Les surdosages de l’azithromycine : « des erreurs dues à l’incompréhension du schéma posologique par les patients positifs au coronavirus »
Le Centre Antipoison et de Pharmacovigilance du Maroc (CAPM) a adressé une note, récemment, aux directeurs régionaux de la Santé ainsi qu’aux directeurs des Centres hospitaliers universitaires (CHU), mettant en garde contre « les erreurs médicamenteuses », liées à l’utilisation de l’azithromycine dans le protocole thérapeutique administré aux patients atteints par la Covid-19.
Ce document indique que «ces erreurs pourraient entraîner des surdosages qui potentialiseraient les effets indésirables cardiaques de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine».
Dans ce cadre, docteur Houda Sefiani, Médecin Pharmaco-toxicologue au CAPM apporte son éclairage.
MAROC DIPLOMATIQUE_ Pourriez-vous nous expliquer ce qui pourrait arriver en cas de surdosage ?
Docteur Houda Sefiani_ Les effets indésirables sont une partie inhérente à tout traitement médical. Ces effets peuvent être observés dans les conditions normales d’utilisation, ou dus à des utilisations irrationnelles du médicament ou à des erreurs médicamenteuses. Certains sont évitables (erreurs, mésusage) et nécessitent des actions rapides pour prévenir ou réduire le risque de récurrence.
Dans le cadre du protocole de traitement des patients positifs à la Covid-19, il est recommandé, en première intention, d’utiliser l’Azithromycine associée à la Chloroquine ou à l’Hydroxychloroquine. Ces deux derniers médicaments peuvent provoquer des troubles cardiaques chez certains patients. Il s’agit d’effets doses dépendants qui apparaissent généralement aux doses élevées et lors du traitement de longue durée. Par ailleurs, l’association de l’un d’eux à l’Azithromycine ou le non-respect des doses prescrites augmentent le risque cardiaque.
MD_ Quels sont les patients les plus exposés aux effets indésirables de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine?
Dr H.S_Ces médicaments sont utilisés depuis plus de 70 ansdans le traitement du paludisme et de sa prophylaxie, ainsi que dans le traitement des maladies inflammatoires auto-immunes. Leurs profils de sécurité ont été élaborés à partir des données recueillies de leur large utilisation lors de ces 70 dernières années.
Les facteurs de risque d’apparition des effets indésirables sont identifiés selon le type d’effet indésirable. Certains de ces facteurs de risque font partie des contre-indications, et d’autres figurent dans les précautions d’emploi.
Par exemple,en ce qui concerne les effets indésirables cardio-vasculaires, les facteurs de risque identifiés sont l’âge de plus de 65 ans, le sexe féminin,certaines pathologies cardiaques, le diabète, ainsi que la prise concomitante de certains médicaments qui abaissent le taux du potassium sanguin.
En général,les facteurs de risque varient pour chaque type d’effets indésirables.
MD_ Combien d’erreurs médicamenteuses, liées à l’administration de l’azithromycine, ont-elles été signalées ? Lesquelles ?
Dr H.S_À ce jour, nous avons reçu 10 cas d’erreurs liées à la prise de l’Azithromycinepar des patients positifs au coronavirus,dont 6 étaient asymptomatiques. Ce sont des erreurs qui étaient dues à une incompréhension du schéma posologique par les malades, qui ont pris l’Azithromycine deux ou trois fois par jour au lieu d’une seule prise par jour.
Il est à noter que le centre de pharmacovigilance au Maroc porte un intérêt particulier aux erreurs médicamenteuses, avec ou sans effets indésirables. La collecte des cas d’erreurs nous permet d’analyser les circonstances de survenue pour comprendre pourquoi ces erreurs se sont produites, afin d’élaborer les actions préventives adaptées.
Dans le cas actuel, les déclarations nous ont permis, dès la réception des premiers cas, de diffuser la note informative avec des recommandations pour éviter la survenue de nouveaux cas.
MD_ Cette note a-t-elle été prise en compte ?
Dr H.S_Oui, la note informative a bien été prise en compte par les professionnels de Santé, et rapidement relayée par ces derniers auprès des médias. Nous avons remarqué que depuis la diffusion de cette note, aucun nouveau cas d’erreur médicamenteuse n’a été enregistré.
