Le covid 19 : les masques sont tombés !
Par Dr Youssef Chiheb*
Voilà plus de quatre mois, que le monde est plongé dans la crise du covid-19. Chaque jour, les responsables des autorités sanitaires, de chaque pays, dressent un bilan apocalyptique, macabre et effrayant du nombre de décès, de contaminations et du niveau de saturation des listes des patients relevant de réanimation lourde. Chaque jour, les prévisionnistes de l’économie président des jours sombres qui attendent la chute des PIB des Etats, tant riches que pauvres. Chaque jour, les responsables politiques réorientent leurs stratégies de confinement ou leurs levées partielles, sans trop de certitudes quant au retour à la vie normale. Chaque jour, les médias révèlent, par petits bouts, des scandales d’Etat sur la gestion improvisée ou chaotique de la pandémie. En clair et sans jeux de mots, les masques sont tombés signant l’épilogue d’une posture qui n’a qu’assez duré, celle du mythe de l’Occident, du rêve américain ou du miracle chinois qui faisaient office de déterminisme géopolitique. Egalement, la fin d’un mépris à l’égard des pays en voie de développement quant à leur incapacité à gérer des pandémies. Le monde est médusé face à la pénurie des masques, aux détournements des cargaisons de masques, en provenance de Chine, par des Etats donneurs de leçons, par le recours aux veilles couturières pour confectionner des masques artisanaux… alors que le Maroc en fabrique des millions d’unités par jour et en capacité d’en exporter ou d’en faire don aux pays d’Afrique, tout en garantissant la logistique d’acheminement aux pays destinataires.
Oui, les masques sont tombés, et par effet des dominos, et dans leurs sillages, une série de paradigmes, de déterminismes et de certitudes. Paradoxe de notre époque, des pays sont touchés dans leur ego, dans leurs obsessions narcissiques et dans leurs sentiments de supériorité réelle ou supposée. Pendant ce temps, d’autres pays, le Maroc, entre autres, s’érigent en modèle d’Etats prévoyants, d’éclosion de génies et de performance en matière de procédés et de procès dans le protocole de lutte contre la pandémie du Covid-19. Ces « petits pays » qui ont su interagir avec la mondialisation, alors que les grandes puissances vieillissantes se sont agrippées, bec et ongles, à l’ancien ordre mondial, dessiné par le géographe français, Alfred Sauvy, qui a figé les Etats en trois catégories : les pays industrialisés occidentaux, la Russie et ses satellites, et, le Tiers monde, par référence à l’ordre mondial établi au Moyen-Âge : la noblesse, le clergé et le tiers état !
Oui, les masques sont tombés par le souffle de cette tempête sanitaire qui a mis à mal la grille de lecture de la société moderne dans ses composantes cardinales. A travers cinq points de cette même grille de lecture, ces supposés Etats modernes et prospères se résignent, aujourd’hui, à verbaliser le sens de cette crise et à exceller dans les éléments de langage de nature à dimensionner la solidité de leurs socles, de plus en plus sismiques et à conjurer le sort qui sonne leur déclin, leur déclassement et leur crépuscule.
La résilience des Etats est mise en doute
Politologues, sociologues, psychologues et experts qui scrutent à la loupe l’évolution des sociétés modernes sont, de plus en plus, dubitatifs quant à la capacité et au scénario de jours meilleurs, compte tenu des gouvernants qui naviguent, à vue d’œil, dans un monde incertain et face à de nouvelles menaces qui se profilent, tant sur le plan sanitaire, économique qu’écologique. La coagulation inévitable des trois menaces planétaires finira par fissurer les Etats- géants à pieds d’argile. La même société savante ne cesse d’émettre des signaux d’alarme quant à la capacité de résilience des Etats-géants, en dépit des discours tranquilo- thérapeutiques distillés par la communication institutionnelle. La fracture sociopolitique et historique ne cesse de s’élargir, depuis la fin des trente glorieuses jusqu’à l’affaiblissement de la résilience des Etats européens, en passant par la déconstruction idéologique de l’Etat providentiel, porté par la pensée progressiste. Une idéologie qui a signé sa défaite, face au libéralisme triomphant, en déclarant la défaite de la pensée, et donc de l’Etre, face à la victoire de l’Avoir comme nouveau dogme dans la régulation des rapports intra humains et de la mondialisation chronophage.
