Mon Maroc juif, mon Maroc musulman…

Du judaïsme marocain et d’une coexistence religieuse préservée

Les  tensions, confrontations marquées par la violence, les haines ethniques et  religieuses ainsi que les massacres que nous observons dans différentes régions du monde nous inclinent, aujourd’hui plus que jamais, à penser que le dialogue culturel et religieux est devenu un outil nécessaire aux échanges, au même titre que le débat politique.

De son côté, la mondialisation, l’accélération des échanges et l’essor des nouvelles technologies nous placent face à une problématique  fondamentale : notre société est elle capable de relever le défi du dialogue qui inclut à la fois  le défi de la préservation de l’identité et le défi de l’ouverture ? Un défi auquel fait face également la communauté juive qui a toujours veillé à la préservation de sa culture et son intégration dans le vieux ou le nouveau Monde.

Ceci suscite une autre question relative à notre capacité à nourrir une intelligence collective  ouverte sur nous-mêmes et aux autres cultures du monde. En d’autres termes, comment à l’heure actuelle, tout en évitant l’homogénéisation culturelle subie, promouvoir le dialogue interculturel ? Comment encourager la diversité culturelle et la reconnaissance de l’Autre étant entendu que ce sont là les vrais constituants de la paix et du vivre ensemble ?

Avec la liberté de circulation, des échanges, des réseaux car aujourd’hui il n’y a pas de frontières dans l’échange de la culture, comment canaliser l’échange culturel dans le cadre des droits de l’Homme et de la diversité culturelle ? Comment éviter les risques engendrés par une rapide mondialisation qui peut créer de nouvelles formes de discrimination voire de violence ?

Ce sont là autant de questions qui se posent  avec l’objectif de renforcer le Maroc en tant que passerelle créatrice, en tant que carrefour les échanges spirituels et culturels. « Renforcer » , car par son histoire et son patrimoine, le Maroc démontre qu’il est un carrefour d’échanges caractérisé, fondamentalement enraciné dans son identité plurielle par un brassage culturel et ethnique entre musulmans, juifs et chrétiens, entre arabes et berbères et entre populations d’origine européenne et d’origine africaine.

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« Un même Continuum »

Ceci a été conforté par le fait qu’il a toujours  existé au plus haut niveau une forte volonté politique assumée par l’institution de la Commanderie des croyants, exercée par les Souverains du Maroc, garants de la sécurité et de la quiétude de tous les citoyens et des trois religions monothéistes. Si l’on remonte très haut dans l’histoire et rappeler par exemple que la bataille de Oued al- Makhazine ( Bataille des Trois Rois), survenue près de Larache le 4 août 1578, où le Roi du Portugal Dom Sébastien fut battu avec ses troupes, est commémorée par les musulmans , mais aussi par les juifs dans les synagogues du Maroc,on prend la réelle mesure de concept « d’enracinement identitaire », et de l’attachement à la mémoire collective.

Les juifs marocains ont joué un rôle majeur dans les relations de leur pays avec l’Europe. La forte relation existant entre la Monarchie et nos coreligionnaires nous rappelle  le refus catégorique du Roi Mohammed V d’appliquer la législation raciste de Vichy en 1940, contre les juifs marocains, sa résistance exemplaire au chantage du gouvernement de Laval,  à un moment où l’Europe était en proie au nazisme.

Son courage était tel qu’il avait invité à la Fête du Trône de 1941 les notables juifs qu’il avait placés près  – défi sans précédent – des officiels français et des membres de la commission d’armistice allemande. Au  général Noguès qui lui annonçait que 200 000 Etoiles jaunes étaient prêtes pour l’identification des juifs du Maroc , le Souverain lui répliqua qu’il en fallait «  une cinquantaine de plus pour Lui et Sa Famille ». En ces temps de montée des extrémismes et du rejet de l’Autre sans doute n’est il pas inutile de rappeler l’action de ce « Juste parmi les justes »… et d’explorer les archives du Quai d’Orsay ou les archives américaines dont une partie a servi à l’ouvrage de Robert Murphy,  « Diplomat among Warriors »  Il faut également relire le discours adressé en 2012 par le Roi Mohammed VI au projet d’Aladin dont l’objectif premier est de construire un dialogue interculturel et interreligieux et combattre les différentes formes d’antisémitisme, de négationnisme et de racisme. « Ma lecture de l’holocauste et celle de mon peuple ne sont pas celles de l’amnésie , avait écrit le Souverain. «  Notre lecture est celle d’une blessure mémorielle que nous savons inscrite dans l’un des chapitres les plus douloureux dans le Panthéon du Patrimoine universel … ». Et de rappeler comment, à partir de l’espace arabo musulman, le Maroc a su dire Non à la barbarie nazie et aux lois scélérates du gouvernement de Vichy. Et  de rappeler encore comment, dés les années 30 du siècle passé, le Maroc avait ouvert ses portes aux Communautés juives européennes qui avaient vu le danger nazi et antisémite pointer à l’horizon , et comment le Roi Mohammed V avait su s’opposer à l’application des lois racistes aux marocains de confession juive …