MD_ Concernant le protocole thérapeutique suivi au Maroc, comment garantir la sécurité des patients atteints par la Covid-19 et les protéger des erreurs médicamenteuses ?
Dr H.S_Dans le contexte de crise sanitaire, due à la propagation du virus SARS-CoV-2, le ministère de la Santé au Maroc a institué, en plus des mesures préventives, un comité technique-scientifique-consultatif, qui a adopté, depuis le 21 Mars 2020, des recommandations avec des protocoles thérapeutiques pour la prise en charge des patients confirmés positifs.
Ces protocoles sont accompagnés de plusieurs examens et bilans recommandés avant, pendant et après la fin des traitements pour assurer un usage sécuritaire chez les patients.
Cette surveillance permet d’éliminer les contre-indications et de surveiller les patients présentant des facteurs de risque.
Par ailleurs, dès le lancement du protocole, le département de la Santé a inclus le plan de pharmacovigilance, pour faire le suivi des patients en termes de surveillance médicale, et de prise en charge des effets indésirables qui peuvent apparaître.
Ainsi, tout a été mis en place pour que l’utilisation des protocoles chez les patients marocains, soit faite de manière rationnelle,en accord avec toutes les connaissances sur les profils de sécurité des différents produits. L’objectif ultime est, bien évidemment, d’assurer la sécurité de nos patients.
MD_ De façon générale, que pensez-vous du protocole thérapeutique recommandé par le ministère de la Santé pour traiter les patients Covid-19 ?
Dr H.S_Les décisions du ministère de la Santé, dans lagestion de cette crise sanitaire,ont montré leur efficacité. Nous savons maintenant et nous en aurons la certitude, avec du recul, que les bonnes décisions ont été prises au bon moment.
Cette maladie infectieuse est nouvelle et le monde médical dispose de très peu de données sur ce virus, d’autant plus que le développement d’un nouveau médicament prend énormément de temps, c’est pour cela que la commission d’experts du département de tutelle a décidé de se tourner vers les médicaments existants (CQ et HCQ), largement utilisés, avec un profil de sécurité établi et avec une certaine efficacité antivirale.
D’ailleurs, la CQ et HCQ ont montré, selon plusieurs études in vitro, une activité inhibitrice sur la réplication de nombreux virus.
MD_ En ce qui concerne le CAPM, quel rôle a-t-il joué dans la gestion de cette crise sanitaire ?
Dr H.S_Permettez-moi de rappeler que le CAPM est un organisme attaché au ministère de la Santé, dont les missions sont : la gestion des cas d’intoxications et d’effets indésirables. Depuis le début de cette crise sanitaire, nous avons été impliqués avec les autres départements du ministère dans la gestion de cette situation exceptionnelle que connait notre pays.
Il faut savoir que les actions du CAPM s’inscrivent dans deux grands groupes :
Les actions proactives : dans ce cadre et depuis de début de l’épidémie, le CAPM a produit et diffusé plusieurs documents aux professionnels de la Santé, afin de les accompagner lors de la prise en charge des patients, et assurer l’usage rationnel et la sécurité des patients.
Plusieurs séances de sensibilisation destinées au grand public ont été diffusées via la télévision, la radio et les réseaux sociaux, ainsi que via la presse écrite. Ces actions de sensibilisation ont permis de diminuer les risques liés à l’automédication, à l’utilisation des plantes ou à l’usage irrationnel des médicaments en général.
Dans ce contexte, le CAPM a également diffusé des recommandations d’utilisation des désinfectants et des produits antiseptiques.
Nous avons, par ailleurs, mis en place un circuit de déclaration des effets indésirables observés chez les patients traités pour l’infection COVID 19.
Les actions réactives:Ces actions permettent de réagir à un signal détecté à partir des cas d’effets indésirable reçus. La note informative sur les erreurs liées à l’usage de l’azithromycine, en est un bon exemple.
Pour finir,nous rappelons que le CAPM a un système de garde téléphonique 24h/24H 7j/7, aux numéros suivants : 0801000180 ou 0537686464. Une équipe de médecins est également disponible pour répondre aux appels des professionnels de Santé et du grand public.Les appels peuvent concerner les intoxications, les effets indésirables des médicaments, l’usage des plantes ou de tout autre produit de santé.
Propos recueillis par Yasmine El Khamlichi