INTELAKA – Covid-19 : où en sommes-nous ?
Les PME et les TPE sont toujours les victimes des changements politiques et économiques dans le monde des affaires, mais cette fois-ci, c’est différent. Le nouveau coronavirus a semé la terreur dans le monde des affaires, au Maroc. Il risque de secouer les activités de toutes les entreprises, toutes catégories confondues. Selon le Directeur du Centre marocain de gouvernance et du management (CMGM), Youssef Guerraoui Filali, ce nouveau virus freine l’avancement du programme intégré d’appui et de financement des entreprises.
MAROC DIPLOMATIQUE : Le PIAFE, quelle évaluation en faites-vous ?
Youssef Guerraoui Filali : Le Programme Intégré d’Appui et de Financement des Entreprises (PIAFE) est une occasion propice pour apporter du soutien financier à l’entreprise marocaine, spécifiquement les jeunes entrepreneurs et les porteurs de projets. Par conséquent, le conseil, l’orientation et l’accompagnement des demandeurs de financement constituent les conditions de réussite des projets entrepreneuriaux, en vue de faire émerger une nouvelle génération de porteurs de projets susceptibles de booster le tissu économique marocain. Cependant, le PIAFE peut constituer un levier de croissance économique si la phase d’accompagnement entrepreneurial est bien cernée. C’est en effet un mécanisme important de promotion du climat des affaires au Maroc, surtout dans la conjoncture économique actuelle, marquée par l’apparition des premiers effets de sécheresse, au niveau national, ainsi que la morosité mondiale liée à l’expansion de la pandémie du Coronavirus et qui a augmenté les incertitudes économiques au niveau planétaire.
Le PIAFE peut constituer un levier de croissance économique si la phase d’accompagnement entrepreneurial est bien cernée
MD : Comment ce programme de financement pourrait-il créer une nouvelle génération d’entrepreneurs ?
YGF : Il s’agit, en effet, d’accompagner les catégories d’entrepreneurs/entreprises éligibles au Programme Intelaka (Auto-entrepreneurs, Très Petites Entreprises, Petites et Moyennes Entreprises), afin de les aider à faire émerger leurs projets. Cependant, la vraie problématique réside dans le développement d’un carnet de commandes et la réalisation des ventes de manière régulière et récurrente, en vue d’assurer la survie et le développement de l’entreprise ayant bénéficié dudit Programme. De ce fait, l’étude du marché et de la faisabilité du projet doivent se faire en amont du déblocage des Fonds afin de garantir la réussite de l’affaire. Au-delà, il est question aussi de rationnaliser l’établissement du «Business Plan», c’est-à-dire raisonner impact commercial et économique en limitant le recours non rationnel aux Fonds de financement. Car plus la somme est consistante en termes de crédit, plus l’entrepreneur supportera une traite conséquente à payer, chaque fin de mois. A titre d’exemple, un financement de 300.000,00 DH vous fera supporter une charge de crédit aux alentours de 4.500 DH le mois. Donc si votre revenu est de 10.000 DH le mois, cela représente 45% de vos ventes et c’est significatif pour un auto-entrepreneur débutant.
MD : Comment le PIAFE pourrait-il soulever les problèmes actuels de la TPE ?
YGF : En effet, la TPE représente plus de 65% de notre tissu économique, c’est donc le moteur principal de la croissance économique. Le soutien à la TPE marocaine permettrait, en effet, de créer une véritable classe moyenne dans la société marocaine, en milieu rural et même urbain, et qui va porter l’économie marocaine en vue d’assurer un équilibre en matière de répartition et de distribution des revenus et des richesses. Cependant, la TPE a toujours souffert des difficultés liées à l’accès au financement, notamment la problématique des garanties personnelles. Le PIAFE vient, d’ailleurs, répondre à cette problématique liée aux garanties qui étaientt la condition sine qua none d’octroi du crédit. De ce fait, 80% du crédit octroyé dans le cadre du «Programme Intelaka» est garantie d’office par la Caisse Centrale de Garantie. En plus, les garanties personnelles sont suspendues du processus d’octroi du financement, telles que les lots de terrains, les maisons ou les autres biens matériels (véhicules, matériaux personnels…), et c’est le projet qui devrait s’auto-garantir en mettant en hypothèque, uniquement, le matériel acheté dans le cadre du projet d’investissement.