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Nous retrouvons une même continuité , comme aussi une implacable volonté de protéger la communauté juive chez le Roi Hassan II et de renforcer le dialogue interreligieux. En témoigne l’accueil réservé régulièrement aux différents responsables de la communauté juive mais aussi de la communauté chrétienne. La triomphale visite du   Pape Jean Paul II au Maroc en 1985 a fait par exemple  du Maroc le premier pays musulman à accueillir le représentant du monde catholique. En témoignent  aussi ses efforts de mise en relation entre les responsables des différentes communautés en vue d’instaurer la paix au Moyen Orient , en témoignent les différentes rencontres organisées avec  l’UNESCO comme celles des « Routes de la foi », en juin 1995 suivies en juin 1997 par  la rencontre portant sur la promotion du dialogue inter-religieux et  par la rencontre consacrée au thème novateur :  « Le dialogue entre les trois religions monothéistes: vers une culture de la paix ». Tout ceci étant intégré au projet transdisciplinaire « Vers une culture de la paix » porté par l’UNESCO qui n’a de cesse de mettre en oeuvre « l’esprit de la paix » et de la  tolérance entre peuples, groupes et individus, en veillant notamment à ce que cette  culture de la paix se décline dans toutes les formes : musique, art, poésie et formes traditionnelles de communication, gastronomie, architecture, artisanat…

« C’est de l’isolement que meurent les civilisations »

Une culture de la paix à laquelle s’est attaché le Roi Mohammed VI qui lui a imprimé un nouveau rythme, comme la réforme du champ religieux qui réaffirme l’esprit de l’Islam de la modération, du juste milieu et de la tolérance. « Nous avons fait de vous des peuples et des nations afin que vous vous connaissiez » dit le verset du Coran qui appelle à la concorde. La formation des Oulémas va dans ce sens ainsi que la Charte de l’Education et de la formation, la libéralisation du Paysage audiovisuel ou la création de la Fondation des Trois cultures et des Trois religions de la Méditerranée, crée en collaboration avec l’Espagne en constituent l’acte fondateur, une véritable profession de foi. Pour être plus efficace , cette politique d’ouverture se devrait d’être portée par la société , car s’il faut rapprocher et établir le dialogue entre les cultures , le dialogue doit être établi au sein de la société elle-même, entre ses composantes et ses génies. Femmes, jeunes et moins jeunes en deviennent les acteurs majeurs grâce aux colloques et forums organisés, aux séjours et échanges internationaux des groupes de jeunes , grâce aussi à l’apport des MRE , à la création des centres culturels à Bruxelles Barcelone, Montréal, Rome, Paris en attendant d’autres créations . Cet ancrage dans la mondialisation – une « mondialisation heureuse » pour paraphraser un certain Alain Minc-  n’est pas seulement nécessaire de nos jours, mais salvateur, car comme l’écrivait Octavio Paz « toute culture naît du mélange, de la rencontre. A l’inverse, c’est de l’isolement que meurent les civilisations. »

