La jurisprudence de la Cour de justice de l’UE relative au Sahara : La diplomatie régionale et les excès du juridisme
L’affaire du Sahara relève du mythe, au sens où l’entendait Paul Valéry qui considérait qu’il n’est de discours si obscur, de racontar si bizarre, de propos si incohérent à quoi nous ne puissions donner un sens. On ne pouvait s’attendre à ce que le mythe saisisse le juge européen.
Alors qu’en juillet 2019, le Ministère de l’agriculture de la pêche maritime et du développement rural a commencé à accorder les premières licences de pêche pour mettre en oeuvre le partenariat entre l’Europe et le Maroc, y compris au large des Provinces du Sud, il semble judicieux d’évoquer un thème qui hante souvent les chancelleries, le rapport des considérations juridiques et des intérêts diplomatiques. Les péripéties qui ont précédé la mise en oeuvre de ce qu’on appelle familièrement l’accord de pêche en fournissent une illustration et sans doute une leçon.
Cela permet aussi, « entre guerre impossible et paix introuvable » de traiter un sujet délicat sur lequel le Maroc a su montrer une détermination qu’il importe de maintenir aussi bien dans le cadre régional qu’à l’échelon universel puisqu’il touche à l’essence même du Royaume : son intégrité territoriale. Il s’agit d’un problème politique et non juridique sans la solution duquel il n’y aura pas d’Union régionale.
L’intrusion de la Cour de justice de l’UE dans la négociation a créé une double surprise politique et juridique qui suscite la perplexité. La juridiction européenne s’immisce dans un différend international hautement politique qui échappe, en principe, à la compétence de l’Union et, en particulier, de ses juridictions. Elle trouble la mise en oeuvre d’un accord de coopération dans un domaine sensible et important. Ce faisant, dans ce panel consacré aux « défis dans une zone de libre échange », elle illustre l’existence du défi juridique et judiciaire que les négociateurs n’ont pas toujours à l’esprit.
Par trois arrêts entre 2015 et 2018, le Tribunal et la Cour de justice de l’UE ont défié le pouvoir politique. Pourtant, aux termes du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article 275 TFUE), la Cour de justice n’est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique extérieure et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur base. Or le Tribunal et la Cour ont remis en cause l’application d’un accord international dans des conditions qui peuvent embarrasser la diplomatie européenne et engager la responsabilité internationale de l’Union. En outre, sans titre ni fondement, ils se prononcent sur la souveraineté territoriale d’un Etat étranger à l’Union.
Les faits sont connus : à la requête du Front Polisario, le Tribunal de l’UE a annulé, en ce qu’il approuvait l’application de l’accord du Sahara marocain, la décision du Conseil du 8 mars 2012 concernant la conclusion de l’accord entre l’Union Européenne et le Royaume du Maroc, relatif à la libéralisation réciproque en matière de produits agricoles, de produits de la pêche et de poisson, au remplacement des protocoles 1, 2, 3 et aux modifications de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et le Maroc.
Puis sur pourvoi, la Cour a jugé que compte tenu du statut séparé et distinct garanti au territoire du Sahara en vertu de la charte des Nations unies et du principe d’autodétermination des peuples, il est exclu de considérer que l’expression « territoire du Royaume du Maroc », qui définit le champ territorial des accords d’association et de libéralisation, englobe le Sahara dit « occidental» et, partant, que ces accords sont applicables à ce territoire…