L’effet Benkirane est-il toujours porteur ?
On s’étonne, on feint de s’étonner plutôt ! Abdelilah Benkirane qui ne cesse de ratiociner du haut des tribunes n’a pu s’empêcher de se livrer de nouveau à son exercice préféré : épater ! La presse, toutes catégories confondues, s’en donne à cœur joie. A l’occasion de la fête nationale palestinienne, ne le voilà-t-il pas en train d’exécuter une danse palestinienne, la Dabka sur le podium du théâtre Mohammed V et d’exulter ? Qui plus est au milieu des dirigeants du PAM, du Mouvement populaire, de l’USFP, du PPS, et…du Parti de l’Istiqlal, Hamid Chabat…en l’occurrence, tous réunis sans encombre ? De la bonne compagnie, quoi ! Le voilà ensuite qui réplique à l’interrogation « inquiète » du président du RNI, Salaheddine Mezouar à propos des futures et éventuelles alliances à l’horizon du scrutin législatif prévu à l’automne prochain…
Cet exercice pourrait s’apparenter à une oeuvre œcuménique s’il n’était pas entaché d’une rédhibitoire arrière-pensée politique. Entre Benkirane et Chabat le torchon ne brûle plus apparemment et les couteaux emblent être rangés au vestiaire. On se congratule de nouveau publiquement, on étale les convergences nouvelles, on baisse le ton pour ainsi dire. Le leader du PJD, qui vient de présider à Salé une nouvelle session du Conseil national de son parti, a adressé dans la foulée deux lettres à Hamid Chabat et à Driss Lachgar, respectivement secrétaire général de l’Istiqlal et Premier secrétaire de l’Union socialiste des forces populaires.
Le contenu de ses lettres, remises semble-t-il de « main à main », n’a pas été dévoilé. Il illustre cette méthode du secret, l’inaltérable secret qui tient de la prudence érigée comme culture des formations et des leaders politiques du Maroc. Le plus significatif est que deux autres leaders, cette fois de partis de la majorité, en ont conçu de l’aigreur et ont peu apprécié la méthode de Benkirane. Il s’agit de Mohand Laenser , secrétaire général du MP et Salaheddine Mezouar, président du RNI qui expriment ouvertement leur soupçon sur ce qui serait un changement d’attitude de sa part. Même si Abdelilah Benkirane, usant encore de la gouaille habituelle, a cru rassurer ces derniers sur ses intentions et , surtout, sur l’hypothèse agitée ici et là de renouer de nouvelles alliances ou de retrouver ses vieux partenaires, notamment Hamid Chabat, le sentiment du contraire domine chez ses partenaires actuels au sein de la majorité.
Abdelilah Benkirane , fidèle à sa caustique gouaille, a cru épingler ensuite lors d’une séance à la deuxième chambre la représentante de la CDT, Touria Lahrache, lui infligeant son ironique et provocateur « un peu de pudeur et laissez-nous rester pudiques » ! Sarcastique phrase adressée à une femme, avec un ton qui , tout en invoquant la morale, témoigne d’un mépris. L’adresse à une femme syndicaliste est un tantinet réduisante… Puis est survenue la séance des questions orales à la même Chambre des Conseillers, rituel mensuel qui est au chef du gouvernement ce que le pénible examen est au collégien blasé… « Ils ont bien fait de vous mettre là », lance-t-il à Hakim Benchamach, président de la Chambre, un brin moqueur…Ce dernier lui a rétorqué, pince-sans-rire : « Ainsi vous êtes débarrassé de moi et tranquille » !…On pouvait apercevoir une partie de la salle éclater de rire, on s’offusquait surtout de l’hilarité crispante d’un Mohamed El Ouafa….
On pouvait voir à quel point le rictus, du rire et du bidonnage, a supplanté une certaine rigueur. On pouvait se laisser glisser sur la pente de cette ahurissante plaisanterie ressassé, récurrente devenue une manière de gouverner ! On pouvait, en revanche s’inquiéter même, de cette propension si ancrée du paysage parlementaire à la surenchère verbale…Alors, la question essentielle, celle du débat pertinent et convaincant sur les retraites, de la bastonnade violente et injustifiée des professeurs stagiaires qui a fait couler du sang et de l’encre, érigé la répression en mode dialogue, de l’assurance maladie, de la stratégie économique et sectorielle , à moyen et long terme, dans l’hypothèse d’une hausse possible du prix de pétrole, et tutti quanti….
Tout cela ne peut se débattre par le rire et l’amusement ! Peut-être devrait-on rappeler que lors du Conseil national du PJD à Salé, une frange significative de celui-ci, considérés comme « purs et durs » ont manifesté leur mécontentement à l’égard de ce qu’ils appellent « l’abandon et la prise de distance de Benkirane eu égard aux dogmes du parti », autrement dit sa tolérance ! Ou encore son éloignement des principes fondateurs de l’idéologie du PJD. Ils lui reprochent même de participer, ça va sans dire, au délitement de la société, sa faiblesse devant le relâchement des mœurs et, surtout, de la vigilance. D’aucuns d’entre eux lui reprocheraient d’avoir mis en péril le projet du parti islamique, celui d’implanter une culture et une vision rigoriste pour la société marocaine…
Qu’une telle sortie se fût produite lors du Conseil national, au cœur d’un débat publique, témoigne à coup sûr des contradictions de fond qui traversent le PJD, à quelques mois des élections législatives qu’il entend rempoter haut la main. On ne s’étonnera pas si au cours des mois prochains, un écart se creuse entre partisans de la ligne dure et ceux de la ligne modérée, incarnée par Abdelilah Benkirane….