Marwan Mery & Laurent Combalbert : » La négociation n’est pas un soft-skill mais un hard-skill »
Combien sommes-nous à suivre avec intérêt et délectation Ransom, la série diffusée aux Etats-Unis, au Canada, en Belgique, Suisse, France et au Québec ? D’emblée, on est plongé dans les arcanes de la négociation « savante » d’une équipe qui apporte son aide pour sauver des vies quand personne n’y peut rien.
En effet, dans un monde où la complexité bat son plein, où les enjeux économiques, géopolitiques, climatiques et humains sont de plus en plus au cœur des préoccupations de chacun, créer des liens durables afin de faire face aux défis qui guettent l’humanité est chose peu aisée. Aussi la négociation constitue-t-elle l’outil incontournable dans le maintien des relations. Cette série donc du monde fascinant des négociations, qui régissent notre monde et dont le nombre de fans augmente à vue d’œil, est bel et bien inspirée directement de la carrière de deux négociateurs professionnels qui ont l’art de comprendre les criminels mieux qu’eux-mêmes. Encore mieux que sur le petit écran, Marwan Mery et Laurent Combalbert, négociateurs de renom aux parcours différents mais complémentaires, fondateurs de l’ADN Group (Agence de Négociateurs Professionnels) parcourent le monde pour mener les négociations les plus difficiles. Incontestablement, on se rend compte que la négociation est pratiquée au quotidien dans les plus hautes sphères de décision du monde.
Diplomatie, finance, crise commerciale, sociale ou autre, aucun domaine n’a plus de secret pour les deux hommes imbattables. Et c’est dans ce sens qu’entreprises et organisations gouvernementales font appel à leurs services afin de profiter de leurs expériences et leur expertise. Conférenciers, formateurs, conseillers et négociateurs, Marwan Mery et Laurent Combalbert conduisent, assistent et dirigent plus de cent négociations des plus complexes, chaque année. Une première en cette année, dans l’histoire de la négociation internationale, les Nations Unies et ADN, l’Agence des Négociateurs se sont réunies pour organiser la première Journée Mondiale de la Négociation, mercredi 25 septembre, à Genève, au Palais des Nations Unies.
Entretien.
MD _ Vous êtes négociateurs professionnels. En 2012, vous vous êtes associés pour créer l’Agence des Négociateurs (ADN). Tous les deux vous intervenez dans des multinationales et organisations gouvernementales pour résoudre des situations de crise partout dans le monde. En quoi consistent exactement vos interventions ?
MM & LC _ Notre métier consiste à résoudre des situations conflictuelles et complexes par la négociation. En fonction de la situation, nous pouvons intervenir en amont afin d’aider l’équipe concernée à préparer et à structurer sa négociation. Cela peut concerner des négociations commerciales, des deals financiers, des conflits sociaux ou communautaires, des relations diplomatiques ou des situations critiques, comme de l’extorsion ou du kidnapping et rançon. Nous pouvons également intervenir dans l’ombre pendant toute la durée de la négociation, sur la préparation, la conduite et la clôture. Ainsi, nous débriefons chaque phase de la négociation, préparons l’équipe à aborder les prochaines étapes tactiques et ceci, jusqu’à la fin de la négociation. Par moments, nous sommes au contact direct, quand les liens du dialogue sont brisés entre les parties prenantes ou que la partie que nous assistons n’a pas la compétence technique pour mener la négociation.
Et enfin, nos équipes, réparties dans le monde entier, et nous-mêmes formons de nombreuses entreprises et organisations dans le monde entier (près de 5.000 personnes par an) avec des programmes adaptés : Essentials, Advanced, Expert et Professional.
Comment cela se passe généralement quand on fait appel à un négociateur professionnel ?
Les personnes ou institutions qui font appel à nous sont généralement dans une situation où les méthodes classiques ne fonctionnent plus. Ils se tournent alors vers nous pour trouver une expertise et une expérience singulières. Que ce soit dans le cadre d’un conflit à fort enjeu ou de la préparation d’une négociation déterminante, ils cherchent à bénéficier d’un regard extérieur. Notre réseau, composé d’une centaine de négociateurs répartis dans le monde entier, nous permet de répondre rapidement à tout type de sollicitation.
Vous parcourez le monde pour mener des centaines de négociations, chaque année, dans de nombreux et divers domaines qu’elles soient de crise, sociales, financières, diplomatiques, conflits sociaux … Négocier est donc un vrai métier ? Quelles compétences exige-t-il ?
