Burkina Faso : La nébuleuse terroriste continue de faire tomber des victimes
Par : Othmane Semlali
Le Burkina Faso est en deuil depuis dimanche 08 septembre. La nébuleuse terroriste continue de faire tomber des victimes parmi les innocents. Deux attaques terroristes de grande envergure ont frappé, le weekend dernier, le pays faisant un bilan lourd : 29 civils ont perdu la vie dans ces actes ignobles.
Ce crime odieux s’est produit lorsqu’un camion a sauté sur un objet explosif improvisé : Un convoi humanitaire a été dans la cible des assaillants. Ces attaques interviennent à un moment crucial, alors que le Burkina Faso s’apprête à abriter samedi 14 septembre, le Sommet extraordinaire de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), avec sur l’agenda des responsables ouest- africain, l’épineux dossier du terrorisme et les moyens pour y faire face.
Bien que le président Burkinabè, Roch Marc Christian Kaboré, préside le G5- Sahel sur lequel on fonde beaucoup d’espoir d’ailleurs, son pays peine à éradiquer ce fléau, qui gangrène toute la zone de l’Afrique de l’Ouest. Et pour preuve, les pays de l’Afrique subsaharienne ont vécu et continuent de vivre, ces dernières années, au rythme d’une prolifération accrue des attaques terroristes et criminelles, d’où l’impératif d’une mutualisation des efforts de tous ces pays pour enrayer le terrorisme et l’extrémisme violent.
Certes, ce pays comme ses voisins de la région se trouvent de plus en plus sensibilisés et vigilants face aux risques et menaces sécuritaires pourtant, la chronique morbide des actes terroristes au Burkina Faso comme ailleurs, se poursuit à un rythme régulier.
+ Un pays endeuillé en permanence :
Les attaques terroristes du dimanche 8 septembre viennent confirmer cette fragilité à s’immuniser contre ce fléau. La première attaque est survenue sur l’axe Barsalogho- Guendbila dans le Sanmatenga (nord- ouest d’Ouagadougou). Bilan : 15 morts et six blessés. Dans la même région du centre du pays, sur l’axe Dablo- Keibo, un camion du Programme Alimentaire Mondial (PAM) transportant des denrées, a été contraint de s’arrêter en raison du mauvais état de la route, Résultat : il finit par trouver dans le viseur d’un groupe armé. Bilan : 14 civils tués.
Du côté des autorités burkinabè, le discours et rassurant. Le porte- parole du gouvernement, Remis Fulgance Dandjinou a annoncé le déploiement de renforts militaires, alors que des opérations de ratissage ont été menées comme le veut la coutume dans ce genre de situation. Aussi, le responsable Burkinabè a saisi l’occasion pour réitérer l’engagement du gouvernement de son pays à « accompagner les organisations et les institutions intervenant dans l’action humanitaire pour la réussite de leurs missions ».
Lundi 9 septembre, le feuilleton des attentats va se poursuivre : Six gendarmes ont été tués à Inata, localité située dans la province du Soum dans le nord du pays. Alors qu’ils étaient sur le chemin de retour d’une mission de ravitaillement, les victimes sont tombées dans une embuscade, exécutée par des individus armés.
La situation au Burkina Faso est fragile et complexe. Plusieurs régions échappent au pouvoir central comme dans le Nord et à l’Est, alors même que des groupes terroristes s’activent également à l’Ouest, dans le Centre comme au Sud. Le nombre de déplacés dans le pays ne cesse de s’accroitre. Selon les chiffres du CICR, en neuf mois, on dénombre 280.000 personnes contraints de quitter leurs villages, leur bétail et leurs cultures, alors qu’au total 1,2 million de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire.
Cette situation de « non droit » offre un terreau fertile pour la prolifération de groupes terroristes. Dans ce schéma, des milices s’adonnent la mission de prendre en charge la défense des populations locales, contribuant de manière directe à l’aggravation des conflits d’ordre communautaire notamment, entre les Peuls et les agriculteurs.