La défiance face à un discours politique inaudible
Ce discours autiste a perverti le sens éthique et étymologique de la démocratie et de la souveraineté des peuples. Depuis une dizaine d’années, le monde a connu une multitude de contestations sociales et politiques. La vague de contestations et d’insurrections n’a épargné aucun continent. Le printemps arabe, la radicalisation religieuse ou écologique, le populisme, le mouvement des gilets jaunes, le Hirak en Algérie, les tensions en Amérique Latine, le séparatisme en Espagne, le Brexit… autant de mouvements qui se recoupent à travers une montée de la défiance, vis-à-vis du politique et des gouvernants. Des mouvements qui appellent, chacun de là où il est, à la nécessité du changement de l’ordre établi. L’arrivée de la pandémie du Covid-19 a remis à l’ordre du jour cette injonction aux changements de paradigmes et à la refonte du contrat social et/ ou politique entre les gouvernants et leurs peuples. Un changement de virage inéluctable par l’aveu même de certains chefs d’Etat. La démocratie doit être redéfinie constitutionnellement et implicitement dans l’exercice du pouvoir devenu subordonné, désormais, à la dictature de la finance.
La décroissance comme effet domino des crises majeures
Ce phénomène est devenu systémique depuis le choc pétrolier de 1974 et jusqu’à nos jours. Chaque fois où le capitalisme fut secoué par un crash boursier, une dérégulation de l’offre et de la demande, une injonction du FMI ou de la Banque Mondiale, d’une faillite du marché de l’immobilier (2008) en Amérique ou en Europe, d’une vague d’attentats ou d’insurrections populaires et par la propagation de pandémies majeures, le Covid-19 en l’espèce, les adeptes du capitalisme carnivore y trouvent prétexte pour injecter des milliers de milliards de dollars pour sauver les banques, ces mêmes banques qui sont souvent à l’origine desdites crises majeures. Des milliers de milliards de dollars qui se transforment en dettes publiques, en déficits budgétaires abyssaux des Etats, en politique d’austérité , mettant des centaines de millions d’habitants sous tension et remettant en cause des programmes gouvernementaux en matière de développement. Le Covid-19 tombe comme une providence pour aliéner les peuples et détourner leur regard, car il est plus facile de transformer une crise économique en une crise sanitaire et de dire « à cause du Covid, les caisses seront vides ». Comme ce fut le cas en 2009 où les banques centrales ont injecté 4000 milliards de dollars pour relancer l’économie, les mêmes banques s’apprêtent, en 2020, à injecter la même somme, dont 1000 milliards de dollars sous forme d’emprunts et 3000 milliards de dollars sous forme de prêts aux banques privées pour les inciter à solvabiliser les entreprises en grande difficulté de trésorerie. Evidemment, par les temps qui courent, personnes ne s’opposera à de telles escroqueries, car le Covid-19 est passé par là !
L’impuissance en plus
L’impuissance des responsables de l’industrie pharmaceutique et de la recherche scientifique a procédé à une dichotomie entre l’éthique, qu’impose la santé publique et les conflits d’intérêts. L’impact, sans précédent, de la propagation de la pandémie du Covid-19, a mis à nu cette collusion structurelle entre la recherche scientifique et l’industrie pharmaceutique. Deux éminents professeurs en virologie, le premier, Eric Raoult qui préconise la chloroquine, associée à d’autres médicaments et selon un protocole médical strict, comme solution efficace, déjà mise sur le marché et peu coûteuse. Un scientifique qui s’est attiré les foudres de ses confrères parisiens, membres du Conseil scientifique qui encerclent le Président Macron. Des éminents virologues dont la presse a révélé leur collusion avec l’industrie pharmaceutique. Le deuxième éminent spécialiste en virologie, prix Nobel de médecine et à l’origine du décryptage du virus du SIDA, Luc Montagnier, a évoqué, certes avec prudence, l’hypothèse d’une manipulation, in vitro, de la souche virale du Covid-19, à Wuhan en Chine, qui a mal tourné. En dehors d’une apparition médiatique éphémère, il est réduit au silence et, bien entendu, devenu persona non grata dans le fameux Conseil scientifique. La voracité de la pharmacopée mobilise des chercheurs inféodés à leurs stratégies pour décrédibiliser les deux professeurs qui font valoir l’éthique sur le « fric ». Le Covid-19 est passé par là pour faire tomber les masques et accréditer l’hypothèse des collusions et de conflits d’intérêts entre le monde de la recherche et celui de l’industrie pharmaceutique.
