Tunisie: Le pari risqué de Rached Ghannouchi
Rached Ghannouchi, chef du mouvement Ennahdha, élu mercredi président de l’Assemblée des Représentants du Peuple (parlement) suite à une transaction de dernière minute avec le parti « Qalb Tounes », de Nabil Karoui, considéré il n’y a pas longtemps comme le parti des corrompus, s’invite enfin directement au jeu politique.
Vu la nature des coalitions contre-nature tissées avec « Qalb Tounès », cette figure emblématique du mouvement islamiste tunisien risque de jouer sur le terrain glissant de la politique. Ce natif d’El Hamma à Gabès (sud-est tunisien), porte mal ses 78 ans et succède à ce poste à Mohamed Ennaceur (2014-2019). Le point commun entre les deux leur âge et leur santé chancelante.
Le hic est que Ennaceur est moderniste et bourguibiste jusqu’aux ongles, Ghannouchi, au contraire, un islamiste conservateur. Cette figure, dont le nom a été toujours associé à l’islam politique en Tunisie, a subi prison et exil politique. Très rusé, il a su au fil du temps s’adapter à toutes les circonstances et à imposer aux siens compromis et parfois même compromissions.
Habile, fin démagogue, il a pu donner au monde une image moderniste d’Ennahdha, en tant que parti politique ayant un référentiel islamiste mais reconnaissant la civilité de l’Etat et plaidant pour un régime républicain.
Dans la pratique, la distinction au sein de ce mouvement entre ce qui relève purement et simplement du religieux et du politique demeure factice.
Le retour à l’occasion de la dernière campagne électorale d’un discours rigoriste, d’appels de certaines figures du mouvement au retour aux sources en dit long sur l’ambivalence du discours adopté par le leader d’Ennahdha. Ce double discours est toujours présent chez Rached Ghannouchi, capable de dire la chose et son contraire. Tout en affirmant que son mouvement « ne cherchait pas à étendre son hégémonie et à accaparer tous les pouvoirs « , il soutient qu’il oeuvre à « présenter au pays les meilleurs Tunisiens qu’ils soient de l’intérieur ou de l’extérieur d’Ennahdha.
Ce Co-fondateur et Président du MTI (Mouvement Tunisien Islamique) lancé officiellement le 6 juin 1981, devenu mouvement Ennahda, est également vice-président de l’organisation mondiale des ouléma musulmans. Il s’est illustré depuis longtemps par son activisme qui le rapproche depuis les années soixante.
500 dirigeants du MTI ont été arrêtés, dont Rached Ghannouchi et Abdelfattah Mourou, condamnés à 10 ans de prison. Le 14 mai 1988, Zine el-Abidine Ben Ali qui a pris le pouvoir gracie Rached Ghannouchi. En guise de reconnaissance, il lui exprime sa confiance dans une interview au journal « Assabah » et promet le fait que les islamistes ne s’infiltreront plus dans l’armée et la police et n’utiliseront plus la violence.
En 1990, Rached Ghannouchi s’exile à Alger, muni d’un passeport diplomatique soudanais, tout en restant à la tête du mouvement. En août 1993, il s’est installé à Acton, dans la banlieue ouest de Londres et obtient le statut de réfugié politique.
Le 30 janvier 2011, il regagne la Tunisie après la chute du régime de Ben Ali.
Aujourd’hui, après plus de huit ans d’implication du mouvement Ennahdha dans la vie politique tunisienne, Ghannouchi est en train de faire face à une contestation intérieure de plus en plus forte et les ultras du mouvement digèrent de plus en plus mal le processus de prise de décision.
Dans le mandat qu’il va assurer, il court deux risques. Sa gouvernance du mouvement peut aboutir à sa perte de contrôle de ce parti et expose cette formation de s’éclater en lambeaux. Il fait de même face à la menace de perdre son pari à trop vouloir chercher les compromis factices et les solutions à l’emporte-pièce.