+ Radioscopie des groupes djihadistes actifs au Burkina Faso :
Une radioscopie des groupes terroristes laisse constater que trois groupes jihadistes s’activent au Burkina Faso. Il s’agit du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), du Malien Iyad Ag Ghali, principal leader islamiste des groupes actifs au Sahel. L’autre groupe s’appelle Ansar Al Islam rassemblant des Peuls, et qui a été crée en décembre 2016 par Ibrahim Dicko. Ce groupe est implanté au Mali et dans le nord du Burkina Faso. Ces deux groupes, dirigés par des Maliens, ont prêté allégeance à Al Qaïda. Quant au troisième groupe, il n’est autre que l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) conduit par Adnan Abou Walid Al- Sahraoui, et qui est apparu en 2018.
En chiffres, on estime que depuis 2015, ces trois groupes terroristes auraient tué 570 personnes au Burkina Faso.
Autour de ces trois groupes terroristes, figurent des groupuscules qui viennent s’y graviter. Ces derniers plus au moins structurés, ne disposent pas d’une grande capacité de nuisance, ne se dressent pas en bloc mais, peuvent servir à former des alliances de circonstance avec les groupes terroristes déjà connus.
Ces petits groupes locaux mènent le plus souvent leurs activités criminelles sous la protection de ceux déjà connus pour leurs actions terroristes de grande envergure au Burkina Faso. Ils agissent avec l’appui logistique et technique de ces derniers. En contrepartie, ces groupuscules contribuent à déstabiliser la région via leurs attaques et l’exercice de rapts.
+ Une prolifération accrue des groupes terroristes :
Bien que le Burkina Faso avait échappé au désordre causé en 2011, par la chute du régime de Kadhafi, le pays a vu progressivement sa situation sécuritaire se fragiliser en raison des soubresauts politiques vécus à la suite de l’insurrection populaire de l’automne 2014. La menace terroriste va, toutefois, connaitre son apogée en 2016, avec la prolifération de groupes terroristes en provenance du Mali et qui se sont repliés dans le Sahel Burkinabè pour se développer, renforcer leurs rangs davantage, et piloter des actes criminels de grande envergure.
Bien que ces groupes terroristes continuent d’utiliser le Mali comme base- arrière, ils s’attachent à recruter des jeunes Burkinabè. Certains opéraient depuis 2012 en terre malienne sous la coupole d’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique), ou encore Ansar Dine, comme dans les rangs du Mouvement pour l’Unification et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). A partir de 2016, ces combattants terroristes ont focalisé davantage sur le Burkina Faso.
Dans le recrutement de jeunes combattants, les terroristes, tirant profit du malheur des autochtones, font prévaloir une batterie de facteurs allant de l’ethnique, au religieux, du social à l’économique, voire même du politique.
Profitant de leur parfaite maitrise du terrain dans un Sahel désertique « no men’s land » où l’Etat est absent, de leur capacité élevée d’adaptation aux conditions climatiques souvent peu clémentes, les combattants terroristes semblent gagner du terrain.
Derrière cet état de fait, la connivence avec des groupes criminels, des trafiquants et des contrebandiers, une maitrise des nouvelles technologies de communication, et une grande capacité à changer de stratégies et de cibles.
Pour le cas du Burkina Faso, les analystes ont conclu que les terroristes changent en permanence de stratégie et de zones d’action, avec le dessein bien clair de faire comprendre à l’opinion publique leur suprématie, et leur présence étendue sur l’ensemble du territoire Burkinabè.
Capacité élevée de nuisance. Certes, nul ne pourrait dire le contraire. Ces groupes terroristes agissant le plus souvent selon un agenda bien défini, et dans l’opacité la plus absolue. Et pour preuve, toutes les stratégies adoptées pour l’éradication de la nébuleuse terroriste se sont montré inefficaces voire même inadaptées.
Le terrorisme est un ennemi invisible, sans frontière, ni nationalité. Un ennemi, chaque fois en avance, avec une capacité d’anticipation inégalable mais aussi, avec un effet surprise de plus en plus accentué.