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Dialogue, circulation des idées et des hommes se développent inexorablement, comme en témoignent l’évolution du tourisme religieux : chaque année prés de 150 000 touristes juifs visitent ou revisitent le Maroc – leur terre, la terre de leurs ancêtres -, à l’occasion de la fête de Pessah, de la Hiloula ou de la célébration des 625 marabouts juifs disséminés à travers le Royaume. Un patrimoine nourri et revigoré par l’activité d’associations comme celle de « Permanence du judaïsme marocain » qui organise des journées internationales du judaïsme marocain , des visites aux synagogues et au  cimetière juif de Marrakech dont les tombes sont aujourd’hui entièrement numérisés grâce au travail de l’ethnologue Arrik Delouya qui s’est également attelé à un travail titanesque , celui de recenser les ouvrages et travaux , thèses , mémoires , colloques et  riches articles dans différentes langues portant sur les Juifs du Maroc. Un devoir de mémoire qui est à l’histoire du Maroc ce que la sève est à la vie. L’inventaire est tout simplement colossal, il témoigne d’une extraordinaire vitalité du sujet ! Un même traitement des épitaphes des tombes du cimetière de Fès et d’Essaouira est actuellement réalisé avec des projets pour les cimetières de Debdou dans la région d’Oujda , de Séfrou au Moyen Atlas, chez les 7 Saints à Safi, dans les hautes montagnes du Haut Atlas, dans le sud, dans la Chaouiya, à Ben Ahmded plus exactement, là où les arrières parents d’un certain général, dirigeant du Brésil dans les années 80, Mendès pour ne pas le nommer, sont enterrés depuis quelques siècles et qu’il a régulièrement visités…

La préservation de ces cimetières par des gardiens musulmans dont certains ont même appris l’hébreu, comme le tourisme culturel et religieux a d’autres avantages, celui bien sûr de la convivialité entre les hôtes et les visiteurs, mais aussi le réaménagement et la restauration des sites, le redéploiement des savoir-faire et la revitalisation économique des villages. En d’autres termes les échanges créent de la valeur  et de la richesse. Comme le soulignait l’ex Directeur général de l’UNESCO , Maeno  Masaru , « préserver le patrimoine, c’est bien évidemment préserver sa diversité, c’est donner la chance à chacun d’entre nous de pouvoir aller à la rencontre de l’Autre, à travers les monuments qu’il a édifiés, les paysages qu’il a modelés, les traces matérielles qu’il a laissées derrière lui. C’est permettre un dialogue entre les civilisations » .

Or, ce dialogue pour être efficace doit être porté par l’ensemble de la société. C’est André Azoulay, Conseiller du Roi Mohammed VI qui soulignait, lors de la Conférence internationale sur le dialogue des cultures et des religions , tenue en septembre dernier à Fès  que «  le Maroc vit sa diversité et son pluralisme dans le consensus national, ce qui constitue un atout majeur pour la communauté des nations en quête de repère ». Cette idée de « consensus » est d’autant plus fondamentale  que le dialogue entre les civilisations, entre cultures nous permet de concilier et de réconcilier des valeurs de tolérance et de diversité. Il reste qu’il faut au préalable établir ce dialogue au sein même de notre société entre les différentes composantes. Ce que, de toute évidence, le Maroc a fait et réussi, le Roi veillant aux droits de toutes les communautés, de chacun et a nouvelle Constitution en faisant foi. Le préambule à la Loi fondamentale du Royaume rappelle en effet que le Maroc est un « État musulman souverain, attaché à son unité nationale et à son intégrité territoriale, le Royaume du Maroc entend préserver, dans sa plénitude et sa diversité, son identité nationale une et indivisible. Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen. La prééminence accordée à la religion musulmane dans ce référentiel national va de pair avec l’attachement du peuple marocain aux valeurs d’ouverture, de modération, de tolérance, de respect et de dialogue pour la compréhension mutuelle entre toutes les cultures et les civilisations du monde ».

Un préambule qui – gravé au burin –  a longtemps figuré tout au long de l’année 2015 sur le fronton de l’Institut du monde arabe ( IMA) à Paris. La composante hébraïque reconnue dans la culture marocaine a largement sa place au Maroc. La communauté juive, présente et attachée au Maroc, son pays, perpétue un judaïsme enraciné dans le paysage marocain depuis plus de 2000 ans. Elle a ses institutions, ses écoles, ses maisons de retraite, ses synagogues  parfaitement intégrées dans le paysage culturel du Maroc. Ses synagogues font partie intégrante du patrimoine national et une attention particulière est apportée à leur préservation. En témoignent la réhabilitation en février 2013 de la synagogue de Salat Al Fassiyine de Fès en présence du chef du gouvernement Abdelilah Benkirane et du Président du Budenstag ( Parlement de l’Allemagne) à la cérémonie, une cérémonie marquée par un extraordinaire message du Roi Mohammed VI, lu non sans émotion par le chef du gouvernement. Il convient de rappeler qu’il y a une décennie déjà, la synagogue Danan du Mellah de Fès avait été restaurée. L’appel royal pour la restauration de tous les temples juifs des différentes villes du Royaume va également intéresser les modestes synagogues du haut Atlas et de l’Anti Atlas en partie abandonnées…alors qu’elles incarnent histoire et mémoire d’un Maroc et de sa civilisation pétrie par des mains juives, musulmanes et chrétiennes. Le patrimoine,  c’est aussi les mellahs, les  maisons de grand art, hospitalières et cohabitationnistes, comme la maison des Ohanna à Meknès et celle des Corcos à Marrakech, mais c’est aussi le patrimoine immatériel qu’il faut préserver comme la cuisine , la Mahiya , les traditions vestimentaires, la poésie , la musique andalouse ( al-Ala ou Gharnati) , le savoir faire des artisans , bijoutiers et autres…

