Dossier du mois : Rétrospective
Dossier du mois
2016, une traînée de sang et de stigmates
Maati Kabbal, Responsable des Jeudis de l’IMA, Coordinateur des rendez-vous de l’histoire de l’IMA
Durant l’année qui vient de s’écouler, j’ai reçu ,dans le cadre des Jeudis de l’IMA, à l’Institut du Monde arabe, plus de 145 personnalités. Des philosophes aussi bien que des écrivains, des chercheurs, des hommes politiques dont on peut citer Jean-Luc Nancy, Kamel Daoud, François Déroche, Jean-Yves Le Drian, François Burgat, Olivier Roy, Jacqueline Chabbi, Laïla Shahid, etc… Les mots qui ont rythmé leur discours et leur réflexion sont, entre autres, violence, Islam, islamisme, fractures, décadence, déshumanité etc…
De leur façon d’appréhender le présent des sociétés arabes, on peut déduire un malaise et un mal être qui tire ses racines d’une histoire faite de sang et de stigmates. En effet, dans la longue suite des déflagrations durables, et ce depuis le déclenchement des « Printemps arabes », 2016 aura été l’annus horribilis par excellence. Attentats, assassinats sommaires, naufrages en masse au sein et au large des océans, décapitations, scandales financiers à répétition, replis identitaires et poussées populistes, etc… nous offrent les preuves tangibles de l’une des années les plus noires de cette dernière décennie. L’histoire retiendra dans ses annales comme point culminant, l’apocalypse d’Alep provoquée par la machine de guerre russe, iranienne et gouvernementale. Les réseaux sociaux aidant, les images de ces déroutes et dérives en ont fixé à jamais l’intensité. Je retiendrai pour ma part quelques images éloquentes par leur force : le corps du petit Aylan rejeté par la mer, la destruction par Daech des sites antiques de Ninive et de Palmyre, le naufrage des émigrés, les errances des réfugiés sur les routes de l’exil, les vociférations et l’islamophobie grasse et grossière de Donald Trump, les images des policiers et des soldats dans les capitales européennes devenues des espaces à risque.
Cette régression est soutenue par un discours identitaire décomplexé dont les tenants énoncent haut et fort leur refus, voire leur rejet de l’Autre, l’étranger, l’immigré. Un discours forclos sur une identité aveugle. Les écrits d’un Eric Zemmour, d’un Alain Finkielkraut nous l’expliquent sans gêne. Dans les autres pays européens et en Amérique, il existe des clones de ces énergumènes anticosmopolites qui assènent les même « vérités ». 2016 a vu leur pouvoir se renforcer dans les médias, les réseaux sociaux ainsi que dans les librairies. Ainsi assistons-nous à un retrait de l’Humain au profit du règne de la banalité du Mal et du rejet. Nous avons besoin des lumières des philosophes et de l’imaginaire des écrivains. Puisse 2017 combler ce déficit de savoir et de culture. Le sursaut se fera, je l’espère, du côté des femmes.