Encore mieux, les taux d’intérêt sont très attractifs et imbattables (2% en milieu urbain et 1,75% en milieu rural), et la somme du crédit d’investissement peut atteindre les 1.200.000,00 DH avec possibilité de disposer d’un prêt d’honneur pour financer le cycle d’exploitation, à hauteur de 50.000,00 DH et à 0% d’intérêt à rembourser au bout de la 5ème année d’exploitation.
MD : Quelle est la place du monde rural dans ce nouveau programme ?
YGF : Une attention particulière est accordée au monde rural en bénéficiant d’un produit spécifique baptisé «Intilak Moustatmir Karawi». Au-delà des garanties levées, un conseil bancaire «technique» est accordé aux petits agriculteurs, au niveau de plusieurs agences du Crédit Agricole, afin de mieux les orienter en investissement agricole.
Mais l’accompagnement institutionnel reste faible et à date d’aujourd’hui, le rôle des Commissions régionales d’accompagnement du Programme PIAFE n’est toujours pas clair. En effet, la proximité du citoyen, la couverture territoriale du milieu urbain et les actions de conseil orientées «terrain agricole » restent parmi les points cruciaux qui devraient être traités par lesdites commissions en vue d’accompagner les porteurs de projets et les petits entrepreneurs, en milieu rural.
MD : A votre avis, quel serait l’impact du Covid-19 sur l’entrepreneuriat et la création d’emploi au Maroc ?
YGF : Malheureusement, la pandémie du Covid-19 a freiné, de manière générale, l’avancement du PIAFE. C’est en plus une conjoncture mondiale marquée par de l’incertitude et de la panique aux niveaux économique, social, environnemental et sanitaire. L’annulation des vols et de plusieurs réservations dans le secteur touristique, la suspension des cours et des formations, l’annulation de plusieurs manifestations scientifiques et culturelles, la mise en quarantaine des personnes et l’interdiction des rassemblements, la chute du prix de baril… sont, entre autres, des actions qui n’encouragent pas l’entrepreneuriat et la promotion du climat des affaires.
Au niveau du Maroc, le coronavirus représente, et jusqu’à nouvel ordre, un danger potentiel même si les cas enregistrés ne sont pas très nombreux, à ce jour, mais le risque de propagation du virus est toujours d’actualité tenant compte des derniers accès au territoire marocain avant fermeture/restriction aux frontières (Marocains et étrangers provenant de pays largement touchés par la pandémie, surtout d’Asie et d’Europe). Cependant, les conséquences économiques s’observent déjà sur les marchés marocains. Plusieurs secteurs sont en souffrance, suite au ralentissement des activités et aux flux massifs des annulations d’actions et de commandes.
La morosité est pressentie par bon nombre d’entrepreneurs et les entreprises souffrent, actuellement, d’un très faible carnet de commandes, ce qui met en danger leur trésorerie et Fonds de roulement pour les semaines et les mois à venir. Sans exagération, le mois de mars 2020 est un cauchemar pour l’entreprise marocaine et les quelques mois à venir seront aussi durs. Dans cet ordre d’idées, le lancement de nouveaux projets ou la demande de nouveaux financements, dans le cadre du PIAFE, surtout dans la conjoncture actuelle, ne serait pas, désormais, une bonne opportunité d’affaire.
En effet, il demeure nécessaire de prendre un peu de recul mais surtout de bien préparer son projet (étude scientifique, faisabilité terrain, préparation du fonds de dossier…) et d’attendre l’amélioration des choses pour la relance de l’activité économique de manière globale. La sécurité des Marocaines et Marocains, la santé humaine et le bien-être de l’humanité passent en priorité ! C’est la pierre angulaire du climat des affaires !