Effectivement. Contrairement à ce que l’on peut penser, la négociation n’est pas un soft-skill mais un hard-skill. On ne peut s’improviser négociateur. Pourquoi certains réussissent alors que d’autres échouent quand ils doivent faire face à la même situation. Ce sont les personnes les plus chanceuses du monde ? Non. La négociation est un métier d’expertise et d’expérience. Si on doit citer quelques compétences fondamentales, notons la compétence technique (neutraliser une menace ou un ultimatum, reprendre l’ascendant en situation dégradée, induire le changement, contrecarrer la mauvaise foi, questionner stratégiquement…), l’écoute véritable, l’empathie, la maîtrise émotionnelle, la gestion du stress, l’assertivité ou encore l’intuition.
Vous êtes appelés, chaque année, par des gouvernements et des entreprises pour diriger et conduire des négociations à forts enjeux. Vous arrive-t-il que la stratégie conçue en amont ne fonctionne pas et tombe à l’eau ?
Cela peut arriver. Il faut rester très humble. Nous calons la stratégie à l’aune de l’analyse d’une situation, qui va comprendre le rapport de force, la cartographie des acteurs, les enjeux de la partie adverse et de nombreux autres facteurs. Nous dressons des hypothèses et prenons une décision. Mais par moments, nous pouvons réaliser dans le cours de la négociation que la stratégie n’était pas la plus appropriée. Ce n’est pas forcément grave, tant que le temps ne joue pas en notre défaveur. Il n’y a rien de figé. Le but est de savoir s’adapter, sans pour autant compromettre l’objectif de la mission.
Vous préparez à cent pour cent tous les paramètres de la négociation ou laissez-vous une part pour l’improvisation quand il y a blocage ?
Nous aimons dire que la négociation, c’est 80% de préparation et 20% d’inspiration. Ce qui veut dire que vous pouvez improviser mais à une seule condition, c’est d’être préparé. Sinon n’improvisez pas. L’intuition joue un rôle prépondérant en négociation. Par définition, il serait illusoire de considérer que nous pouvons tout contrôler. Ce qui définit la complexité du monde dans lequel on vit est l’incertitude. Dans le meilleur des cas, nous avons une vision juste d’une situation à 80%. Pour combler les 20% manquants, c’est l’expérience qui nous aide à faire la différence, elle-même nourrissant notre intuition.
Vous arrive-t-il de refuser d’intervenir dans des situations de crise ?
Oui tout à fait. Quand les missions proposées vont à l’encontre de nos valeurs, notre éthique ou notre déontologie, nous les refusons tout simplement.
Pouvez-vous partager avec nous l’une de vos missions les plus difficiles où vous avez senti que vous avez raté votre négociation ou que celle-ci était impossible ou êtes-vous tenus par le secret professionnel ?
Nous ne pouvons partager nos négociations, car elles sont scellées par le secret dans la plupart du temps. Maintenant, il faut avoir en tête que la négociabilité d’une situation dépend avant tout du rapport de force. Quand le rapport de force est trop distendu, la négociation est malheureusement impossible. Vous cherchez à acheter une maison dont la valeur est de 2 millions de dollars et vous proposez au vendeur 50.000 dollars, même si vous êtes le meilleur négociateur au monde, malheureusement la négociation sera vouée à l’échec.
Est-il possible de faire face à toutes les situations de négociation et gérer la complexité sans la subir ?
Par définition, certaines choses ne sont pas négociables. Et fort heureusement. Si tout était négociable, plus rien n’aurait de valeur. C’est précisément le fait que certains éléments soient non négociables, comme par exemple votre intégrité ou encore votre code de conduite, qui leur donnent de la valeur. Maintenant, nous sommes régulièrement confrontés à des situations où l’issue paraît peu favorable. Dans ce type de contexte, votre expertise, votre expérience et la capacité à trouver un objectif commun partagé permettent dans beaucoup de cas de faire la différence. Si nous devons parler d’ADN Group, notre agence, notre taux de succès de résolution de conflits par la négociation est supérieur est à 95%.
Négociateurs de renom, vous avez inspiré et participé à la création de la série Ransom, diffusée sur CBS aux Etats-Unis et sur TF1 en France. Qu’est-ce que cela vous fait ?
Ransom met en lumière un métier de l’ombre. C’est d’ailleurs notre principale fierté. Même cela reste une fiction, la série permet aux spectateurs de mieux comprendre la gestion des situations de crise par la négociation. Mais cette série permet surtout de préparer les générations futures. En effet, nous reversons la majorité des bénéfices de la série qui nous reviennent à ADN Kids, une association que nous avons montée il y a quelques années, qui contribue à aider les enfants à lutter contre la violence et le harcèlement dans les écoles par la négociation. Nous comptons maintenant 120 ambassadeurs qui interviennent, toutes les semaines, dans des écoles pour les sensibiliser à la négociation. C’est au final notre plus grande fierté !