La méfiance vis-à-vis des médias manipulateurs
Si dans les grandes démocraties les médias sont considérés comme le quatrième pouvoir, notamment ceux spécialisés dans les investigations sur ce qui peut s’avérer comme des scandales d’Etat, les médias de masse occidentaux sont, aujourd’hui, plus qu’avant dans le viseur de l’opinion publique. Et pour cause, depuis la propagation du Covid-19 en Europe et aux USA, la stratégie des grands médias s’est résumée, dans un premier temps, à endosser la responsabilité du Covid-19 et des mensonges de la Chine sur le nombre réel des victimes de la pandémie et, par la suite, à fanfaronner sur la performance des infrastructures sanitaires de leurs pays, qui sont et seront à la hauteur du risque sanitaire. Cependant, au fur et à mesure de la propagation du Covid-19, de la saturation des hôpitaux et de la progression exponentielle des personnes contaminées ou décidées, les médias de masse ont déployé leurs techniques habituelles en se focalisant, en boucle, sur l’annulation d’événements futiles, loin, sans polémiques, tels les théâtres, les concerts, avec un focus sur Paris. La province est reléguée au second plan au même titre que les banlieues. Ils se sont contentés également de faire le service après vente de la communication officielle pour ce qui est du silence et le non comptage des personnes âgées, décédées dans les maisons de retraite, en l’espèce les EHPAD en France, dans l’attente du feu vert du gouvernement. Aucun média de masse ni les journaux télévisés de 20 heures n’ont pris l’initiative d’inviter le professeur E. Raoult pour expliquer la pertinence de la chloroquine. Aucun reportage sur le Covid-19 en Afrique et sur une aide éventuelle aux pays les plus démunis, notamment en Afrique. On ne parlait que de la Chine, des USA, de l’Italie et de l’Espagne. Toute la stratégie médiatique est focalisée sur la communication officielle et des commentaires sur les commentaires de tels ou tels responsables politiques ou médicaux. Aucune enquête journalistique sur les effets socio-psychologiques du confinement n’a été diligentée. Les journalistes, toujours les mêmes ou dans des entre-soi ritualisés, ont démontré leur déficit en connaissances médicales ou scientifiques. Certains en France ironisent sur la capacité du Maroc à s’auto-satisfaire en masques fabriqués localement. D’autres ironisent sur la décision du Maroc qui a réquisitionné tous les stocks de la Chloroquine, préconisée par l’encombrant professeur infectiologue E. Raoult. D’autres, proposent cyniquement l’Afrique comme le continent-cobaye pour les tests des futurs vaccins contre la pandémie du Covid-19.
Face à cette désinformation ou infantilisation des peuples par les médias qui distillent, habilement, une ligne éditoriale alignée sur la communication des gouvernements, les réseaux sociaux foisonnent en Fack news, en théories de complots, en scandales d’Etats et en divers scénarii apocalyptiques, déclenchés par la propagation du Covid-19. Egalement, les masques sont tombés et ont démontré les manipulations, le manque d’éthique et l’autocensure dont sont capables certains médias de masse qui prétendaient pourtant être indépendants et miroirs de la démocratie.
En réalité, et à travers la mise en perspective des cinq éléments de la grille de lecture d’analyse précitée (Résilience- défiance- décroissance- impuissance-méfiance), le Covid-19 a mis les grands Etats à rude épreuve. Un virus microscopique a provoqué un taux de létabilité, en peu de temps, supérieur à toutes les pandémies connues à nos jours. Le Covid-19 dit haut et fort aux peuples « les masques sont tombés ». Il dit également aux Etats « après moi, le Covid, vos caisses seront vides ». Il a conseillé enfin aux intellectuels, « Certes, restez confinés chez vous, mais ne confinez pas, après la pandémie, le devoir de vérité que vous doivent les gouvernements ainsi qu’à leurs peuples ».
* Professeur à l’Université de Paris Sorbonne
Géostratégie et Développement International