Au prix d’un chiffre élevé de morts, Bolsonaro controversé et défenseur de l’économie
Le Brésil demeure dans le premier peloton des pays frappés pare la pandémie du Covid19. Un débat intense tient lieu de controverse institutionnelle. Crises politiques, économiques et sanitaires pendant cette période douloureuse que nous décrit Carla Passos, politologue et observatrice à Brasilia. Nous publions son témoignage. La traduction du texte du portugais au français a été assurée par Ana Claudia Bourquin.
Par Carla Passos (*)
Alors que les gouvernements du monde entier mettent fin au commerce, verrouillent leurs frontières pour lutter contre le coronavirus et demandent plus de ressources au gouvernement fédéral, celui-ci, à son tour, craint que le remède ne soit plus nocif pour l’économie et la société que la pandémie elle-même, qui sera suivie d’une récession majeure. La prévision est qu’il y aura la plus forte baisse du PIB au cours des 120 dernières années, ce qui signifierait des millions de licenciements et une forte augmentation des décès suites à des maladies dues à la malnutrition.
Les crises ont commencé à se produire au sein du gouvernement entre le président Bolsonaro puis le ministre de la Santé Henrique Mandetta, qui est tombé pour avoir défendu l’isolement total des personnes et s’être opposé à l’utilisation de la chloroquine dans le traitement des patients. Le deuxième ministre de la Santé, Nelson Teish, a également démissionné cette semaine sans en indiquer la raison, mais c’était probablement la même chose. Il n’était en fonction que depuis un mois.
Cependant, la plus grande tragédie du gouvernement a sans aucun doute été la chute d’un autre ministre super populaire : Sergio Moro, de la Justice. Il a quitté ses fonctions au milieu d’une pandémie lors d’une conférence de presse au cours de laquelle il a dénoncé au président Bolsonaro de vouloir interférer avec la police fédérale pour protéger les députés alliés et leurs enfants accusés de diffusion de fausses nouvelles. Sergio Moro est très connu internationalement pour avoir découvert le plus grand stratagème de corruption au monde. Lava Jato a culminé avec l’arrestation de nombreux politiciens et hommes d’affaires au Brésil et également avec la destitution de l’ancienne présidente Dilma Rousseff. Moro était le pilier de la lutte du gouvernement Bolsonaro contre la corruption. Il a un grand pouvoir symbolique. Avec sa chute, le gouvernement Bolsonaro a perdu certains de ses partisans, mais reste fort.
Les cadavres comme plate-forme
L’autre pilier du gouvernement Bolsonaro est le ministre de l’économie Paulo Guedes. Cette semaine, il était mis en exergue lorsqu’il a prononcé un discours fort pour défendre le gouvernement Bolsonaro. Face à ce scénario de morts, de fermetures d’entreprises et de licenciements massifs, Guedes a critiqué la tentative de certains fonctionnaires de demander une augmentation de moyens et le soutien des parlementaires et des opposants dans le but de faire une plateforme politique sur le thème.
«La reconstruction d’un pays prend des années. Nous avons passé un an et demi à essayer de reconstruire. Lorsque nous commençons à décoller, nous sommes frappés par une pandémie. Allons-nous profiter d’un moment comme celui-ci, de la plus grande gravité d’une crise sanitaire, et allons-nous monter sur des cadavres pour faire une plate-forme? Allons-nous monter sur des cadavres pour obtenir des ressources gouvernementales? », a-t-il demandé.
Et d’ajouter : «La population ne l’acceptera pas. La population punira ceux qui utilisent les cadavres comme plate-forme », a ajouté le ministre, ajoutant que ce n’était pas le moment de demander à la police ou aux médecins qui descendent dans les rues« d’augmenter leur fonction » précisant que le gouvernement ne devrait pas remettre « de médailles avant de la bataille ».
«Nous voulons savoir ce que nous pouvons faire en tant que sacrifice pour le Brésil à cette époque, et non pas ce que le Brésil peut faire pour nous. Et les médailles sont remises après la guerre, pas avant la guerre. Nos héros ne sont pas des mercenaires. Quelle est cette histoire de demander une augmentation de salaire parce qu’un policier va dans la rue pour exercer sa fonction ou parce qu’un médecin va dans la rue pour exercer sa fonction? », a-t-il affirmé.
Il a évoqué les problèmes sociaux du Brésil et la difficulté de lutter contre le virus. «S’il existe un protocole efficace, vivant cinq, six ou sept personnes dans un petit espace confiné, la probabilité d’infection y est plus grande que s’il est au travail, bien soigné, bien informé et testé. Parce qu’il s’agit de tests et de traitements. Testé, d’accord? Continue de travailler. C’est mauvais ? Traitement », a-t-il ajouté. Paulo Guedes a déclaré qu’il y avait une hausse des exportations de produits agricoles et de minéraux. «Le Brésil est la seule économie au monde à augmenter ses exportations. Ce qui était une malédiction est devenu une bénédiction. C’était une malédiction d’être à 20 ou 25 ans des chaînes de production mondiales. Nous dormions pendant que le monde s’intégrait et allait de l’avant. C’était une malédiction. Mais, curieusement, au moment où le météore frappe le Brésil avec cette pandémie, ce qui était une malédiction devient une bénédiction. Les chaînes de production se brisent et le Brésil vend des produits agricoles et des minéraux ».
Le Brésil plus résilient que les Etats-Unis
Tout au long de son discours, Paulo Guedes a comparé le Brésil aux États-Unis dans deux passages différents. La première fois, le ministre de l’Économie a déclaré que son gouvernement avait mieux réussi à réduire le chômage que le pays américain. « Les Américains ont licencié 26 millions de personnes au cours des cinq dernières semaines, et le Brésil a perdu un million d’emplois et préservé, enregistré, 7,5 millions d’emplois grâce à notre programme« , a-t-il proclamé, rappelant que même si le gouvernement fédéral est lapidé, il combat pour la défense du pays.
Quand il affirme que le gouvernement est lapidé, Guedes fait référence aux répercussions excessives dans la presse de déclarations inappropriées qui créent une instabilité politique, alors que les bonnes actions des ministères de la Santé et de l’Économie ne sont pas visibles. Récemment, des journalistes ont interrogé le président Bolsonaro sur la mort de 5 000 personnes par coronavirus et ont reçu cette réponse cinglante : «Et alors? Je suis un Messie, mais je ne fais pas de miracles ». La phrase est tombée très mal pour une partie de la société. Le président manque un peu plus de soin avec les mots. Et au fur et à mesure des mauvaises nouvelles, cette perception de guerre politique finit par se répandre dans le monde entier, endommageant l’image du pays. Le Brésil compte 208 millions d’habitants, 241 000 cas confirmés de coronavirus, 94 000 récupérés et 18 000 décès.
(*) Carla Passos, Politologue, traduction du texte par Ana Claudia Bourquin