Maroc-Mauritanie : Quelle mouche a piqué le président mauritanien ?
Par Mohammed Mraizika
Depuis son arrivée le 1er août 2019 à la tête de l’Etat mauritanien, Mohamed Ould Ghazouani, n’a cessé de rajouter au climat bien anxiogène du Maghreb une dose de tension et d’incertitude. Ses dernières déclarations au sujet du Sahara confirment son caractère belliqueux et le peu de considération qu’il porte à la question de la stabilité et de l‘intégration régionales et à l’amitié entre le Maroc et la Mauritanie.
Rien d’étonnant au fond.
Militaire de carrière, Ould Ghazouani, était de toutes les intrigues et des putschs militaires qui ont marqué les deux dernières décennies de son pays. Il était membre du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD) qui a provoqué en 2005 la chute du président Ould Sid’Ahmed Taya (1984-2005).
La junte dont il était membre a récidivé en avril 2007 en déposant le président Ould Mohamed Vall au profit de Ould Cheikh Abdallahi (avril 2007-août 2008) à son tour renversé par le général Mohamed Ould Abdel Aziz (2009-2019). Peu de pays ont connu une telle instabilité au sommet de l’Etat. Mais, au-delà de la Mauritanie, c’est toute la région sahélo-saharienne qui s’en trouve fragilisée.
Personne ne peut en effet ignorer aujourd’hui l’importance de la menace qui pèse sur la région sahélo-saharienne du fait de la présence et de l’activisme des bandes terroristes qui y sévissent et des trafics de toutes sortes qui y prospèrent. La fragilité des Etats qui composent cette région, l’incertitude politique qui y règne, la main étrangère intéressée qui fait d’elle une cible géostratégique privilégiée, rendent le présent et l’avenir de ses peuples incertains et inquiétants. Aussi, loin d’apaiser la tension et d’apporter sa pierre à la construction de la paix le président Ould Ghazouani rajoute, par ses déclarations et son alignement sur les thèses séparatistes, de l’huile sur le feu qu’Alger entretient et espère maintenir le plus longtemps possible.
Depuis le retour en 1975 des provinces du Sud à la mère-patrie, le Maroc, les relations entre Rabat et Nouakchott se sont révélées peu aisées à cause de la question du Sahara qu’Alger a réussi à garder depuis ce temps vivace, l’exploitant abusivement en toute circonstance en guise d’épine dans le soulier marocain. Mais au-delà, cette question du Sahara s’est imposée comme une carte majeure dans un jeu interne complexe mené par une junte militaire algérienne attachée à ses privilèges et peu soucieuse de l’avenir des peuples de la région maghrébine. Certes, les présidents mauritaniens successifs ont observé, bon an mal an, une certaine neutralité dans le dossier du Sahara. Mais il est aussi vrai que certaines forces ou personnalités politiques mauritaniennes ne cachent pas leur animosité à l’égard au Maroc pour des raisons politiciennes qu’explique la lutte pour la maitrise du jeu politique interne.
Durant les deux mandats d’Ould Abdelaziz, les relations entre Nouakchott et Rabat, ont traversé de nombreuses zones de turbulence. Aux périodes de réchauffement des relations pendant lesquelles des projets économiques et des décisions politiques et diplomatiques allant dans le sens des intérêts supérieurs des deux pays ont vu le jour, se sont succédées des périodes moins sereines. Et à chaque fois, c’est la main d’Alger qui est pointée du doigt par les observateurs internationaux comme étant l’instigatrice des tensions qui sont venues assombrir les relations entre le Maroc et la Mauritanie, deux pays voisins qui partagent des racines historiques communes.
