L’économie mondiale à genoux, le « mea culpa» des gouvernements
Selon le Directeur Général de l’OMS, Tedros Ghebreyesus, «Ce coronavirus constitue une menace sans précédent. Mais c’est aussi une occasion sans précédent de nous rassembler contre un ennemi commun, un ennemi de l’humanité». L’épidémie du Covid-19 pousse de nombreux pays à prendre des mesures exceptionnelles. Les banques centrales du monde entier cherchent à rassurer les marchés et à surmonter le choc de cette pandémie dont le bilan, principalement en Europe, s’aggrave de façon exponentielle. S’il est bien sûr trop tôt pour en mesurer les conséquences, les marchés financiers mondiaux, eux, ont déjà enregistré la pire chute depuis 2008. Après plusieurs semaines de baisse due au coronavirus et aux craintes que fait peser l’épidémie sur la croissance, les cours du pétrole s’effondrent à leur tour dans des proportions inédites depuis 1992. Décryptage avec Camille Sari, économiste et président de l’Institut Euro-maghrébin d’études et de prospectives.
MAROC DIPLOMATIQUE : On ne le sait que trop bien, les marchés financiers mondiaux enregistrent la pire chute depuis 2008. A votre avis, est-ce que le monde aurait pu se préparer autrement à cette crise ou bien échapper à ce déraillement que connaît l’économie mondiale ?
Camille Sari : Dès le départ de l’épidémie, je trouvais les chiffres que les autorités chinoises nous donnaient sur le nombre de victimes du virus, étaient en réalité minimisés. Au niveau de la hiérarchie des autorités chinoises, que je connais très bien, nul n’ose dire la vérité autour de ce qui s’est passé. En revanche, les étrangers ont continué à se rendre en Chine tandis que l’épidémie se répandait sur tout le territoire chinois. Cette discrétion a minimisé l’ampleur du virus aux yeux des autorités d’autres pays, notamment, les Iraniens qui étaient les derniers à arrêter les vols. Par conséquent, beaucoup de citoyens et de responsables en Iran ont perdu la vie à cause du virus.
MD : Donc le fait que les autorités chinoises avaient longtemps caché le nombre réel des victimes, aurait contribué à renforcer le flou sur l’ampleur de l’épidémie et ses conséquences ?
C.S : Oui, parce qu’ils auraient pu prévenir, dès le départ, et éviter que d’autres pays soient contaminés. Par exemple, en France, on ne s’y attendait pas du tout, les épidémiologistes disent «on croyait que le virus ne concernait que la Chine». D’ailleurs, la preuve c’est qu’on a envoyé des tonnes de masques et de gels hydro alcooliques, qui manquent actuellement.
Tous les pays ont eu peur pour leur tourisme et leur économie et ont gardé le silence pendant longtemps, notamment plusieurs pays d’Afrique où les gens meurent de maladies qu’on continue à cacher. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, on se retrouve face à une pandémie et des mesures de confinement.
MD : Le capitalisme sauvage serait-il derrière la crise actuelle dans laquelle le monde est en train de sombrer ?
C.S : En effet, il y a une logique capitaliste derrière cela. Personne n’avait envie de risquer son industrie touristique. Dans le même registre, je me rappelle que la Chine n’avait pas apprécié que la France rapatrie ses ressortissants et arrête ses vols.
Alors que l’Italie en est arrivée là, parce qu’il y avait un grand flux migratoire. D’autant plus que beaucoup de Chinois travaillent dans le nord du pays. Malheureusement, on n’a pris au sérieux la menace du virus que trop tard. De leur côté, les Marocains résidents dans ces pays contaminés ont eu la mauvaise idée de revenir dans leur pays, sans pour autant mesurer les conséquences de leurs actes.
MD : Certes l’économie mondiale sombre dans une crise inédite, aujourd’hui, et crie au secours, mais comment cela impacte- t-il concrètement les ménages et les individus à travers le monde, notamment au niveau des pays d’Afrique du Nord ?
C.S : Je prends le cas de la France où le gouvernement a décidé de mettre en place des reports de charges et plusieurs mesures ont été mises en place comme garantie de l’Etat aux entreprises.
Quant aux pays du Maghreb, la situation est relativement délicate, surtout que nous savons que beaucoup de gens travaillent dans l’informel et font de petits métiers… Face à cette conjoncture, la solution, pour moi, est de repenser le modèle économique et de produire localement pour pouvoir relancer les économies nationales.
MD : Quelles sont les spéculations sur la prochaine phase ? Y a-t-il une lueur d’espoir pour l’économie ?
Malheureusement, ce n’est que le début de l’épidémie et de la crise économique et sociale.
Il est temps de briser les paradigmes anciens. Il faut d’abord sauver l’humain pour pouvoir sauver l’économie. Cette conjoncture actuelle nécessite que les entreprises s’arrêtent. Il fallait qu’on arrête tout bien avant et que les Etats prévoient de nationaliser certaines entreprises et payer les salariés.
MD : Y a-t-il des pays qui sont, aujourd’hui, moins exposés que d’autres à une chute économique ?
Pas vraiment. Par contre, certains pays ont les moyens de faire face à la conjoncture plus que d’autres, comme les grandes puissances mondiales. Toutefois, la situation reste difficile pour tout le monde. Les Etats-Unis annoncent déjà qu’ils vont avoir une récession.
Les étrangers ont continué à se rendre en Chine tandis que l’épidémie se répandait sur tout le territoire chinois.
Les économies qui peuvent, éventuel- Propos recueillis par Yasmine El Khamlichi lement, s’en sortir, dans cette situation de crise, sont les petits pays exportateurs du pétrole et du gaz comme le Qatar et le Koweït.
MD : Les cours du pétrole sont aussi en train de s’effondrer, que risque les pays de l’OPEP d’un point de vue économique ?
C.S : Ces économies risquent d’être frappées sévèrement par la crise, notamment, l’Algérie, l’Arabie Saoudite, le Venezuela.
En Algérie, par exemple, ils vont avoir entre 25 et 35 milliards de dollars de recettes d’exportation et ils vont importer pour 60 milliards de dollars. Même s’ils réduisent au maximum les importations, les besoins de la population pèseront sur l’économie du pays.
De son côté, l’Arabie Saoudite serait en train d’expulser les étrangers pour pouvoir faire face à la prochaine étape. Toutefois, l’Etat saoudien continue d’avoir des réserves de change. Tandis que les pays du Maghreb, notamment le Maroc, n’ont plus de marge budgétaire.
Nous sommes face à une crise inédite qui nécessite des solutions inédites. Nul Etat n’a anticipé sur cette situation et on continue relativement à cacher la vérité.
A mon avis, tant qu’il n’y a pas de dépistage systématique, le nombre restera inconnu et on ne saura mesurer l’ampleur de la situation épidémiologique que trop tard. Les scientifiques expliquent qu’un seul cas peut contaminer jusqu’à mille personnes, d’où le danger de cette épidémie.
L’erreur s’est faite au moment où les ressortissants commençaient à rentrer chez eux par voie maritime et aérienne sans qu’ils ne soient contrôlés.