourlouper, à vendre du n’importe quoi pour le « clic » dérisoire, devenu religion de l’époque, pourvu que ça accroche le lecteur ou lectrice, forcément saturées qui n’en peut plus de cette curée de « tuyaux crevés » filés à des heures impossibles comme l’appât qui ne se lasse jamais de se raconter des histoires inventées, réinventées, des indiscrétions éventées aussitôt.
Ah oui ! J’ai oublié les falsificateurs de l’histoire et de la mémoire, ceux qui gambadent les temps immémoriaux pour nous donner à voir un passé que nous connaissons ou avons connu avant qu’ils ne fussent nés, mais qu’ils jubilent de déformer à leur manière et nous imposent comme la vérité transcendantale. Ils sont donc les révisionnistes des temps modernes, les croque-morts qui vivent l’époque comme une triste passion.
J’en viens à cette affaire de Vérité en matière de journalisme, disons d’objectivité qui n’existe pas, et pour cause ! C’est tout au plus un mythe, parce que chaque journaliste ou qui prétend l’être sait pertinemment que, à défaut de notre environnement immédiat et de notre background, nous sommes conditionnés par la sensibilité – disons nos idées et nos lectures personnelles – pour que déjà dans nos exercices, nous imprimions à nos textes le « préjugé » consubstantiel et disons inhérent.
Vous envoyez deux reporters couvrir une manifestation dans le Rif, et vous êtes sûrs d’obtenir deux versions différentes voire contradictoires et opposées. Car le premier peut venir à la couverture de l’événement avec des idées préconçues et si d’aventure il est sympathisant des manifestants, il livrera un texte marqué au coin de l’empathie. Son originalité ici consistera simplement à confronter ses « a priori » idéologiques ou autres avec les faits, pour corroborer le tout…
En revanche, l’autre ferait-il l’effort d’interroger les uns et les autres, manifesterait-il le goût de l’effort et du recoupement, sourcerait-il et documenterait-il ses informations, qu’il passerait pour un intraitable novice, voire un amateur. Que faire ? Tous deux traitent donc du même sujet, mais ils n’ont aucun point commun, ils prétendraient à cette part de vérité, parce que dans leurs reportages, nous retrouverons les mêmes personnes, les mêmes noms et les mêmes lieux…
Albert Londres, grand reporter de son état, « Notre Prince du reportage » à qui l’on doit beaucoup écrivait dans les années, retour de Chine : « Je demeure convaincu qu’un journaliste n’est pas un enfant de chœur et que son rôle ne consiste pas à précéder les processions, la main plongée dans une corbeille de pétales de roses. Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie… » Dont acte…