Conscient de cette réalité historique, et des défis stratégiques auxquels les deux pays doivent faire face ensemble, le Maroc a montré à maintes reprises son attachement à l’amitié entre les deux peuples et son souci de la stabilité de la Mauritanie. Cette volonté s’est clairement exprimée dans l’action ou à travers les discours officiels des plus hautes autorités marocaines. Le 20 décembre 2019, le ministre Nasser Bourita, a rappelé cette constance de la doctrine marocaine dans un communiqué : le Maroc, affirme-t-il « […] ne ¬permettra en aucune manière que son territoire soit exploité afin de porter atteinte à la stabilité de la Mauritanie ou de s’attaquer à ses institutions suprêmes » (1). C’est plus qu’une affaire de bonne entente et de collaboration entre deux pays voisins que le Maroc cherche à réaliser. Car il s’agit bel et bien d’une affaire de destin commun et de l’avenir de tous les peuples de la région.
Lorsque Ould Abdelaziz décide en 2019 de céder son poste de président, à Mohamed Ould Ghazouani, au nom du respect de la Constitution les observateurs les plus avertis de la chose politique mauritanienne y ont vu un scénario à la Poutine-Medvedev. Car Ould Abdelaziz ne cachait pas son désir de revenir un jour au pouvoir. Mais Ould Ghazouani, qui ne semble pas dupe, commence déjà à consolider son autorité en faisant le ménage dans son propre clan politique au détriment de son prédécesseur. Et pour assurer ces arrières, il opère un rapprochement avec Alger en s’alignant sur sa stratégie ancienne-récente qui consiste à empoisonner directement ou par le biais de ses alliés les relations du Maroc avec les Etats africains. Les premières déclarations du nouveau président algérien sont là pour rappeler cette doctrine. C’est ainsi qu’à chaque fois que le Maroc réalise une avancée importante en direction des pays voisins et africains dans le sens du renforcement de leurs capacités économiques et de leurs moyens de défense et de lutte contre les bandes qui sèment la désolation et le terrorisme dans la région, Alger sort de sa manche une provocation ou une manœuvre diplomatique pour gêner sa réalisation et limiter son impact. Ould Ghazouani semble aujourd’hui inscrire son action dans cette démarche qui n’apporte à la région du Maghreb que de la désunion et de l’instabilité. Alors que des Etas africains (2) acceptent volontairement d’installer leurs représentations diplomatiques à Laayoune et à Dakhla, Nouakchott préfère apporter son soutien au Polisario considéré par des instances internationales et des ONG respectables comme un facteur de désordre et un acteur important de l’insécurité qui règne dans la région.
Il est clair que le président mauritanien Ould Ghazouani ne mesure pas encore assez l’importance du risque qu’il fait courir à son pays et à la région en accordant son soutien à un groupuscule classé en bonne place sur la liste des groupes qui alimentent le terrorisme et le séparatisme sur le continent africain. Le peuple mauritanien, qui n’a jamais caché son amitié et sa fraternité au peuple marocain, a besoin de paix, de stabilité et d’un développement économique pérenne. C’est ce que le Maroc lui propose comme voie et comme perspective.
Gageons enfin que le peuple mauritanien et les élites politiques du pays vont œuvrer avec sagesse pour ramener Ould Ghazouani à la raison afin qu’il se rende compte que l’intérêt de son propre pays est dans l’établissement de relations apaisées avec le Maroc et que les thèses séparatistes du Polisario et les stratégies belliqueuses d’Alger n’apporteront qu’affaiblissement et malheurs à tous les peuples de la région.
Note :
(1) Communiqué au sujet de l’affaire de Mohamed Ould Bouamatou, un opposant au pouvoir d’Ould Abdelaziz qui vivait à Marrakech depuis 2011.
(2)
(3) Des pays de différentes régions du Continent africain ont ouvert à Laayoune ou à Dakhla, des Représentations Diplomatiques. C’est le cas de la République de Côte d’Ivoire, la République du Gabon, l’Union des Comores, la République Centrafricaine et dernièrement le Liberia. La liste des pays qui ont retiré leur soutien au Polisario s’est également allongée.
(*) Mohammed MRAIZIKA
Docteur en Histoire, Consultant en Ingénierie Culturelle, écrivain et conférencier.