Au Bukina Faso, comme dans les différents pays de la sous- région, les groupes terroristes trouvent le plus souvent refuge dans les zones rurales où, la pauvreté, la marginalisation et la précarité semblent être les seuls mots d’ordre.
On cible ces zones où, l’Etat est « absent » et où les populations ont de plus en plus ce sentiment d’être délaissés et marginalisés. A ce niveau, l’endoctrinement et l’embrigadement dans les rangs des jeunes, devient plus aisé, et la distillation des discours extrémistes et radicaux semble acquise facilement car, de l’autre côté, il n’existe aucun pouvoir qui pourrait, le cas échant, déconstruire et mettre à nu ces discours. Cette situation fait que l’Etat est de plus en plus mal perçu par les autochtones.
A ce sujet, Mahamadou Savadogo, Chercheur sur les questions de l’extrémisme violent à l’Université Gaston Berger, dans un article écrit pour ‘’The Conversation’’, intitulé : « Burkina Faso : Comment s’explique la prolifération des groupes terroristes ? », écrit que : « les groupes terroristes au Burkina Faso on ainsi crée des sanctuaires là ou l’État a produit de la violence. La particularité des groupes extrémistes au Burkina, c’est qu’ils ne s’installent pas dans les zones qu’ils ont conquises. Ils ont adopté un style de gouvernance à distance aidée par l’absence de l’État, en profitant de la faiblesse du maillage sécuritaire ».
Concernant les recrutements dans les rangs des terroristes, cet expert note : « À l’origine, les combattants des groupes terroristes au Burkina étaient majoritairement exogènes et les recrutements se faisaient en dehors des frontières burkinabè. Les premières attaques sur la capitale Ouagadougou ont été revendiquées en janvier 2016 par AQMI.
Depuis un certain temps, leur stratégie d’occupation du territoire ainsi que leur mode de recrutement ont changé, devenant de plus en plus local, principalement dans leurs bastions.
Pour augmenter le nombre de leurs adeptes, ils ont su exploiter les désordres locaux, et sont passés maîtres dans l’art d’alimenter les tensions sociales et d’attiser les conflits communautaires ».
On estime également, que les méthodes de lutte contre les terroristes souvent adoptées par l’Etat (exactions commises par les forces de défense et de sécurité) drainent de nouveaux adeptes vers les groupes terroristes.
Une analyse des cibles des groupes terroristes au Burkina Faso laisse comprendre qu’elles s’articulent, dans nombre de cas, autour des symboles de l’Etat : membres des forces de défense et de sécurité ou encore, les autorités coutumières. Des menaces sont souvent proférées à l’égard de personnalités publiques mais, il y a une difficulté de les atteindre.
Là encore, le professeur Savadogo écrit : « Ce faisant, les terroristes s’assurent non seulement la sympathie d’une partie de la population, tout en s’érigeant en justiciers venant au secours du peuple opprimé par son propre État prétendument instrumentalisé par les puissances occidentales. C’est, en tout cas, ce type de messages qu’ils véhiculent pour justifier le fait de s’en prendre aux symboles de l’État ».
Au Burkina Faso ou ailleurs, une part de responsabilité de la prolifération des groupes terroristes incombent également aux groupes d’autodéfense. Ceux-ci dans nombre de cas se montrent comme étant en concurrence avec l’Etat. Ils peuvent donner l’impression également aux populations, de le remplacer purement et simplement, ce qui pourrait être compris comme une faiblesse voire même, une incapacité de l’Etat à exercer ses prérogatives régaliennes de paix et de sécurité des citoyens.
Certes, si l’action militaire demeure « indispensable » en matière de lutte contre le terrorisme, il apparait, cependant, inefficace. Changer de méthode et de paradigmes s’impose. Prendre en charge les questions de développement socio- économique, le renforcement de la bonne gouvernance, l’investissement dans l’éducation et la formation, et l’association des jeunes et des femmes dans tous les projets de développement, semblent à notre avis le moyen adéquat pour vaincre l’obscurantisme et l’extrémisme violent.
En attendant ce changement des visions, les pays de l’Afrique de l’Ouest ont encore un long chemin à parcourir en matière de lutte contre un fléau de portée internationale.