Préserver , réhabiliter , favoriser le tourisme , tout cela crée un cercle vertueux , générateur de convivialité , de paix mais aussi créateur de richesse. Le rapport que le Maroc entretient avec l’affluent juif de sa culture lui permet à son tour de s’enrichir du lien qu’entretiennent les juifs marocains avec leur pays d’origine. Comme l’écrit Arik Delouya « depuis tous les lieux de « dispersion »d’Israël au Canada en passant par la France , de l’Espagne au Brésil  en passant par le Venezuela , la mémoire séfarade fait rayonner sa nostalgie du terreau marocain .Sa contribution historique au patrimoine national explique largement cette résistance et cette persistance au judaïsme marocain .Le Roi Hassan II avait coutume de dire qu’il voyait en chacun des juifs marocains installés à l’étranger un ambassadeur du Maroc ! Ambassadeur aussi de la paix , car pour le Roi défunt , le Maroc pouvait jouer un rôle dans la résolution du conflit israélo arabe , de par le fait qu’il constitue un exemple de cohabitation pacifique entre juifs et arabes »..

Avec la montée des périls, des intolérances un peu partout dans le monde , ce  modèle du « vivre ensemble » est menacé. Il y va de notre responsabilité à tous, de notre responsabilité commune, marocains juifs et musulmans ? nous interpellés plus que jamais à le préserver et à le sauvegarder, en dépit de toutes les turbulences de l’actualité . Comme beaucoup de pays émergents, le Maroc  aujourd’hui subit les effets de la crise économique réelle. Sans parler de contagion ou de risque systémique, la crise est réelle et le Maroc pour continuer à se développer et à faire face aux défis, notamment celui du chômage des jeunes a besoin comme le soulignait le 9 Juillet 1957 feu Mohammed V « de tous ses enfants  qu’ils soient musulmans ou juifs .Il a besoin de ses médecins, de ses ingénieurs  de ses avocats, de ses hommes d’affaires et investisseurs… ». C’est un  même appel qui est d’ailleurs réitéré en 1976 par le Premier ministre de l’époque, Ahmed Osman qui «  invite les juifs marocains  vivant à l’étranger à revenir dans leur pays et à ouvrir une nouvelle page.. ».

Ouvrir une nouvelle page pour plusieurs raisons  dont celle de replacer le fait juif comme un élément constitutif et légitime de l’histoire et de la culture marocaine, dixit Ahmed Osman … Une idée reprise par feu Moulay Ahmed Alaoui, ministre d’Etat et proche de feu Hassan II qui écrivait le 23 Mars 1976 : « Les juifs ont constitué au Maroc la personnalité la plus originale et la plus vivante de son histoire .Leur départ a été une perte sur le plan culturel et sur le plan économique  privant le Maroc d’un élément constitutif de sa personnalité ». Il n’est pas jusqu’au quotidien, notre confrère « L’Opinion », organe du parti de l’Istiqlal qui publiait le même jour un poème destiné « A mon frère juif arabe , ta patrie souffre toujours de ton absence… »

Les juifs marocains ont toujours été de par le monde et dans le temps, porteurs d’ouverture et de modernisation. Le judaïsme marocain constitue un groupe humain influent de par le monde, il entretient des liens affectifs avec le Maroc, avec son passé, sa mémoire et son patrimoine religieux et culturel. Un patrimoine qui nous rappelle par exemple que ce sont les rabbins juifs marocains qui ont fondé la base de la grammaire et de la poésie hébraïque et que c’est à Fès que Rabbi Itshaq El fassi composa son œuvre « Le Talmud Kahenna », monument de savoir qui est le guide le plus complet de la Halakha …C’est tout ce  patrimoine , ce passé , cette mémoire vivante qu’il faut préserver dans un pays qui défend les valeurs du vivre ensemble.

 

 

 

 

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